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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire 21/03/2020
Le XVIIe siècle était plus "religieux" que le XIVe siècle, mais peut-être pas plus "chrétien". L’amitié entre les Frères et les marchands s’est dissipée, laissant place à la méfiance et à la distance entre clercs et entrepreneurs.
Avec la Réforme protestante et la Contre-réforme catholique, la base éthique que les marchands italiens et européens avaient bâtie entre le XIIIe et le XVIe siècle a disparu en quelques décennies. L'éthique économique de la Contre-Réforme a régressé de quatre siècles, comme si Olivi, Duns Scot, Boccace, Francesco Datini, Benedetto Cotrugli, n'avaient ni écrit ni agi ; comme si les miracles de l’art et de la culture de Florence, Gênes et Venise avaient été effacés de la conscience collective. On a réhabilité les vertus aristocratiques héritées de la noblesse terrienne, et négligé celles de la société marchande. L'horloge de l'histoire s’est à nouveau réglée sur celle de la société féodale du XIe siècle. L'encyclique Vix pervenit de Benoît XIV (1745), qui déclarait légitime l'intérêt sur les hypothèques, reprenait les thèses des Franciscains, mais avec presque un demi-millénaire de retard. Les textes d'éthique économique du franciscain Bernardin de Sienne ou du dominicain Antonin de Florence, rédigées au Moyen-âge, sont encore étudiées et méditées aujourd'hui ; personne, en revanche, ne se souvient des homélies de Geronimo Garimberto ou des sermons de Carême de Paolo Segneri, les grands défenseurs de la morale économique à l’époque de la Contre-réforme. Le XVIIe siècle, qui a vu foisonner les dévotions baroques était plus religieux que le XIVe siècle, mais peut-être pas plus chrétien.
[fulltext] =>Les effets les plus importants de la Contre-réforme sur l’économie et la société ont été imprévisibles et indirects. Le premier est le plus connu, il s’agit de la lutte contre l'usure, redevenue un sujet brûlant. Tout contrat pouvait être implicitement relever de l’usure. Il était alors péférable se consacrer aux professions libérales et surtout à l'agriculture, étant donné que l'Église faisait preuve de beaucoup plus de souplesse à l'égard des revenus et de l'usure agricoles (le cens). Ce qui a fait progressivement naître une distance entre la société marchande et l'Église catholique. De même pour la théologie : vu que dans les régions transalpines la théologie pouvait être dangereuse et même conduire au bûcher, après la Réforme, les intellectuels italiens et latins se sont consacrés à d'autres disciplines (la musique, l’art, la littérature, le théâtre), et la théologie moderne est devenue essentiellement l’affaire des protestants. Pour s'en faire une idée, il suffit de jeter un coup d'œil sur le Manuel des confesseurs de l'abbé Gaume, très utilisé à l’époque : on y trouve une très longue liste de cas particuliers à vérifier soigneusement au cours de la confession (1852, p. 163). Ceux qui les connaissent bien, savent à quel point les hommes d'affaires détestent l'ingérence extérieure dans les choix du for interne de leur entreprise. Il valait donc mieux confier la pratique ordinaire des sacrements à leurs épouses ou à leurs sœurs, et éviter ainsi les pénitences, l’excommunication, le déshonneur et la disgrâce.
L'autonomie acquise dans le domaine de la gestion des réalités terrestres a été progressivement résorbée par une nouvelle cléricalisation de la vie et de la conscience. À la fin du Moyen Âge, les frères franciscains et dominicains exerçaient une régulation de l’éthique économique. Elle se déroulait dans le cadre de fréquentations et d’amitiés ordinaires : c’était un accompagnement participatif et solidaire de personnes en chair et en os bien repérables sur les places, et non pas imaginées dans les confessionnaux. Le traumatisme de la Contre-réforme a absorbé ce patrimoine de confiance et a recréé la suspicion mutuelle et les distances qui avaient caractérisé le premier millénaire chrétien.
Le rôle des ordres religieux est un deuxième effet indirect important de la Contre-réforme. Le climat créé par la Réforme a généré dans le monde catholique une suspicion générale à l'égard des anciens ordres religieux (Luther était un moine augustinien). Les monastères et les couvents, en particulier ceux des hommes, qui étaient des berceaux de spiritualité et de culture, ont commencé à être considérés comme des viviers potentiels d'hérétiques, parce que les moines et les frères étaient des érudits de l'Écriture et parce que leur élan charismatique les portait à s’ouvrir aux vents de la Réforme. De nombreux moines et frères ont été interrogés et condamnés. Certains franciscains, par exemple, accusés de luthéranisme, furent exécutés vers le milieu du XVIe siècle : Giovanni Buzio, Bartolomeo Fanzio, Girolamo Galateo, Cornelio Giancarlo, Baldo Lupatino. La réforme tridentine ne repose pas sur les anciens ordres (moines et mendiants), mais sur les nouveaux, en particulier les Jésuites, mais aussi les Barnabites, les Théatins, les Somaschi, les Capucins, ainsi que sur les prêtres diocésains. Cette nouvelle suspicion et ce mépris envers les moines des premiers temps n'ont pas seulement ralenti le développement de ces laboratoires économiques, culturels et technologiques qu'avaient été les monastères pendant de nombreux siècles ; cela a également compliqué l'action économique et sociale des franciscains et l’accompagnement des commerçants et des artisans dans les villes. Le développement que les Monts-de-Piété avaient connu grâce à l'action des Frères Mineurs, connut une crise à partir de la seconde moitié du XVIe siècle : les Monts, qui continuent à se multiplier mais se séparent progressivement des Franciscains pour devenir des institutions communales ou diocésaines. Ils perdent ainsi leur rôle de banques soutenant également l'activité des petites et moyennes entreprises pour devenir des organismes caritatifs ou de pure assistance : « Le Concile de Trente place les Monts-de-Piété parmi les Pieuses Institutions et les évêques devaient les visiter régulièrement. » (Maria G. Muzzarelli, cf. "Monts-de-Piété" dans le Dictionnaire d’Économie Civile.)
Un troisième effet indirect de la Contre-réforme est la "féminisation" progressive du sacré et de la religion : « Les hommes pouvaient se confesser, les femmes devaient le faire. » (Adriano Prosperi, Les tribunaux de la conscience), car se montrer en public lors des sacrements était pour les futures épouses une condition préalable pour qu’on demande leur main et pour qu’une fois mariées elles gagnent l’estime de tous. L’économie et la politique sont de plus en plus considérées comme l’affaire des hommes, tandis que le sacré et la vie de prière deviennent celle des femmes, qu’elles soient nonnes ou mariées - la maison et l'église. Les pieuses dévotions ne convenaient pas à la psychologie masculine et la religiosité populaire, de plus en plus féminine, s’accompagnaient de pratiques que les hommes évitaient car ils s’y sentaient mal à l’aise. Un processus n’a fait que s’accroître : l’ameublement et la décoration des églises étaient réalisés par et pour les femmes, avec un langage, des prières et des chants à leur goût. Cette féminité ne se ressentait pas dans les églises protestantes. La pratique de la religion catholique a commencé à devenir un métier de femmes régi entièrement par des hommes, comme une armée où les femmes étaient soldats et les hommes officiers. C’est aussi principalement par les femmes que l'Église entre dans la vie des familles et donc dans la société : « L'homme est naturellement païen et il appartient à l'épouse chrétienne non pas tant de le convertir que de sauver son âme. L'homme est naturellement porté à boire, à jouer, à blasphèmer, à harceler les femmes et à se battre; sa brave épouse ne s'oppose pas à ses habitudes, mais veille à l'essentiel, à savoir le minimum de messes, de sacrements et de dévotions nécessaires pour rester fondamentalement en paix avec le ciel. Il suffit alors de son âme soit cueillie directement sur son lit de mort » (Luigi Meneghello, Libera nos a malo). La théologie qui invitait à souffrir pour ou à la place d’autrui fonctionnait donc parfaitement dans cette oikonomia familiale : les femmes pouvaient sauver maris, pères et enfants en offrant pour eux des pénitences et des sacrifices.
La confession répondait également bien à l’aspect demande : les femmes, surtout les consacrées, trouvaient dans le prêtre le seul contact avec le monde extérieur et avec les hommes. C’était souvent pour elles l’occasion de vivre une relation d’amitié et de confiance. À tel point que la gestion des confessionnaux (qui se sont généralisés avec la Contre-réforme), ainsi que celle des guichets des monastères a fait l’objet d’une grande vigilance, en raison aussi des délits répétés de harcèlements et de racolage dans les confessionnaux, et des conflits entre moniales. Comme celui rapporté à Ferrare en 1623, lorsqu'un « confesseur, ne montrant de l'intérêt que pour une douzaine de jeunes religieuses, créa la division dans le monastère où de nombreuses soeurs, par dépit, s'abstinrent pendant des mois de la pratique de ce sacrement.» (Mario Sanseverino, Un ministère périlleux : confesser les religieuses dans la Naples de la Contre-réforme 1563-1700). C'est pourquoi, après le Concile de Trente, chaque monastère avait un seul confesseur dont le mandat fut limité à trois ans par Pape Grégoire XIII .
Il est intéressant de noter que si, au début de la règle des trois ans, ce sont les religieuses qui demandaient le respect de l'alternance, quelques décennies plus tard nombre d’entre elles ont souhaité une prolongation de ce mandat. Il n'est donc pas surprenant que vers la fin du XVIe siècle, dans plusieurs villes, les confesseurs aient commencé à percevoir un salaire, afin d'éviter les échanges de cadeaux et de gratifications entre religieuses et confesseurs. Autre interaction entre économie et religion : le versement d'une somme discrète (au monastère de Santa Croce à Lucques, par exemple, elle était de 60 ducats) utilisée comme un moyen de décourager la création de biens relationnels jugés inconvenants ou du moins imprudents. Le bien commun du monastère (ou du moins ce qui était perçu comme tel par les responsables, mais peut-être pas par les moniales) se prolonge avec l'introduction de l'argent public en remplacement des dons privés. Pour dire que l'argent chasse et remplace presque toujours les dons, mais il n'est pas évident d'évaluer les effets de cette substitution sur toutes les parties concernées - Les systèmes clientélistes et mafieux sont également vaincus grâce à l'introduction de contrats transparents.
Un dernier effet, enfin, concerne la comparaison avec les pays protestants. Dans le monde de la Réforme - nous a rappelé Max Weber - la profession, comprise comme vocation (beruf), a trouvé un grand écho dans la société civile. Après la fermeture des monastères par Luther et Calvin, l'idée s'est développée que le monde du travail et de la profession était le nouveau lieu pour promouvoir et cultiver la vocation chrétienne : le couvent est devenu la ville. De l'ora et labora des moines, les protestants ont repris le labora, qui est aussi devenu une nouvelle forme de prière. Le monde catholique de la Contre-réforme a également connu un courant provenant des monastères. Mais de la règle monastique ils ont retenu ora, la prière, qui est également devenue une nouvelle forme de travail, surtout pour les femmes, dans les monastères ou les maisons. En effet, ce sont les pratiques religieuses monastiques (idéal de perfection, accompagnement, combat spirituel, pénitences...) qui sont devenues l'idéal de vie des laïcs, notamment des femmes. Il n'est donc pas vrai que l'individualisme soit la marque du seul protestantisme. Il y avait aussi un individualisme catholique, bien que très différent. L'individualisme nordique s'est développé sur le terrain des droits et des libertés : c’est devenu l'individualisme du for externe ; l'individualisme latin et catholique s’est orienté vers le for interne, privé, familier et féminin, les femmes étant préposées aux soins des âmes et de leur foyer, mais exclues du for externe, domaine exclusif des hommes (dans les pays catholiques plus que dans les pays protestants).
Mais il y a de bonnes nouvelles. L'esprit qui a suscité et animé l’art du commerce n'est pas mort. Sous la cendre, des braises demeurent bien vivantes. Même s'ils ne le savent pas, de nombreux entrepreneurs italiens et espagnols ont le même ADN que les marchands qui ont fait la splendeur de nos villes et de nos églises, les mêmes vertus, le même amour du bien commun. Ils ne le savent pas, mais c’est ainsi. Le feu de l’esprit qui a animé la société marchande n’est pas éteint, il brûle encore, il ranime et vivifie.
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Je termine aujourd'hui la série des vingt articles consacrés à l'origine de l'éthique de la socité marchande. Un voyage passionnant et plein de surprises, comme cela s'est toujours produit dans les nombreuses séries d'articles écrits pour "Avvenire", grâce à la confiance courageuse de son directeur. Dès dimanche prochain, j'ai accepté de revenir à mon deuxième axe de recherche préféré: les commentaires bibliques. Nous allons aborder le livre de Ruth, toujours ensemble.
l.bruni@lumsa.itLa foire et le temple/20 - En quelques décennies, la Réforme et la Contre-réforme ont consommé la base éthique construite par les marchands du XIVe au XVIe siècle.
par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire 21/03/2020
Le XVIIe siècle était plus "religieux" que le XIVe siècle, mais peut-être pas plus "chrétien". L’amitié entre les Frères et les marchands s’est dissipée, laissant place à la méfiance et à la distance entre clercs et entrepreneurs.
Avec la Réforme protestante et la Contre-réforme catholique, la base éthique que les marchands italiens et européens avaient bâtie entre le XIIIe et le XVIe siècle a disparu en quelques décennies. L'éthique économique de la Contre-Réforme a régressé de quatre siècles, comme si Olivi, Duns Scot, Boccace, Francesco Datini, Benedetto Cotrugli, n'avaient ni écrit ni agi ; comme si les miracles de l’art et de la culture de Florence, Gênes et Venise avaient été effacés de la conscience collective. On a réhabilité les vertus aristocratiques héritées de la noblesse terrienne, et négligé celles de la société marchande. L'horloge de l'histoire s’est à nouveau réglée sur celle de la société féodale du XIe siècle. L'encyclique Vix pervenit de Benoît XIV (1745), qui déclarait légitime l'intérêt sur les hypothèques, reprenait les thèses des Franciscains, mais avec presque un demi-millénaire de retard. Les textes d'éthique économique du franciscain Bernardin de Sienne ou du dominicain Antonin de Florence, rédigées au Moyen-âge, sont encore étudiées et méditées aujourd'hui ; personne, en revanche, ne se souvient des homélies de Geronimo Garimberto ou des sermons de Carême de Paolo Segneri, les grands défenseurs de la morale économique à l’époque de la Contre-réforme. Le XVIIe siècle, qui a vu foisonner les dévotions baroques était plus religieux que le XIVe siècle, mais peut-être pas plus chrétien.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 15/03/2021
Les religieuses donnaient un grand sens au fait d'être cloîtrées, soumises à des pénitences parfois extrêmes, et pour l'Église et la société, ces vies recluses mais "fécondes" avaient de la valeur.
L'époque de la Contre-réforme fut une période décisive pour la culture économique et sociale de l'Italie et des autres pays de l’Europe méridionale. Une rupture est survenue dans l'évolution de l'éthique du commerce qui avait fait de Florence, Venise ou Avignon des lieux extraordinaires de richesse économique et publique. Parmi les nombreux visages de l'époque moderne, il y a aussi celui des femmes, en particulier celui de leur vie monastique, peu connu, caché et même dissimulé.
[fulltext] =>Le Concile de Trente avait réintroduit la clôture stricte pour les religieuses. Les évêques et les congrégations romaines ont renforcé les contrôles et les réglementations dans les monastères féminins. Face à une Église Réformée qui annonçait un salut opéré seulement par la grâce, qui remettait en cause la vie consacrée et allait jusqu'à l'abolir, qui avait fortement réduit le rôle des sacrements, qui réfutait radicalement la théologie des mérites, donc des indulgences, et gommait le Purgatoire, l'Église de Rome a fortement relancé l'importance des œuvres en vue du salut, multiplié les instituts de vie consacrée, renforcé la pastorale des sacrements, en particulier la confession, et réaffirmé la place centrale des mérites, des indulgences et du purgatoire.
Dans cette grande bagarre théologique, les premières et les plus nombreuses victimes furent, une fois encore, les femmes, surtout celles qui étaient confinées dans les monastères et les couvents. Un mouvement énorme, si l'on pense que parmi les sœurs choristes, les converses et les tiers ordres de certaines régions italiennes, les religieuses atteignaient au XVIIe siècle jusqu’à 10 -15% de la population féminine "adulte" (c'est-à-dire, à l'époque, âgée de plus de douze ans). Connaître un peu la vie de ces femmes, nous permet de mieux comprendre l'histoire de l'Europe et aussi celle de notre temps. Mais pourquoi y aurait-il une relation entre la vie des monastères féminins et l'économie ? On pense tout de suite à la devise bénédictine ora et labora, mais ce n'est pas le point le plus intéressant : en fait, paradoxalement, c’est au niveau de la spiritualité, de l’ascèse et de la mystique que la logique économique a fortement marqué la vie des moniales. Le Moyen Âge avait déjà produit sa propre "religion économique". Les pénitences tarifées des moines, où chaque péché était évalué selon sa gravité, sont devenues, après le XIIIème siècle, pareilles à des marchandises commercialisables. Elles avaient désormais une existence propre, distincte de celle du pécheur, de sorte qu’une faute pouvait être rachetée par une personne autre que son auteur. D'où tout le commerce des prières, des pèlerinages, jusqu'à celui, très fameux, des indulgences.
Avec la Contre-réforme le catholicisme a vu une forte renaissance de cette dimension économique et compensatrice, bien qu'avec des nouveautés importantes. L'une d'entre elles concerne directement les femmes. Si, en effet, au Moyen Âge, les acteurs du commerce religieux sont presque exclusivement des hommes, au début de l'époque moderne, les femmes sont en première ligne dans cette étrange version de la religion catholique. Les principales places boursières de cet étonnant marché étaient les monastères et les couvents, en particulier ceux des femmes. C’est ainsi que le capitalisme latin s’est paré d’une auréole divine. Voyons comment. Tout repose sur une interprétation particulière (et curieuse) de la signification et du rôle de la souffrance humaine, mise en relation avec celle du Christ. Nous savons que dans le Nouveau Testament, il existe une tradition qui considérait la passion et la mort de Jésus comme le prix payé à son Père en vue du pardon de nos péchés. Cette idée d'un Dieu-Père qui avait besoin du sang de son Fils pour être "satisfait" (car seul un prix de valeur infinie pouvait acquitter d’une dette infinie), a traversé le premier millénaire et a été théorisée par Saint Anselme d'Aoste.
Cette question était restée une affaire de théologiens, mais avec la Contre-réforme, elle revêt une importance considérable et incroyable dans les monastères, au point de devenir un pilier de l'âge baroque. L'ancienne théologie de l'expiation s'est transformée en une véritable culture, qui a imprégné les pratiques religieuses et la piété populaire. La souffrance humaine est ainsi devenue la principale monnaie d'échange pour le rachat de ses propres fautes et de celles des autres. Ce qui, au Moyen Âge, était le commerce des indulgences et des pèlerinages, est devenu, à l'époque de la Contre-réforme, celui de la souffrance, sous forme de pénitences, d'humiliations, de mortifications. Une souffrance essentiellement féminine. Le langage des Manuels à l’usage des Confesseurs, qui a explosé à cette époque, atteste ce changement: " œuvres pénales ", " œuvres satisfaisantes ", " réparation ", " âmes-victimes ". Le confessionnal est devenu le principal mécanisme de transmission de ce commerce de la souffrance.
Une expression est récurrente: la souffrance par procuration. C'est-à-dire que l'on a commencé à penser que l'on pouvait souffrir pour obtenir le salut d'autrui, que l'on pouvait payer de sa propre personne pour expier les fautes de quelqu’un, qu’il soit encore en vie ou au purgatoire. Sur la base de quelques citations de l'Écriture, comme par exemple ce verset de la lettre de St Paul aux Colossiens : « Je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » : Col 1,24) et d'une utilisation particulière de la catégorie de l'Église comme "corps mystique" (où ce qui se passe dans un membre affecte tous les autres), on a créé un immense marché de la douleur et de la souffrance. Ainsi, tandis que l'Europe du Nord développait des marchés au sens propre du terme, dans le Sud, on a appliqué des catégories économiques à la religion et aux femmes. L'un des éléments de ce système d'échange très original était ce que l'on appelait le "Trésor des mérites" du Christ et de Marie, des mérites si nombreux qu'ils dépassaient la somme des péchés humains ; l'Église pouvait donc "vendre" la partie excédentaire de ce trésor pour remettre les fautes d'autres pécheurs, par le biais des indulgences. Mais le coup de génie théologique fut de penser qu’en offrant nos pénitences et nos souffrances humaines on pouvait accroître ce Trésor d’un surplus disponible pour les pécheurs en vie et encore plus pour les âmes du purgatoire : « Dieu veut que la dette soit payée. » (Divine Comédie, Pg X,108). C'est ainsi que les monastères de femmes sont devenus des "centres producteurs" de cette richesse spirituelle : avec leurs pénitences, elles devaient gonfler ce Trésor.Veronica Giuliani disait : « Beaucoup d'âmes vont en enfer parce que personne n’est disposé à se sacrifier pour elles. »
D'où la prolifération, dans les monastères de femmes, de pénitences toujours plus raffinées, souvent ordonnées par les confesseurs grâce à leur énorme pouvoir sur les moniales. Le système atteint cependant son comble lorsque les religieuses intériorisent cette valeur sacrificielle et s'infligent alors des mortifications, des humiliations, et toutes sortes de supplices, en parfaite bonne foi, afin de se sauver et surtout de sauver les autres. Un équilibre parfait : les religieuses attribuaient un sens et une valeur à leur condition de "victimes recluses" parce qu'elles considéraient leur propre sacrifice comme une offrande agréable à Dieu et aux hommes ; l'Église et la société attribuaient une valeur sociale et religieuse à ces vies recluses mais "fécondes". Les biographies ou les autobiographies de religieuses sont à cet égard impressionnantes : « Le confesseur a convenu que deux heures de sommeil par nuit, avec un drap déchiré comme seule couverture, seraient suffisantes. Il lui donna un nouveau cilice hérissé de plus de cinq cents épines et un fouet à pointe de fer, et ne s'opposa pas à ce que Marie-Madeleine porte des chaînes dentées comme une scie aux bras et aux jambes. » (Anne J. Schutte, "Horrid and Strange Penances", pp. 159 ; 266). Dans une autre biographie : « Une réponse semblable fut donnée par Dieu lorsque, une nuit de Noël, Sœur Margerita demanda à être placée entre le bœuf et l'âne pour adorer l'Enfant Jésus : "Dans la crèche il n'y a pas de place pour vous, parce que, comparés à vous, les animaux présentent des qualités plus grandes et plus méritoires". » (Mariano Armellini, "Margherita Corradi, religieuse bénédictine" (1570-1665), 1733). Et dans la célèbre histoire de Sœur Maria Crucifissa : « Avant le déjeuner, pendant que les sœurs étaient au réfectoire, je suis allée à quatre pattes, telle une Bête enchaînée, baiser les pieds des sœurs. » (Francesco Ramirez, 1709).
Les livres de spiritualité destinés aux religieuses constituent une autre source essentielle: « Dès que vous vous réveillez, imaginez que vous êtes un criminel enchaîné, amené au tribunal pour être jugé, ou que vous êtes un lépreux, couvert de plaies ; et avec ces pensées ou d'autres semblables, allez vous habiller. » (Giovanni Pietro Pinamonti, "La religiosa in solitudine", 1697, p. 31). Et dans un manuel très populaire destiné aux confesseurs et rédigé par Alphonse Marie de Liguori (XVIIIe siècle), on peut lire: « La pénitence doit donc être non seulement un remède bienfaisant pour la vie future, mais aussi une peine réparatrice pour la vie passée. Les pénitences, généralement utiles à tous, consistent à entrer dans quelque congrégation. » (Alfonso M. de' Liguori, "Il sacerdote provveduto", p. 240). Entrer dans une congrégation est donc considéré comme une forme de pénitence utile à tous. Ces idées et ces pratiques ont perduré pendant des siècles, dans de nombreux cas jusqu'au Concile Vatican II. Dans un texte datant du siècle dernier on peut lire : « Dans le couvent des dominicaines de Vercelli, il y avait, entre autres, une règle qui interdisait de boire entre les repas sans la permission de la supérieure, qui, cependant, ne l'accordait que très rarement, encourageant les sœurs à ce petit sacrifice en mémoire de la soif endurée par Jésus sur le Calvaire" (Luigi Carnino, "Le Purgatoire dans la révélation des Saints", ch. 17, 1946). Il n'a pas été du tout facile pour moi de concevoir et de rédiger cet article. Je l'ai écrit comme si je gravais une pierre tombale, une stèle à la mémoire de ces femmes-victimes qui sont presque toujours inconnues. S’arrêter devant elles, réfléchir, pleurer. Écrire, c'est donc aussi s'excuser auprès d'elles des siècles plus tard - des excuses par procuration que je fais en tant qu'homme au nom de ceux d’une autre époque.
La souffrance humaine peut avoir un sens. Peut-être que certaines ou beaucoup de ces religieuses étaient plus grandes que leur destin et que ces théologies erronées et violentes envers le corps des femmes. C’est possible. Mais Job, dès l’Ancien Testament, et ensuite les Évangiles nous avaient dit que seules les idoles aiment le sang de leurs adorateurs. Le Dieu de la Bible est tout autre. Seule une conception erronée de l’homme et surtout de la femme peut envisager d’utiliser la souffrance humaine comme monnaie d'échange agréable à un Dieu, quel qu’il soit. Une dernière remarque. Tout ce commerce du sang et des sacrifices des femmes était entièrement gratuit. L'Église, à travers ses hommes, vendait des indulgences et demandait aux fidèles des offrandes en expiation des péchés : « La règle est : pour les péchés d'avarice, l’aumône. » (Alfonso M. de' Liguori, citation). Au contraire, les pénitences corporelles des religieuses relevaient d’une offrande librement consentie et entièrement gratuite : ces femmes étaient le symbole du sacrifice gratuit, affranchies de toute transaction monétaire. Des décennies, des siècles ont passé. Les moniales et les sœurs qui entrent aujourd'hui dans les monastères et les couvents sont très différentes, et ignorent bien souvent ces réalités du passé. Ces pénitences d’antan ont été abolies par le Concile Vatican II, même si subsiste, enracinée chez de nombreux chrétiens, l'idée théologique que notre souffrance peut être une "monnaie d’échange" volontiers agréée par le Dieu- créditeur des hommes, que le sacrifice de ses enfants plaît à Dieu , le rendant ainsi pire que nous. Mais dans la vie publique et économique, les femmes sont encore trop souvent victimes d’expiations par procuration et continuent à payer, au prix de leur chair, pour leur famille et pour la société, leur travail n’est pas reconnu ou bien sous-évalué, souvent au nom de la gratuité. Des femmes très éloignées et différentes, des souffrances encore trop semblables.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 15/03/2021
Les religieuses donnaient un grand sens au fait d'être cloîtrées, soumises à des pénitences parfois extrêmes, et pour l'Église et la société, ces vies recluses mais "fécondes" avaient de la valeur.
L'époque de la Contre-réforme fut une période décisive pour la culture économique et sociale de l'Italie et des autres pays de l’Europe méridionale. Une rupture est survenue dans l'évolution de l'éthique du commerce qui avait fait de Florence, Venise ou Avignon des lieux extraordinaires de richesse économique et publique. Parmi les nombreux visages de l'époque moderne, il y a aussi celui des femmes, en particulier celui de leur vie monastique, peu connu, caché et même dissimulé.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 07/03/2021
Entre le Moyen-Âge et la modernité, la vie sociale et économique des monastères féminins s'est enrichie de la bénédiction de l’ "ora et labora", de péchés collectifs et de "joyeuses" désobéissances.
« En 1602 à Rome, il y eut un procès après la découverte d'un trou percé dans la pièce des épices d'où l'on pouvait voir la rue. Il est apparu que la seule coupable était une jeune converse, Sœur Damiana, qui a admis avoir pratiqué cette ouverture avec la grande broche utilisée pour la cuisson des rôtis . Interrogée sur ses raisons, elle a répondu que ce n'était "rien d'autre pour voir les gravats sur le côté, qui se détachaient, j'avais envie de voir d'où ils venaient. » (Alessia Lirosi, Les monastères féminins à Rome à l’époque de la Contre-réforme, Viella 2012).
La vie sociale et économique des monastères de femmes entre le Moyen Âge et la modernité constitue une immense richesse. Dans ces clôtures collectives, presque toujours forcées, se sont déroulés des processus humains qui sont aujourd'hui presque entièrement oubliés, même par le mouvement des femmes et des féministes. En ce 8 mars, mon premier souhait s’adresse à ces religieuses, et à leurs sœurs d'aujourd'hui.
[fulltext] =>Les monastères féminins ont toujours été des institutions où la liberté était restreinte et contrôlée par des hommes. Des hommes, presque toujours célibataires, qui à partir de l’archétype féminin de leur imagination, ont édicté des règles pour régir la vie de femmes en chair et en os : « Le vœu de chasteté étant tel, les religieuses y sont d'autant plus tenues en raison de la fragilité de leur sexe. » Et pour protéger le sexe fragile qui, selon ces théologiens, les exposait plus facilement (que les hommes !) au péché de chair, « la supérieure doit veiller à ce que les barreaux en fer des grilles des parloirs soient suffisamment ressérés pour qu’on ne puisse y passer la main. » (Giovanni Pietro Barco, Specchio religioso per le monache, 1583). Aussi la clôture ne visait-elle pas seulement à "enfermer des femmes" mais aussi, comme le rappelle mon amie carmélite Antonella, à "éloigner" les hommes du monastère et empêcher leur ingérence, même sans jamais y parvenir complètement.
Les monastères de femmes ont également vécu à leur manière la maxime ora et labora : parallèlement et à côté du travail de copiste (qu’on ne met pas encore assez en valeur), ils ont vu naître de véritables écoles de broderie (selon l'école italienne qui laisse à découvert le bas du tissu). Un autre secteur "habituel" était celui de la confection de gâteaux (et aussi de liqueurs) : « La ville de Bologne fait un commerce notable de confitures ou de gelées de coing. Les religieuses rivalisent dans la confection de ces douceurs. » (Jean-Baptiste Labat, Diario, 1706). Dans toute la Sicile, des religieuses se sont spécialisées dans la fabrication de gâteaux et de friandises. Les recueils des recettes les plus rares étaient considérés comme une sorte de monopole secret des monastères féminins - la "frutta martorana" vient du monastère féminin de la Martorana. Toujours en Sicile (Noto), le travail de la cire dans les monastères de femmes était réputé et d’un niveau remarquable. On y produisait également du vinaigre, des parfums, on y cultivait des fleurs, on y fabriquait des roses en soie, des savons, mais aussi des cilices, des fouets, des chaînes, des bracelets et colliers pour filles (Antonino Terzo di Palazzolo et Lina Lupica, Les travaux des Moniales, 1991).
Leur travail artistique était important et peu connu. En plus de jouer de divers instruments et d'être respectées et recherchées comme professeurs de chant, les soeurs écrivaient des poèmes et des pièces de théâtre qui étaient mis en scène à l’occasion des célébrations religieuses (Elissa B. Weaver, théâtre dans les couvents italiens au début de l’époque moderne). Après le Concile de Trente, les abbesses ont opposé une forte résistance aux évêques qui essayaient d'imposer des restrictions en matière de théâtre, de musique et de chant dans les monastères : « Qu'aucune comédie ni représentation n’ait lieu. » (in Angela Fiore, la tradition musicale du monastère des clarisses de Sainte Claire à Naples). Ces interdictions sont presque toujours ignorées. Il est intéressant de noter la figure de Soeur Plautilla Nelli (1524-1588), mentionnée par Vasari : il note que les saints de Soeur Plautilla étaient très "féminins" : « Sœur Plautilla Nelli remplaçait Cristi par Criste" (Vincenzo Fortunato Marchese, Memorie dei più insigni pittori...).
En consultant les archives, et en particulier des livres de chroniques rédigés par les moniales elles-mêmes, il est évident et manifeste que ces monastères reflètent les structures sociales et les hiérarchies qui les avaient engendrés : riches et pauvres, patriciens et plébéiens, hommes et femmes. Les religieuses étaient divisées en choristes (ou voilées) et converses (ou servantes), parfois appelées "dames" et "servantes" (Clarisse de Naples). Les choristes, qui priaient dans le chœur et avaient fait profession solennelle, étaient les religieuses de plein droit. Elles élisent l'abbesse, qui doit nécessairement être choisie parmi elles, et peuvent être des "fonctionnaires", c'est-à-dire occuper les fonctions liées à la gouvernance des monastères - apothicaire, maîtresse de chœur, maîtresse des novices, portier, vicaire, chambellan, sacristain, trésorier, cellérier -, et elles seules peuvent faire partie du conseil des abbesses (les moniales "discrètes"). Les sœurs converses étaient souvent analphabètes, socialement inférieures et traitées comme telles, elles dormaient dans des dortoirs, devaient s'occuper des tâches ménagères, des sœurs malades et des travaux les plus subalternes du monastère. Elles dispensent ainsi les sœurs voilées des tâches ingrates. Et si une religieuse savait lire, elle devait s'en abstenir pour conserver ses distances avec les choristes "de haut rang".
Après le Concile de Trente, les converses ont été transférées dans un bâtiment séparé, bien qu'elles aient continué à être les servantes personnelles de chaque choriste. À San Silvestro in Capite (Rome), en 1665, les choristes se plaignaient que les converses de l'infirmerie ne voulaient pas accomplir les tâches les plus humbles, et qu'elles ne cédaient pas leur place au parloir. Le mépris de la société pour les soins infirmiers, qui marque encore notre civilisation, ne dépend pas seulement de leur caractère féminin et donc domestique ; il résulte également de la hiérarchie sociale entre les femmes. Les femmes nobles l'étaient aussi parce qu'elles n'étaient pas préposées aux soins infirmiers, grâce à d'autres femmes pauvres (hier dans les monastères et les palais patriciens, aujourd'hui dans nos maisons). Et pourtant, au sein de ces paradoxes qui aujourd'hui nous sont incompréhensibles si nous ne faisons pas un effort considérable d'empathie historique, quelque chose de nouveau était en train de naître.
Un premier domaine, aussi problématique que paradoxal, est celui du droit pénal. La conception de la peine, comprise comme rééducation et réhabilitation, est attribuée au mouvement des Lumières et à l'utilitarisme du XVIIIe siècle (Beccaria et Bentham). Le rôle des monastères est rarement mentionné. C'est également pour punir les moines et les nonnes que la peine a évolué sous la forme d'un emprisonnement durable dans une prison du monastère, absent dans le monde antique. Par exemple, dans le monastère augustinien de Santa Marta à Rome, la religieuse qui avait commis une faute très grave « était séquestrée, avec discrétion et charité, toujours à condition qu'elle se convertisse et fasse pénitence". La prison avait pour objectif le rachat des coupables, ce qui se rapproche de la vision moderne de la punition. Le champ lexical de l’univers carcéral ne va pas sans rappeler celui des monastères : "cellules" et "parloir".
La vie économique des monastères de femmes est une mine presque entièrement inexplorée. Tout d'abord, un étonnement (du moins le mien) : celui de la résistance des religieuses à la "communion des biens", que le Concile de Trente a tenté de réintroduire. À la lecture des documents, on constate que, malgré les visites et les directives des évêques, les monastères féminins ont désobéi au sujet de la propriété privée des religieuses. Pourquoi ?
Significatif également l’épisode rapporté dans l'ouvrage fondamental d'Alessia Lirosi sur les monastères romains. En 1601, le cardinal protecteur demanda l'abolition de la propriété privée personnelle : « Lorsque le cardinal eut fini son discours, d'un commun accord, toutes les Abbesses répondirent qu'elles avaient eu dans le passé le même désir ; mais que le monastère n'avait pas la faculté de maintenir ces biens en commun, de sorte que les moniales furent obligées de reprendre chacune leurs biens. » Elles ont donc essayé, dit l'abbesse, mais la gestion commune n'a pas fonctionné. Le cardinal a insisté, aussi les religieuses « sans faire d'autre réponse, avec une joie indicible, ont apporté dans la pièce du crucifix des draps de lin et de laine, et tout ce qu’elles avaient comme biens personnels.» Mais, ajoute A. Lirosi, « après ce brutal tour de vis, quelque chose s'est lentement relâché. En fait, quelques années plus tard, en 1607, les dispositions données par le cardinal ont été réitérées, interdisant à nouveau les broderies et les soieries sur les nappes de l'autel de chacune ou sur leurs rideaux. » Les abbesses et leurs moniales ont donc résisté à l'ordre de la communion des biens. Cette désobéissance était-elle l'expression d'un attachement à leurs biens de la part de ces riches femmes nobles ? Ce fut parfois le cas, peut-être presque toujours. Mais je pense que certaines abbesses ont désobéi pour quelque chose de beaucoup plus important. Et dans ces quelques religieuses différentes, ne serait-ce qu'une seule, se trouvaient toutes les femmes du monde.
Lorsque la vie nous conduit dans un enfermement, et qu'un jour nous nous approchons de la grande broche pour faire un trou dans le mur afin de voir la vie s'écouler au-delà de notre enceinte, nous découvrons soudain la valeur des choses. Elles s'illuminent autant, sinon davantage, que l'autel et les statues de la chapelle. Elles nous parlent, elles nous disent qu’on existe vraiment, qu’on est bien là. Et l’on comprend que le fait d’être obligé de sortir nos affaires de notre coffre, "les broderies et les soies des nappes du petit autel", de renoncer à ces petits riens qui nous permettent de dire c’est à moi ("Que personne ne consière une chose comme sienne, mais puisse dire de toutes qu’elles sont les nôtres et retienne comme mal de dire : c’est à moi ", Constitution monastique citée citée par Lirosi) est une violence excessive, à laquelle les moniales et leurs abbesses ont résisté (une belle solidarité entre femmes, du moins dans ce cas), en raison de cet instinct vital propre aux femmes. Il y a une réalité proprement féminine et différente que nous n'avons pas encore comprise.
Le sens véritable et juste de la propriété privée n'est peut-être pas né uniquement dans les traités de Locke ou de Duns Scot ; quelques lignes ont même été écrites à l'intérieur de ces cloîtres, lorsque certaines femmes ont refusé de dire c’est à nous parce qu'elles avaient le sentiment que ce nous les tuait purement et simplement. Cela nous rappelle que tous les "notres" ne sont pas bons, mais seulement ceux qui sont nés des rencontres gratuites entre de nombreux "miens" offerts. Hier et aujourd'hui. La bonne communion des biens est le point d'arrivée du voyage, c'est l'aboutissement d'un processus de communion de vie qui s'épanouit un jour en une communion de biens, jamais imposée ni demandée d'office comme le paiement dû aujourd'hui pour un chèque en blanc signé hier. La "mine" qui ressuscite en "nôtre" ne peut être que le fruit de mon choix qui devient aussi le vôtre. A l'extérieur et à l'intérieur des monastères. Trop de "nôtres" ne sont au contraire que des couvertures idéologiques d'abus de pouvoir et de violence. Tout comme il existe une propriété privée née du péché individuel - a rappelé Duns Scot - il existe aussi une propriété commune qui naît du péché collectif.
Le trou que Soeur Damiana perce dans le mur, le refus répété de la destruction des oeuvres théâtrales, la désobéissance des abbesses aux cardinaux faite avec "jubilation", doivent être comptés parmi les actes de liberté qui ont engendré l'esprit de ma modernité, celui des hommes et des femmes. Mais aujourd’hui notre société laïque l’ignore.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 07/03/2021
Entre le Moyen-Âge et la modernité, la vie sociale et économique des monastères féminins s'est enrichie de la bénédiction de l’ "ora et labora", de péchés collectifs et de "joyeuses" désobéissances.
« En 1602 à Rome, il y eut un procès après la découverte d'un trou percé dans la pièce des épices d'où l'on pouvait voir la rue. Il est apparu que la seule coupable était une jeune converse, Sœur Damiana, qui a admis avoir pratiqué cette ouverture avec la grande broche utilisée pour la cuisson des rôtis . Interrogée sur ses raisons, elle a répondu que ce n'était "rien d'autre pour voir les gravats sur le côté, qui se détachaient, j'avais envie de voir d'où ils venaient. » (Alessia Lirosi, Les monastères féminins à Rome à l’époque de la Contre-réforme, Viella 2012).
La vie sociale et économique des monastères de femmes entre le Moyen Âge et la modernité constitue une immense richesse. Dans ces clôtures collectives, presque toujours forcées, se sont déroulés des processus humains qui sont aujourd'hui presque entièrement oubliés, même par le mouvement des femmes et des féministes. En ce 8 mars, mon premier souhait s’adresse à ces religieuses, et à leurs sœurs d'aujourd'hui.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 28/02/2021
Le système de la dot qui écarte les femmes de l'héritage a été établi par les chartes municipales italiennes dès le 13ème siècle et s'est développé avec l’ascension de la société marchande.
Du Moyen Âge à la modernité l’essor du marché de la dot est l'un des phénomènes économiques et sociaux les plus importants : cela donne l’idée du prix fort payé par les femmes, victimes sacrifiées sur l'autel de la société marchande. La dot était la part de l'héritage paternel qu'une fille recevait au moment de son mariage. Une fois qu'une femme avait obtenu sa dot, elle n'avait plus aucun droit sur les biens de sa famille d'origine. La dot était donc la somme à payer pour exclure les filles de l'héritage de leur père, de manière à privilégier une ligne de succession entièrement masculine. Le système de la dot comme moyen d'exclure les femmes de l'héritage a été établi par les chartes des villes italiennes dès le treizième siècle, et il n’a fait que croître avec la richesse des nouvelles familles de marchands. Le mariage des filles devient un problème de plus en plus lourd pour les familles patriciennes, au point que Dante regrette la Florence de son ancêtre Cacciaguida : à cette époque les marchands n’étaient pas influents et « la fille qui naissait n’était pas encore pour son père un objet de terreur» (Pd XV, 103). Dante résume ici en un seul vers l'essence du phénomène de la dot à Florence, où la naissance d'une fille s’accompagnait d’une future obligation financière. Cette discrimination à l'égard des femmes pouvait se lire sur le visage des femmes, à commencer par celui des sages-femmes, qui devaient annoncer la triste nouvelle à une autre femme qui venait d'accoucher d'une fille - des expériences et des peines que, Dieu merci, nous ne comprenons plus et que nous avons oubliés. Alors que le célibat était pour les hommes une marque avantageuse, pour les femmes c’était au contraire une situation sociale dévalorisante et humiliante.
[fulltext] =>À partir de la fin du XIVe siècle apparaît en Italie une inflation de ce qui était devenu pour la nouvelle aristocratie le "prix des filles": à Venise il est passé de 800 ducats à la fin du XIVe siècle à 2.000 au début du XVIe siècle, et à Rome, au cours du XVIe siècle, la dot est passée de 1.400 à 4.500 écus (Mauro Carboni, La dot de la "pauvreté", p.30). Cette inflation était principalement due à la concurrence entre les familles riches, qui utilisaient leurs filles comme un atout pour affirmer la supériorité de leur rang social , dans une dynamique désormais connue sous le nom de "dilemme du prisonnier", où l'augmentation du prix des dots ne bénéficiait à aucun des "compétiteurs", sauf, dans certains cas, aux épouses qui voyaient leur poids économique augmenter au sein de la famille de leur mari.
Avec la Renaissance, puis, parmi les familles aristocratiques italiennes, l'institution romaine du fidéicommis, dans ses variantes du "droit d’aînesse" et de la "primogéniture", est redevenue populaire. Les héritages étaient entièrement laissés à un seul héritier mâle, généralement le fils aîné, le "major". Cela a permis la préservation de biens qui, s'ils étaient partagés entre de nombreux héritiers, risquaient d’être disséminés. Cette "innovation" a cependant produit deux effets secondaires majeurs. Les fils cadets masculins (c'est-à-dire tous sauf le premier) ont été progressivement découragés par leurs familles de se marier, à tel point qu'au XVIIIe siècle, ils se trouvaient de fait dans l’impossibilité de contracter mariage : il leur restait la carrière militaire ou ecclésiastique. Le deuxième effet concerne le sort des filles de riches. Le manque d’hommes du même rang signifiait que la demande de maris dépassait de loin l'offre. Mais si un père patricien donnait sa fille en mariage à un non-patricien, il dispersait sa dot et compromettait la bonne réputation de sa famille . Le "bien commun" de la famille était dans ce cas beaucoup plus important que le bien des individus, en particulier des femmes. Que faire alors ?
Tout d'abord, les familles devaient, presque à tout prix, parmettre à leurs filles d’avoir une dot. Ainsi, en 1425, la Commune de Florence crée un fonds pour les filles sans dot : le Mont-de-Piété des dots. Elle a été suivie par de nombreuses autres institutions semblables, notamment le "Mont des mariages" à Naples (1578) et le "Mont du mariage" à Bologne (1583). C’était à la fois des établissements de crédit et des institutions caritatives, car en plus de garantir des intérêts sur les dépôts, ils géraient également des legs et les dons privés et publics, au profit de jeunes filles sans dot ou avec une dot insuffisante. À Florence, entre 1425 et 1569, environ 30 000 filles sont inscrites au Mont des dots. Le premier Florentin à utiliser le Mont, Federigo di Benedetto di Como, a déposé 200 florins pour sa fille Diamante ; lorsque celle-ci s'est mariée en 1440, la dot qu'il a liquidée s’élevait à 1000 florins - et comment ne pas penser aux efforts des Franciscains pour faire accepter par l'Église le paiement de 5 % par an dans leurs Monts-de-Piété ? Les familles que l'on trouve inscrites dans les registres du Mont sont avant tout celles de riches marchands de Florence - les Acciauoli, Pazzi, Rucellai, Medici, Bardi, Strozzi -, qui ont manifestement eu recours au Mont pour mieux rentabiliser leurs investissements. La moitié des filles riches de Florence avaient un titre (un "livret") au Mont, et ce n'est pas surprenant. Au contraire, il est étonnant de voir de nombreuses filles d'artisans modestes (par exemple les padrenostrai) tenir un compte. Un parent d'origine modeste et pauvre faisait l’ impossible pour ouvrir un compte pour la dot de sa fille, car il savait que ce livret pourrait être la seule chance de lui offrir un avenir meilleur (Anthony Molho et Paola Pescarmona, "Investissements au Mont des dots de Florence", Quaderni storici, 21).
La noble Alessandra Macinghi negli Strozzi a écrit à propos du prochain mariage de sa fille Caterina : « Je lui donne une dot de mille florins, c'est-à-dire cinq cents qu'elle doit recevoir en 1448 du Mont [des dots], et les cinq cents autres que je lui donnerai (en argent et pour son trousseau) quand elle se mariera. » Et d’ ajouter : « Mais celui qui prend femme veut de l'argent, et je n'ai trouvé personne qui veuille attendre jusqu'en 1448 pour avoir la dot, et une partie en 1450 : si donc je lui donne ces cinq cents florins en argent et pour son trousseau, ils seront à moi si elle vit en 1450. » (Lettres d’une dame fiorentine<, 1877, p.4). La liquidation rapide de la dot était en fait un risque, car en cas de décès de la douairière, le montant rendu par le Mont-de-Piété était fortement réduit.
Le montant de la dot de la mariée était donc un indicateur de son rang social. La dot restait, officiellement, la propriété de la femme mais était administrée par son mari, et revenait à son épouse en cas de veuvage. Une femme privée de sa dot, parce que sa famille s'était appauvrie ou était tombée en disgrâce, était considérée comme "en danger" et exposée au vice. D'où la naissance de nombreuses institutions d'aide aux femmes sans dot, souvent sous la protection de Marie-Madeleine, qui accueillaient des jeunes filles ou des femmes tombées dans le péché (par exemple, les prostituées). Des lieux de protection fermés, qui, tout en maintenant les femmes à risque dans un isolement forcé, collectaient des dons pour leur garantir une dot au moment de leurs fiançailles – leur prétendant "touchait leur main" devant témoins – ou au moment de leur entrée au couvent (Luisa Ciammitti, "Combien ça coûte d'être normal. La dot au conservatoire féminin de Santa Maria del Baraccano (1630-1680)", Quaderni storici, 18).
Il existe en effet une relation étroite entre le marché de la dot et la vie religieuse. Que faire des filles qui n'avaient pas pu être "placées" sur le marché du mariage ? Se résigner à épouser un mari de rang social et économique inférieur était une humiliation et avait un "coût" trop élevé que les familles patriciennes n’étaient pas prêtes à accepter. Les monastères et les couvents ont donc offert une solution. Pour les familles riches, l’entrée au couvent d'une fille était devenue le principal moyen « d'éliminer le surplus de femmes de ce marché matrimonial en les plaçant dans des couvents, les rendant ainsi institutionnellement stériles. » (Susanna Mantioni, vocations forcées et formes de résistance à la société patriarcale de Venise après la contre-réforme, 2013). Si un capital trop précieux (une fille de l’aristocratie) ne pouvait pas être correctement placé sur le marché, il devait disparaître dans le monastère. Car il était préférable d’éliminer plutôt que de vendre un bien aussi précieux, car sa vente au rabais à une famille de second rang aurait amorcé un déclin social associé à des coûts imprévisibles. L'éviction par la clôture était la meilleure solution. Par ailleurs le sacrifice de quelques filles patriciennes envoyées au couvent permettait le mariage convenable de leurs sœurs plus fortunées. Précisons aussi que la dot monastique, ou spirituelle, était beaucoup moins chère que la dot matrimoniale (jusqu'à vingt fois moins). Cela explique à la fois la multiplication des couvents et des monastères féminins après le XVe siècle, et pourquoi presque toutes les religieuses de l'époque moderne sont issues de familles nobles ou de la classe moyenne supérieure, et pourquoi plus de la moitié des filles de familles riches sont devenues religieuses ou sœurs.
Mais il y a plus. Les familles les plus riches faisaient construire des cellules privées pour leurs filles, de véritables appartements à l'intérieur des monastères, qui restaient à l'usage exclusif de la religieuse duant toute sa vie. Ces religieuses géraient souvent leur propre dot, ainsi que les revenus de leur propre capital. Cela met en évidence un rapport complexe entre la vie communautaire, la propriété privée et l'utilisation symbolique de l'espace personnel dans les monastères du début de l'ère moderne (Silvia Evangelisti, « Usage et transmission des cellules dans le monastère de Ste Julie de Brescia », Cahiers historiques, 30). Ces notes suffisent pour comprendre pourquoi Thérèse D'Avila a réformé la vie monastique des femmes.
Une dernière remarque. L'utilisation du registre sémantique du don pour des opérations de ce genre est très importante. Giovanni Tiepolo, patriarche de Venise, déclare à propos des moniales : « Elles faisaient de leur propre liberté un don non seulement à Dieu, mais aussi à leur patrie, au monde et à leurs plus proches parents. » (début des années 1600).
Mais de quel don s’agissait-il pour ces filles qui n'avaient pas choisi leur vie ? C'était avant tout celui de leur père et non pas pas le leur. C'était le prix que leur famille et la société demandaient à ces femmes pour sauver l'ordre social et la lignée. C'est un don semblable à celui pratiqué par les potlach des îles du Pacifique étudiés par Marcel Mauss (1925) où le "don" n'avait rien de gratuit, mais n'était que le langage du pouvoir politique et commercial, qui allait jusqu'à détruire l'objet donné (potlach dissipatif), pour affirmer sa propre supériorité.
Seuls les anges connaissent le drame de ces femmes devenues la monnaie d’échange permettant l’essor de la société marchande : ce sont là des océans de souffrance endurée dans les monastères et à l'intérieur des maisons. Les larmes de ces femmes ont été la première eau avec laquelle nous avons façonné et édifié la ville moderne.
La seule petite consolation qui nous reste, partielle mais non pas vaine, est de penser que certaines de ces religieuses, beaucoup peut-être, auront été plus grandes que leur destin. Comme leur "époux", elles se sont retrouvées, sans le vouloir, clouées sur une croix, et là, certaines d'entre elles ont décidé de vivre cette douleur innocente et non choisie comme une offrande, comme un don différent et enfin libre. Et parfois, elles ont vécu une résurrection. Si aujourd'hui, de nombreuses femmes peuvent vivre leur vie dans des couvents et des monastères comme un véritable don et une véritable liberté, derrière ces dons et cette liberté se cachent aussi ces résurrections d’antan.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 28/02/2021
Le système de la dot qui écarte les femmes de l'héritage a été établi par les chartes municipales italiennes dès le 13ème siècle et s'est développé avec l’ascension de la société marchande.
Du Moyen Âge à la modernité l’essor du marché de la dot est l'un des phénomènes économiques et sociaux les plus importants : cela donne l’idée du prix fort payé par les femmes, victimes sacrifiées sur l'autel de la société marchande. La dot était la part de l'héritage paternel qu'une fille recevait au moment de son mariage. Une fois qu'une femme avait obtenu sa dot, elle n'avait plus aucun droit sur les biens de sa famille d'origine. La dot était donc la somme à payer pour exclure les filles de l'héritage de leur père, de manière à privilégier une ligne de succession entièrement masculine. Le système de la dot comme moyen d'exclure les femmes de l'héritage a été établi par les chartes des villes italiennes dès le treizième siècle, et il n’a fait que croître avec la richesse des nouvelles familles de marchands. Le mariage des filles devient un problème de plus en plus lourd pour les familles patriciennes, au point que Dante regrette la Florence de son ancêtre Cacciaguida : à cette époque les marchands n’étaient pas influents et « la fille qui naissait n’était pas encore pour son père un objet de terreur» (Pd XV, 103). Dante résume ici en un seul vers l'essence du phénomène de la dot à Florence, où la naissance d'une fille s’accompagnait d’une future obligation financière. Cette discrimination à l'égard des femmes pouvait se lire sur le visage des femmes, à commencer par celui des sages-femmes, qui devaient annoncer la triste nouvelle à une autre femme qui venait d'accoucher d'une fille - des expériences et des peines que, Dieu merci, nous ne comprenons plus et que nous avons oubliés. Alors que le célibat était pour les hommes une marque avantageuse, pour les femmes c’était au contraire une situation sociale dévalorisante et humiliante.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 07/02/2021
La beauté morale de l'entrepreneur ne dépend pas seulement de ses compétences, car la richesse est et reste tragiquement éphémère. La vertu poursuit son combat avec la richesse.
La littérature est révélatrice de l'esprit d’une époque. Si donc la littérature est grande, l'esprit qu'elle révèle transcende son époque et son espace. Mais quand la littérature est immense, son esprit est pour toujours et pour tous. On peut - et on doit - lire des documents, des archives, d es chroniques sur l'éthique commerciale entre le Moyen Âge et la Renaissance, et comprendre quelque chose. Puis, un jour, on relit la Divine Comédie et le Décaméron, et on comprend autre chose, ce qui éclaire différemment les documents et les chroniques.
Dante fut génial dans beaucoup de domaines, mais il n’a pas compris la nouvelle économie : « Il est complètement sourd au sens des réalités économiques. » (Ernesto Sestan, "Dante et Florence", 1967, p. 290). Bien que très proche du mouvement franciscain, il ne suit pas la ligne de Pietro di Giovanni Olivi et des autres frères théologiens-économistes qui, en observant les marchands dans les villes, sont parmi les premiers à comprendre que tout le commerce n'est pas vicié, que tous les prêts à intérêt ne sont pas malhonnêtes. Dante, en revanche, reste lié à Aristote (et peut-être à Thomas), et n'entre donc pas dans le quatorzième siècle, ni dans la nouvelle dimension économique de l'Humanisme, où l'art du commerce invite à la vertu et à la civilité chrétienne.
Dante portait plutôt le regard d’un aristocrate sur les marchands, avec la notalgie d'une Florence noble qui n'était plus là. Les paysans installés en ville, devenus riches grâce au commerce et aux banques, furent pour lui la première cause de la décadence morale de sa ville, l'abandon de la "courtoisie et de l’éthique" : « Ces nouvelles populations et les gains faciles n’ont engendré chez toi qu’orgueil et démesure, Ô Florence, de sorte que déjà tu t’en plains. » (Si XVI, 73-75). Sa Divine Comédie abonde en éloges du travail agricole, des valeurs de la campagne, de l'ordre social basé sur les vertus chevaleresques. Florence était désormais occupée par les arts, et la politique dominée par les marchands. Sa ville « produit et répand la fleur maudite » (Pd IX,131), le florin, qui corrompt les coutumes et les vertus. Et par l'expression "femmes monnayées" (Si XVIII 66), Dante désigne la prostitution ou peut-être le mensonge : « Quand on trompe quelqu’un, cela s'appelle le monnayage.» (Ottimo, c. 1334).
On ne trouve même pas de commerçants dans son Paradis, et quand Cacciaguida, son trisaïeul, fait l'éloge de Cangrande della Scala, descendant d'une famille de marchands, il le fait précisément en raison de « sa vertu qui ne se préoccupe ni de l'argent, ni des soucis.» (Pd XVII,84)). Au lieu de cela, ses Florentins ne juraient que par la banque et le commerce, et non plus que par l'honneur et la vertu : « Voilà que le florentin devient agent de change et marchand » (Pd XVI, 61).
Dante, comme on le sait, place les usuriers en Enfer, parmi les violents "contre Dieu, la nature et l'art" - les usuriers s'ajoutent à cette triple violence : l'usure est une négation de la loi de Dieu, elle va contre la nature et c’ est une négation de l'ancienne façon de faire du commerce. Il les trouve assis par terre, comme lorsqu’ils étaient en vie, non plus sur les places de Florence avec leur traditionnel tapis rouge, mais sur le sable brûlant. Et leurs mains, habituées à manipuler sans cesse de l'argent, ils s'en servent maintenant pour se défendre des brindilles enflammées, comme des animaux qui chassent les insectes avec leurs pattes (Si XVII, 49-51). Dante y trouve, parmi d'autres usuriers florentins, Rinaldo degli Scrovegni, un célèbre usurier de Padoue, commissaire de Giotto. Pour Dante, contrairement à Saint Augustin, les dons des usuriers sur leur lit de mort ne suffisent pas à les sauver : ils restent en enfer, leurs legs ne leur valent même pas le purgatoire. La richesse mal acquise ne rachète pas la vie, pas même en la donnant, en fin de compte, aux œuvres de bienfaisance.
Dans le "Banquet", Dante réaffirme et défend sa vision du commerce et de la richesse au regard de la vertu : « Non pas la vertu mais le marchandage» (Cv I, 8). Les marchands sont qualifiés de misérables : «Quelle peur a celui qui s'attribue des richesses, en marchant, en restant, même pas en regardant mais en dormant, même pas en perdant l'avoir mais la personne pour l'avoir ! Les misérables marchands qui parcourent le monde le savent bien. La seule vertu de l'argent consiste à savoir s'en priver, mais de son vivant : « Vertu ... qui ne peut être vécue en possédant ces [richesses], ... Ainsi l’argent est bon, lorsque, transféré aux autres pour un usage élargi , il n'est plus possédé. » (Cv IV, XIII). Tout Boethius est ici, mais aussi Sénèque et de nombreux Pères de l'Église.
Mais même à propos de l'économie, Dante nous surprend par un coup de théâtre - les grands auteurs sont encore plus grands que leurs propres idéologies. La pièce de monnaie, méprisée et icône du diable, nous la retrouvons au Paradis précisément comme métaphore de la foi. Au coursdu dialogue entre Dante et Saint-Pierre, on peut lire : « Tu as déjà très bien examinéle poids et l’alliage de cette monnaie; mais dis-moi si tu l'as dans ta bourse.» Je répondis : « Oui, Je l'ai, si brillante et si ronde, que de son coin rien ne me fait douter» (Pd XXIV,83-87). On retrouve ici la tradition médiévale du Christus monetarius, du "bon changeur", car il est capable de distinguer les bonnes des fausses "monnaies". Nous savons depuis quelques années ("Codex diplomatique de Dante", 2016), que le père de Dante a exercé le métier de changeur et de prêteur, peut-être d'usurier, à Florence. D'où, peut-être, la vision négative de Dante au sujet de la monnaie.
Avec Boccace, le paysage change radicalement. Contrairement à Dante, Boccace est issu d'une famille de commerçants. Enfant, il avait lui-même pratiqué le métier à Naples, et connaissait de près ce monde, ses mythes, sa culture, ses vices et ses vertus (Vittore Branca, "L'épopée des commerçants", 1956) Dante porte un regard extérieur sur ce monde nouveau qu'il ne comprend pas encore et dont il craint les déséquilibres ; Boccace, quelques décennies plus tard, dans le "Décaméron", décrit un monde qui a déjà changé, qui étale encore plus toute sa magnificence. Il le regarde de l'intérieur, et perçoit ses vices en même temps que ses vertus. Le monde des marchands devient la meilleure représentation de la société de son époque : non plus une comédie divine, mais toute humaine et mercantile.
"La vertu combat la fortune", telle était, au Moyen-Âge, la devise des rois et des chevaliers : avec Boccace elle passe de façon décisive à la communauté des marchands, qui sont les protagonistes de presque toutes ses nouvelles. Les vertus sont aussi et surtout le propre des marchands. Dès le premier jour, alors que Boccace se penche sur leurs vices, il ne manque pas de faire l’éloge de l'usurier juif Melchisedech (I,3), pour la façon dont il avait réussi, grâce à son intelligence, à sortir du piège dans lequel Saladin l'avait mis (laquelle des trois grandes religions est la vraie ?). Dans la deuxième nouvelle du premier jour, le marchand Giannotto di Civignì est décrit comme « le plus loyal et le plus droit et grand expert dans le commerce des draps », qui avait « une amitié singulière avec un juif appelé Abraham, qui était également un marchand et un homme très loyal" » (I,2,4). Giannotto envoya Abraham à Rome en espérant qu'il se convertirait en connaissant de près la vie des chrétiens. Mais Abraham, après avoir vu les pires vices de l'Église romaine, est retourné voir son ami et lui a dit : « Je vois votre religion s’accroître sans cesse et resplendir toujours plus, et il me semble que le Saint-Esprit en est le fondement et le soutien mérité. C'est pourquoi je vous dis que je ne me laisserais pas devenir chrétien pour quoi que ce soit. » (I, 2,27) Sa conversion n'a pas lieu malgré les péchés qu'il voit chez les chrétiens, mais grâce à eux.
Toujours dans la Nouvelle de Messer Torello (X,9), Saladin, déguisé en marchand Chypriote et venu à Pavie pour recueillir des informations sur la préparation de la prochaine croisade, nous donne une belle image de la générosité et des vertus marchandes. Le commerce des marchandises se présente comme une alternative à celui des armes, nous révélant ainsi la grande vocation de l'économie de tous les temps : alors que depuis les ports naviguaient et naviguent les armes de la guerre, désormais ce sont des marchandises de paix.
Et on pourrait continuer... Boccaccio décrit l'ambivalence de son époque dominée par le commerce. Il sait en découvrir les vices, comme ceux de Musciatto Franzesi, "un très riche et grand commerçant en France", qui n'a aucun scrupule à recourir au notaire Ciappelletto, qui « a gagné tant d'affaires mensongères, tout en jurant de dire la vérité sur sa foi a été appelé.... c’était peut-être l'homme le plus détestable qui soit jamais né. » (I,1,7-15).
Mais s'il décrit les vices de ces nouveaux héros, Boccace sait aussi voir leurs vertus typiques. Cela aussi, c'est de la grandeur. Avec lui disparaît l'idée classique qui remonte au moins à Aristote et qui était encore très chère à Dante : la richesse ne concernant que les biens extérieurs, la vertu ne doit donc être orientée que vers les biens intérieurs de l'âme, les seuls qui ne sont pas éphémères. Pour Boccaccio, en revanche, l'engagement en faveur des biens extérieurs peut être vertueux précisément en raison de leur vulnérabilité et de leur fragilité. Car s'engager et travailler dur pour quelque chose d'incertain et de fragile est plus louable que de s'engager pour des réalités qui résistent à toute épreuve. Ensuite, consacrer sa vie au commerce, travailler sur des biens fragiles par nature, parce qu'ils sont précaires et presque jamais régis par la loi du mérite, rend cette profession digne d'éloges. S’abandonner à la providence, en être conscient, accepter cette dépendance et parfois, à cause d'elle, échouer, est une vertu propre aux marchands. Nous assistons au renversement de l'éthique classique d'Aristote, de Cicéron et du premier siècle chrétien : une évolution qui a encore beaucoup à nous dire aujourd'hui.
Au siècle de Boccace, la conscience morale de l'Occident chrétien s’est mis à considérer l’activité marchande non plus comme un vice mais comme une vertu. Et cela nous a appris quelque chose d'important : s'engager sur des biens fragiles comporte une dimension éthique. Presque tous les biens sont fragiles, mais surtout ceux que nous ne contrôlons pas, car ils dépendent de la loyauté et de l'honnêteté de nos collaborateurs, de l'équité de nos clients et de nos fournisseurs, de la non-corruption de la politique et de nos concitoyens, des variables infinies des marchés sur lesquels nous n'avons aucun contrôle. Cette fragilité, qui est la condition ordinaire des commerçants, était considérée comme une qualité morale.
L'entrepreneur a sa propre beauté morale précisément parce qu'elle ne dépend pas uniquement de son talent, parce que sa richesse est toujours et tragiquement éphémère. La vertu poursuit son combat contre l’argent, mais la première vertu du marchand réside dans la conscience qu'il est radicalement dépendant de cette chance qui l’oblige à lutter et qu'il ne parvient pas toujours à décrocher.
Un jour, en Europe, nous avons compris qu'il est moralement précieux de consacrer sa vie à des choses que l'on ne contrôle pas et dont on dépend pour vivre, et que se déplacer chaque jour au bord du précipice n'est pas seulement une prouesse technique, c'est aussi une excellence éthique. Et que l'inévitable fragilité de la vie, si elle est acceptée, peut devenir une vertu civique.
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Dante fut génial dans beaucoup de domaines, mais il n’a pas compris la nouvelle économie : « Il est complètement sourd au sens des réalités économiques. » (Ernesto Sestan, "Dante et Florence", 1967, p. 290). Bien que très proche du mouvement franciscain, il ne suit pas la ligne de Pietro di Giovanni Olivi et des autres frères théologiens-économistes qui, en observant les marchands dans les villes, sont parmi les premiers à comprendre que tout le commerce n'est pas vicié, que tous les prêts à intérêt ne sont pas malhonnêtes. Dante, en revanche, reste lié à Aristote (et peut-être à Thomas), et n'entre donc pas dans le quatorzième siècle, ni dans la nouvelle dimension économique de l'Humanisme, où l'art du commerce invite à la vertu et à la civilité chrétienne.
Dante portait plutôt le regard d’un aristocrate sur les marchands, avec la notalgie d'une Florence noble qui n'était plus là. Les paysans installés en ville, devenus riches grâce au commerce et aux banques, furent pour lui la première cause de la décadence morale de sa ville, l'abandon de la "courtoisie et de l’éthique" : « Ces nouvelles populations et les gains faciles n’ont engendré chez toi qu’orgueil et démesure, Ô Florence, de sorte que déjà tu t’en plains. » (Si XVI, 73-75). Sa Divine Comédie abonde en éloges du travail agricole, des valeurs de la campagne, de l'ordre social basé sur les vertus chevaleresques. Florence était désormais occupée par les arts, et la politique dominée par les marchands. Sa ville « produit et répand la fleur maudite » (Pd IX,131), le florin, qui corrompt les coutumes et les vertus. Et par l'expression "femmes monnayées" (Si XVIII 66), Dante désigne la prostitution ou peut-être le mensonge : « Quand on trompe quelqu’un, cela s'appelle le monnayage.» (Ottimo, c. 1334).
On ne trouve même pas de commerçants dans son Paradis, et quand Cacciaguida, son trisaïeul, fait l'éloge de Cangrande della Scala, descendant d'une famille de marchands, il le fait précisément en raison de « sa vertu qui ne se préoccupe ni de l'argent, ni des soucis.» (Pd XVII,84)). Au lieu de cela, ses Florentins ne juraient que par la banque et le commerce, et non plus que par l'honneur et la vertu : « Voilà que le florentin devient agent de change et marchand » (Pd XVI, 61).
Dante, comme on le sait, place les usuriers en Enfer, parmi les violents "contre Dieu, la nature et l'art" - les usuriers s'ajoutent à cette triple violence : l'usure est une négation de la loi de Dieu, elle va contre la nature et c’ est une négation de l'ancienne façon de faire du commerce. Il les trouve assis par terre, comme lorsqu’ils étaient en vie, non plus sur les places de Florence avec leur traditionnel tapis rouge, mais sur le sable brûlant. Et leurs mains, habituées à manipuler sans cesse de l'argent, ils s'en servent maintenant pour se défendre des brindilles enflammées, comme des animaux qui chassent les insectes avec leurs pattes (Si XVII, 49-51). Dante y trouve, parmi d'autres usuriers florentins, Rinaldo degli Scrovegni, un célèbre usurier de Padoue, commissaire de Giotto. Pour Dante, contrairement à Saint Augustin, les dons des usuriers sur leur lit de mort ne suffisent pas à les sauver : ils restent en enfer, leurs legs ne leur valent même pas le purgatoire. La richesse mal acquise ne rachète pas la vie, pas même en la donnant, en fin de compte, aux œuvres de bienfaisance.
Dans le "Banquet", Dante réaffirme et défend sa vision du commerce et de la richesse au regard de la vertu : « Non pas la vertu mais le marchandage» (Cv I, 8). Les marchands sont qualifiés de misérables : «Quelle peur a celui qui s'attribue des richesses, en marchant, en restant, même pas en regardant mais en dormant, même pas en perdant l'avoir mais la personne pour l'avoir ! Les misérables marchands qui parcourent le monde le savent bien. La seule vertu de l'argent consiste à savoir s'en priver, mais de son vivant : « Vertu ... qui ne peut être vécue en possédant ces [richesses], ... Ainsi l’argent est bon, lorsque, transféré aux autres pour un usage élargi , il n'est plus possédé. » (Cv IV, XIII). Tout Boethius est ici, mais aussi Sénèque et de nombreux Pères de l'Église.
Mais même à propos de l'économie, Dante nous surprend par un coup de théâtre - les grands auteurs sont encore plus grands que leurs propres idéologies. La pièce de monnaie, méprisée et icône du diable, nous la retrouvons au Paradis précisément comme métaphore de la foi. Au coursdu dialogue entre Dante et Saint-Pierre, on peut lire : « Tu as déjà très bien examinéle poids et l’alliage de cette monnaie; mais dis-moi si tu l'as dans ta bourse.» Je répondis : « Oui, Je l'ai, si brillante et si ronde, que de son coin rien ne me fait douter» (Pd XXIV,83-87). On retrouve ici la tradition médiévale du Christus monetarius, du "bon changeur", car il est capable de distinguer les bonnes des fausses "monnaies". Nous savons depuis quelques années ("Codex diplomatique de Dante", 2016), que le père de Dante a exercé le métier de changeur et de prêteur, peut-être d'usurier, à Florence. D'où, peut-être, la vision négative de Dante au sujet de la monnaie.
Avec Boccace, le paysage change radicalement. Contrairement à Dante, Boccace est issu d'une famille de commerçants. Enfant, il avait lui-même pratiqué le métier à Naples, et connaissait de près ce monde, ses mythes, sa culture, ses vices et ses vertus (Vittore Branca, "L'épopée des commerçants", 1956) Dante porte un regard extérieur sur ce monde nouveau qu'il ne comprend pas encore et dont il craint les déséquilibres ; Boccace, quelques décennies plus tard, dans le "Décaméron", décrit un monde qui a déjà changé, qui étale encore plus toute sa magnificence. Il le regarde de l'intérieur, et perçoit ses vices en même temps que ses vertus. Le monde des marchands devient la meilleure représentation de la société de son époque : non plus une comédie divine, mais toute humaine et mercantile.
"La vertu combat la fortune", telle était, au Moyen-Âge, la devise des rois et des chevaliers : avec Boccace elle passe de façon décisive à la communauté des marchands, qui sont les protagonistes de presque toutes ses nouvelles. Les vertus sont aussi et surtout le propre des marchands. Dès le premier jour, alors que Boccace se penche sur leurs vices, il ne manque pas de faire l’éloge de l'usurier juif Melchisedech (I,3), pour la façon dont il avait réussi, grâce à son intelligence, à sortir du piège dans lequel Saladin l'avait mis (laquelle des trois grandes religions est la vraie ?). Dans la deuxième nouvelle du premier jour, le marchand Giannotto di Civignì est décrit comme « le plus loyal et le plus droit et grand expert dans le commerce des draps », qui avait « une amitié singulière avec un juif appelé Abraham, qui était également un marchand et un homme très loyal" » (I,2,4). Giannotto envoya Abraham à Rome en espérant qu'il se convertirait en connaissant de près la vie des chrétiens. Mais Abraham, après avoir vu les pires vices de l'Église romaine, est retourné voir son ami et lui a dit : « Je vois votre religion s’accroître sans cesse et resplendir toujours plus, et il me semble que le Saint-Esprit en est le fondement et le soutien mérité. C'est pourquoi je vous dis que je ne me laisserais pas devenir chrétien pour quoi que ce soit. » (I, 2,27) Sa conversion n'a pas lieu malgré les péchés qu'il voit chez les chrétiens, mais grâce à eux.
Toujours dans la Nouvelle de Messer Torello (X,9), Saladin, déguisé en marchand Chypriote et venu à Pavie pour recueillir des informations sur la préparation de la prochaine croisade, nous donne une belle image de la générosité et des vertus marchandes. Le commerce des marchandises se présente comme une alternative à celui des armes, nous révélant ainsi la grande vocation de l'économie de tous les temps : alors que depuis les ports naviguaient et naviguent les armes de la guerre, désormais ce sont des marchandises de paix.
Et on pourrait continuer... Boccaccio décrit l'ambivalence de son époque dominée par le commerce. Il sait en découvrir les vices, comme ceux de Musciatto Franzesi, "un très riche et grand commerçant en France", qui n'a aucun scrupule à recourir au notaire Ciappelletto, qui « a gagné tant d'affaires mensongères, tout en jurant de dire la vérité sur sa foi a été appelé.... c’était peut-être l'homme le plus détestable qui soit jamais né. » (I,1,7-15).
Mais s'il décrit les vices de ces nouveaux héros, Boccace sait aussi voir leurs vertus typiques. Cela aussi, c'est de la grandeur. Avec lui disparaît l'idée classique qui remonte au moins à Aristote et qui était encore très chère à Dante : la richesse ne concernant que les biens extérieurs, la vertu ne doit donc être orientée que vers les biens intérieurs de l'âme, les seuls qui ne sont pas éphémères. Pour Boccaccio, en revanche, l'engagement en faveur des biens extérieurs peut être vertueux précisément en raison de leur vulnérabilité et de leur fragilité. Car s'engager et travailler dur pour quelque chose d'incertain et de fragile est plus louable que de s'engager pour des réalités qui résistent à toute épreuve. Ensuite, consacrer sa vie au commerce, travailler sur des biens fragiles par nature, parce qu'ils sont précaires et presque jamais régis par la loi du mérite, rend cette profession digne d'éloges. S’abandonner à la providence, en être conscient, accepter cette dépendance et parfois, à cause d'elle, échouer, est une vertu propre aux marchands. Nous assistons au renversement de l'éthique classique d'Aristote, de Cicéron et du premier siècle chrétien : une évolution qui a encore beaucoup à nous dire aujourd'hui.
Au siècle de Boccace, la conscience morale de l'Occident chrétien s’est mis à considérer l’activité marchande non plus comme un vice mais comme une vertu. Et cela nous a appris quelque chose d'important : s'engager sur des biens fragiles comporte une dimension éthique. Presque tous les biens sont fragiles, mais surtout ceux que nous ne contrôlons pas, car ils dépendent de la loyauté et de l'honnêteté de nos collaborateurs, de l'équité de nos clients et de nos fournisseurs, de la non-corruption de la politique et de nos concitoyens, des variables infinies des marchés sur lesquels nous n'avons aucun contrôle. Cette fragilité, qui est la condition ordinaire des commerçants, était considérée comme une qualité morale.
L'entrepreneur a sa propre beauté morale précisément parce qu'elle ne dépend pas uniquement de son talent, parce que sa richesse est toujours et tragiquement éphémère. La vertu poursuit son combat contre l’argent, mais la première vertu du marchand réside dans la conscience qu'il est radicalement dépendant de cette chance qui l’oblige à lutter et qu'il ne parvient pas toujours à décrocher.
Un jour, en Europe, nous avons compris qu'il est moralement précieux de consacrer sa vie à des choses que l'on ne contrôle pas et dont on dépend pour vivre, et que se déplacer chaque jour au bord du précipice n'est pas seulement une prouesse technique, c'est aussi une excellence éthique. Et que l'inévitable fragilité de la vie, si elle est acceptée, peut devenir une vertu civique.
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par Luigino Bruni
Publié le 21/02/2021 sur Avvenire.
La propriété privée est juste si elle garantit la paix, protège Abel en défendant le bien d’autrui avant celui qui m’appartient, surtout quand il s’agit des pauvres.
Les principaux protagonistes du grand changement qu'a connu l'esprit économique européen entre le XIIIe et le XIVe siècle ont été les Franciscains et les Dominicains : ils ont porté un regard différent sur l'image du commerçant qui n’est plus considéré comme l'ennemi du bien commun, mais comme son principal promoteur. Au cœur des villes, les Ordres mendiants ont perçu des réalités différentes de celles que l'on pouvait voir dans les vertes vallées des abbayes. Ils voyaient que les monastères n’étaient pas les seuls lieux où le travail produisait de bons fruits et que la sacralité du temps n'était pas réservée à la seule liturgie, car le temps de chacun était lui aussi empreint de sainteté, la cloche toute profane des hôtels de ville n'était pas moins noble ni moins chrétienne que le cadran solaire des monastères. En observant les rythmes et les horaires des artisans, des artistes et des marchands, ils ont découvert un autre ora et labora, différent mais non inférieur à celui des couvents. C’est alors que « frère travail » fit son apparition. L'Humanisme et la Renaissance sont nés de ce dialogue continu - entre un ciel très important et une terre importante, entre un au-delà très présent et un ici-bas présent, entre l'attente du non encore et l'engagement dans le déjà.
[fulltext] =>Le travail comme vocation n'est pas sorti des monastères uniquement grâce à la Réforme protestante : il en était déjà sorti au XIIIe siècle grâce au travail des Ordres mendiants. Leur rôle ne s’est pas limité, dans l’avènement de la nouvelle économie, à celui de confesseurs, prêcheurs et pasteurs auprès des marchands et des artisans. C’étaient aussi, et peut-être surtout, des théologiens. Parmi les plus grands, on trouve Duns Scot, le grand franciscain écossais,professeur à Oxford, Cambridge, Paris et Cologne. Un génie d’exception, l'un des plus grands talents qui ait jamais croisé la théologie et la philosophie. Scot (1265/1266-1308) se penchait aussi sur l’économie : au cours du Moyen Âge ces grands esprits s'intéressaient à la Trinité et à l'argent, car ils savaient qu'après que le Verbe se soit fait chair, la question du juste prix avait la même dignité théologique que celle de la rédemption.
Dans son commentaire des Propos de Peter Lombard, connu sous le nom d'Ordinatio (1303-1304), on peut lire : « Le mode d'échange est presque basé sur la loi de la nature : faites à l'autre ce que vous voudriez qu'il vous fasse. » (cité dans Leonardo Sileo, Éléments d’éthique économique chez Duns Scot, p.6). Scot voit dans la version de la "règle d'or" des Évangiles (Mt 7,12 et Lc 6,31) la dimension sociale de l’économie. La réciprocité dans les échanges commerciaux est considérée comme une façon d'exprimer la réciprocité évangélique. Pour ces premiers observateurs qualifiés, le marché est apparu non seulement comme une nouvelle façon d’entrer en relation sur le plan social , mais aussi comme une nouvelle concrétisation de la loi de l'amour réciproque. En fait, de par sa nature, l'échange commercial peut être considéré comme une forme d'"assistance mutuelle", comme le répétait Antonio Genovesi au XVIIIe siècle : par le biais des marchandises, on satisfait les besoins des uns et des autres. Si nous étions capables de prendre de la hauteur et de porter un regard dépourvu de préjugés idéologiques sur ce qui se passe sur les marchés du monde - et le regard de ces premiers théologiens allait un peu dans ce sens - nous verrions un immense réseau très dense de relations qui permettent aux femmes et aux hommes d'obtenir ce dont ils ont besoin ; et qu'en l'absence de ces marchés ils ne pourraient que recourir à des dons ou à des vols, mais les premiers sont trop rares et les seconds malhonnêtes.
Ces Franciscains, tout en se réservant le "prestige de la Pauvreté" et en observant l'interdiction absolue de manipuler de l'argent, étaient à la juste distance spirituelle des marchés et des richesses pour les comprendre et nous les expliquer dans leur essence. Leur vision positive et généreuse de leur monde n'ignorait pas le triste sort de ceux qui étaient exclus de ce réseau d'échanges réciproques, et pour lesquels les Ordres mendiants s'efforçaient de susciter mille initiatives d'assistance ; ils étaient cependant capables de ne pas considérer les échanges commerciaux comme contraires à l’intérêt des pauvres, mais comme une chance pour tous. A tel point que Scot va jusqu'à conseiller aux princes des villes manquant de marchands de tout faire pour les attirer : « Dans un pays où il y a peu de marchands, un bon législateur doit les attirer, même en les payant beaucoup, et trouver des moyens de subsistance nécessaires pour leurs familles. » (Ordinatio, IV).
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L'estime des théologiens des Ordres mendiants (franciscains et dominicains) pour les marchands résulte de leur présence au cœur des villes et doit être mise en relation avec l'idée de la limite du droit à la propriété privée.
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Le franciscain catalan Francesc Eiximenis (1330-1409), érudit et disciple de Duns Scot, a suivi la même voie. Le Douzième livre (Dotzè) de sa Somme, Le chrétien (Crestià, dans sa langue), écrit entre 1385 et 1392, contient une étude approfondie et originale sur l'économie politique et la monnaie, où la fonction civilisatrice du commerce - civilitas - est développée et mise en valeur. On y trouve des concepts extrêmement importants et originaux. L'un d'entre eux touche au pilier de toute l’éthique de l’économie civile, à savoir le conflit qui existe entre rentes et profits : « Il faut interdire l'achat de rentes perpétuelles et viagères à tous ceux qui peuvent exercer des activités commerciales », car les rentes détruisent le bien et les gains civils des marchands, essentiels pour la communauté. La facilité de parole des commerçants, leur sociabilité et leur habileté à établir des contrats favorise "toutes sortes de relations qualifiées et amicales" (I,1). C'est pourquoi Barcelone (qu'il considère comme la civitas perfecta) ne doit pas « promouvoir de manière excessive les fonctions honorifiques », mais encourager le développement de la classe marchande. À l’opposé du marchand, il y a l'avare, qui est le premier ennemi de la ville, parce qu'il empêche la postes monnaie de circuler et de permettre ainsi le développement et la civilisation : « Il ne doit pas avoir le droit de vivre dans la ville, ni, pour aucune raison, être autorisé à occuper des fonctions et des officiels parce qu’il détuit la « civilitas », c’est un ennemi juré de la vérité, son amitié est trompeuse. » (I,1). Il est intéressant de noter que l'avarice est considérée ici comme le vice des fonctionnaires, et non comme celui des commerçants.Les marchands, affirme Eiximenis, reprenant une thèse de Hugues de Saint-Victor, doivent être récompensés, car ils sont « la vie de la terre, le trésor du bien public. Sans marchands, les communautés s’écroulent, les princes deviennent des tyrans. Eux seuls sont de grands bienfaiteurs, pères et frères du bien commun : à travers eux Dieu accomplit des merveilles. » (Regiment de la cosa pública, cité dans l'introduction de l'édition critique de l'ouvrage, édité par Paolo Evangelisti).
Suivent de nombreuses pages très intéressantes sur la monnaie, un bien public et communautaire très précieux, premier signe de la confiance publique et essentiel à tous les pactes sociaux, symbole de la communitas (communauté), de la commutatio (échange) et de la communicatio (communication) entre les citoyens. Son raisonnement sur le crédit et sur la fonction de la dette publique est également important - malheureusement vicié par une polémique anti-juive , commune à de nombreux Franciscains de l'époque (mais pas seulement eux). Il insiste sur l'urgence de donner naissance à des institutions de crédit civil, en particulier une « Maison de la communauté » qui annonce les Monts-de-Piété du siècle suivant ainsi que les banques rurales et les coopératives du XXe siècle. Une institution destinée aux jeunes gens défavorisés qui, grâce au crédit, pouvaient commencer à entrer dans la vie active, ou aux jeunes filles sans dot (anticipation du "Mont-de-Piété des dots" de Florence en 1425). Mais aussi « au rachat des prisonniers, à la réhabilitation des hommes en faillite, à l’aide aux prisonniers en situation précaire. » (Dotzè, I, 1).
Si nous restons impressionnés et enchantés par l'estime et l'admiration que ces théologiens de la plus grande pauvreté avaient pour le rôle civique des marchands, de l'argent et du crédit, nous sommes également surpris, chez ces mêmes auteurs, par d'autres thèses qui compliquent le discours et nous ramènent à l'ambivalence engendrée à cette époque (Moyen Âge).
La première, très importante, concerne l'origine et la nature de la propriété privée. Dans Duns Scot, on peut lire : « Quand est-ce-que la propriété des choses a débuté de sorte qu’on a déclaré telle chose mienne et telle autre tienne et comment cette distinction est-elle apparue ? Selon la loi de la nature, il n'est pas du tout établi que la possession des choses relève de ce distinguo puisque dans l'état d'innocence, il n'y avait aucune différenciation de ce genre concernant la possession et la propriété des choses, mais tout était commun à tous. » (Reportata parisiensia, cité dans Francesco Bottin, Giovanni Duns Scot, sur l’origine de la propriété.)
Nous sommes sortis depuis peu de ce monde de marchands bâtisseurs de civilitas et de charité chrétienne, et nous sommes confrontés à une vision de la propriété privée des biens, pilier de l’économie de marché, conséquence du péché. Pour Scot, qui est dans la ligne de nombreux théologiens du Moyen Âge, lors de l'innocence première, c'est-à-dire dans la condition adamique, la règle était la communion des biens, le "mien" et le "tien" n’existaient pas - et le seul "nôtre" coïncidait avec celui de l'humanité entière, qui de toute façon ne se sentait pas prpriétaire, mais seulement usagère des biens. Il est clair que nous ne devons pas comprendre la condition adamique dans un sens historique ou chronologique (il ne serait pas très logique de parler de communion dans un Éden où Adam se trouve seul, et même pas avec Ève), mais dans un sens théologique et anthropologique. Il faut toujours garder à l'esprit que dans la vision biblique, ce qui vient en premier est plus vrai et plus profond que ce qui advient par la suite : c’est une expression la vocation et du dessein de Dieu qui indique ainsi ce qui sera ou pourra advenir un jour. Lorsque Scot dit que la propriété privée vient après le péché, il nous délivre un message important, à savoir que l'appropriation privée des biens n'était pas dans le plan originel de Dieu pour l'humanité. C'était une dérive, une corruption, une décadence, une erreur. « Au début, il n'en était pas ainsi. » Parce qu'à l'image et à la ressemblance de Dieu, il y a la communion des biens. L’économie fondée sur le mien et le tien n'était pas celle d'Adam, mais celle de Caïn. Et comment sera l'économie du nouvel Adam ?
Enfin la fonction que Scot attribue à la propriété privée, une fois que les hommes tombés dans le péché ne peuvent plus s'en passer, est très intéressante : « Elle devenait nécessaire pour maintenir une coexistence pacifique entre les hommes, car après le péché les méchants auraient réclamé des choses pour eux-mêmes, non seulement pour ce qui était indispensable à leur propre usage, mais aussi pour satisfaire leur avidité de possession.» La propriété privée garantit la paix, elle protège Abel contre les abus de Caïn, elle a sa raison d'être dans la protection du faible contre la force des puissants qui auraient tendance à accroître démesurément leurs biens sans reconnaître ceux des autres. La propriété privée est donc juste si elle défend avant tout le bien d’autrui, en particulier celui des pauvres.
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La propriété privée est juste si elle est garante de la paix en protégeant Abel, c'est-à-dire en défendant prioritairement les biens d’autrui, qui passent avant les miens, surtout lorsqu’il s’agit de ceux qui reviennent aux pauvres.
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La thèse que l'on retrouve dans Fratelli tutti est très franciscaine: « Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés. » (n.120).Les grands théologiens du Moyen-âge nous rappellent que notre destin, même économique, est la communion. Nous ne sommes pas à la hauteur de notre vocation, et nous nous contentons de l'économie du « c’est à moi » et « c’est à vous ». Mais c'est cet Adam, qui de loin précède en nous Caïn, qui continue à ne pas nous laisser en paix et à entretenir cette infinie nostalgie d'une autre économie.
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Le grand Duns Scot voit dans la version de la "règle d'or" des Évangiles la dimension sociale de l’économie.
par Luigino Bruni
Publié le 21/02/2021 sur Avvenire.
La propriété privée est juste si elle garantit la paix, protège Abel en défendant le bien d’autrui avant celui qui m’appartient, surtout quand il s’agit des pauvres.
Les principaux protagonistes du grand changement qu'a connu l'esprit économique européen entre le XIIIe et le XIVe siècle ont été les Franciscains et les Dominicains : ils ont porté un regard différent sur l'image du commerçant qui n’est plus considéré comme l'ennemi du bien commun, mais comme son principal promoteur. Au cœur des villes, les Ordres mendiants ont perçu des réalités différentes de celles que l'on pouvait voir dans les vertes vallées des abbayes. Ils voyaient que les monastères n’étaient pas les seuls lieux où le travail produisait de bons fruits et que la sacralité du temps n'était pas réservée à la seule liturgie, car le temps de chacun était lui aussi empreint de sainteté, la cloche toute profane des hôtels de ville n'était pas moins noble ni moins chrétienne que le cadran solaire des monastères. En observant les rythmes et les horaires des artisans, des artistes et des marchands, ils ont découvert un autre ora et labora, différent mais non inférieur à celui des couvents. C’est alors que « frère travail » fit son apparition. L'Humanisme et la Renaissance sont nés de ce dialogue continu - entre un ciel très important et une terre importante, entre un au-delà très présent et un ici-bas présent, entre l'attente du non encore et l'engagement dans le déjà.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 14/02/2021
Depuis toujours la culture chrétienne considérait la connaissance comme un bien précieux, voire divin, et la protégeait du profit. Or, dans la logique du capitalisme, nous ne voyons que des coûts et des profits.
Au Moyen-Âge, la fécondité des limites était manifeste. L'interdiction du prêt à intérêt a produit une grande biodiversité d’outils et de contrats financiers qui vont de la commenda à la lettre de change, de la Société en commandite à la naissance de l'assurance. Le commerce maritime n’aurait pas pu se développer sans la rémunération du risque sous une forme d'intérêt sur le capital prêté à l'armateur. C'est pourquoi l'interdiction théologique de l'usure a conduit à l'invention d'un nouveau contrat, celui de l'assurance, scindant le prêt en deux composantes : « D'une part le remboursement pur et simple du prêt, d'autre part la promesse de compensation en échange du risque pris. »(Armando Sapori, "Divagations à propos des assurances", dans "Études d’histoire économique" III, p. 144). C’est ainsi qu’une contrainte théologique a permis une grande innovation économique et sociale.
[fulltext] =>Un autre domaine où la contrainte théologique a joué aussi un rôle décisif est la naissance des universités. Le développement de communautés d'enseignants et d'étudiants dans les universités est un phénomène qui va de paire avec l'émergence des compagnies marchandes. Le XIIIe siècle est celui des marchands et des universités, qui forment ensemble l'Humanisme. Deux lieux de liberté, deux institutions du nouvel esprit européen. Les Goliards et les marchands ont remis en question les valeurs des institutions du premier millénaire, soutenus et animés par les nouveaux ordres mendiants, qui enseignaient dans les universités, tout en étant les amis des marchands. Les goliards étaient principalement des laïcs qui « pour étudier, mais aussi pour vivre et se déplacer avec leurs maîtres, n’hésitaient pas à devenir acrobates, jongleurs, clowns et même à s’adonner à quelque espièglerie. » (Sapori, p. 366).
Pierre Abélard, se référant aux détenteurs du savoir ancien, les a définis comme « les philistins qui gardent leur savoir secret pour eux-mêmes, empêchant les autres d'en tirer profit. Nous voulons au contraire creuser des puits d'eau vive, qu’ils soient nombreux et sur toutes les places publiques, si riches en eau au point de déborder et que chacun puisse se désaltérer. » (cité dans Sapori, "L'università nei secoli", p. 368). S'il est vrai que la démocratie consiste à "gouverner en débattant" (selon les termes de John Stuart Mill et Amartya Sen), en Europe elle est née dans les palais du gouvernement des nouvelles villes, dans les compagnies marchandes et dans les universités, où la connaissance procédait de la dialectique pour devenir ensuite un bien public et donc commun à tous. Le rôle de ce nouveau savoir, plus populaire, était immense, infiniment plus grand que nous pouvons l'imaginer aujourd'hui.
Il n'est donc pas étonnant que ces nouveaux intellectuels aient rencontré la même hostilité que les marchands : ils étaient trop libres et trop différents pour être compris : « Ô Paris, combien tu fascines et trompes les âmes ! Au contraire, heureuse l’école où l'on ne parle que de sagesse, et où l'on apprend à atteindre la vie éternelle sans avoir besoin de cours,: on’y n'achète pas de livres. » (Pierre de Celles, cité dans Sapori, p. 369). Ces mêmes détracteurs des nouvelles universités et des goliards détestaient également les Communes libres, perçues comme de nouvelles Babylones, parce que Dieu n'aime pas les villes, Caïn étant le fondateur de la première ville (Rupert de Deutz).
Mais l'analogie entre les marchands et les intellectuels ne s'arrête pas là. Au cours du premier millénaire, le temps n'appartenait pas seulement à Dieu, d'où la plus ancienne justification de l'interdiction des prêts à intérêt. La connaissance était également considérée comme un don de Dieu et, en tant que tel, non négociable, destiné à être donné gratuitement. On comprend alors comment les débats sur l'interdiction des intérêts sur les prêts étaient semblables et parallèles à la question de l'interdiction pour les maîtres d'être rétribués pour leurs cours. Même dans la transmission du savoir, la gratuité, sine-merito, était la norme, et le paiement, le pro-pretio, l'anomalie.
La source médiévale la plus autorisée de cette interdiction est Bernard de Clairvaux qui, dans son commentaire du Cantique des cantiques, avait écrit : « Scientia donum Dei est, unde vendi non potest. » (la science est un don de Dieu, donc elle ne peut être vendue). Une thèse qui s'est imposée au troisième (1179) puis au quatrième (1215) Concile du Latran, puis au pape Grégoire IX en 1234 (dans le Liber Extra) : la papauté prônait la défense des nouvelles universités, qui étaient des institutions pontificales. Cette interdiction a largement influencé la pratique des universités et des institutions scolaires médiévales, bien qu’elle ait pris (comme l'usure) des orientations différentes. Le canoniste Roffredo da Benevento a écrit : « De nos jours, il est courant que les enseignants prennent les livres des élèves en gage de paiement. »
La référence à l'autorité de St Bernard sur la gratuité n'était pas accidentelle. L'enseignement gratuit était en fait un héritage de la grande tradition monastique. Pendant de nombreux siècles, les monastères ont été les principales, voire les seules écoles en Europe. Ils enseignaient la foi, mais aussi la grammaire, la musique et les mathématiques aux moines mais aussi aux laïcs, en particulier aux jeunes. Et c'est là que la pratique de la gratuité a été affirmée. Dans un document de 888, on peut lire à propos des écoles : « Ut turpi lucro et negotiationibus non inserviant » (pour qu’elles ne tombent pas dans les profits faciles ni dans le commerce). Une consigne reprise par le Concile de Londres en 1138: « Ut scholas suas magistri non locent legendas pro pretio » (dans leurs écoles, les professeurs ne doivent pas donner de leçons rémunérées, § XVII).
À partir du XIIIe siècle, ces nouveaux maîtres, commencèrent à introduire des distinctions. Bartholomée de Brescia a fait valoir que le maître ne doit pas enseigner pour de l'argent, mais qu'il peut néanmoins accepter un paiement des étudiants si celui-ci est offert à titre gratuit et n'est pas obligatoire. Une solution semblable, on s'en souviendra, à celle qui a conduit à la légalité des intérêts sur la dette publique, comprise comme un don gratuit. D'autres encore ont pris en compte la situation financière des étudiants tout comme celle des enseignants : seuls les élèves pauvres ne doivent pas payer et seuls les enseignants riches doivent enseigner gratuitement. Le célèbre canoniste bolognais Tancredi, par exemple, a précisé : « Lorsqu’un professeur perçoit un bénéfice sûr et protégé, il ne doit pas demander d'argent pour l'enseignement qu'il dispense.» (dans Emma Montanos Ferrín, "Scientia donum Dei est"). Le dominicain Ramon de Peñafort, en revanche, a défendu et réitéré la thèse selon laquelle la science, qui est un don de Dieu, ne peut pas faire l’objet d’un commerce, et s’est mis à dos les juristes et les médecins qui généralement se faisaient payer.
La gratuité du savoir a en effet été renforcée et relancée lorsque vers le milieu du XIIIe siècle, les Franciscains et les Dominicains sont entrés en masse dans les nouvelles universités et ont également fondé leurs propres Centres d’études, souvent en lien avec ces universités. Sur les 447 maîtres en théologie connus à Bologne entre 1364 et 1500, 419 étaient issus des Ordres mendiants. Les Dominicains étaient plus à l'aise dans leurs études, en raison de leur charisme de prédicateurs. Pour les Franciscains, c’était plus complexe et moins linéaire. Dans l’Ordre certains n’ont jamais accepté sereinement les études et les universités : « Nous avons vu Paris d’un mauvais œil, parce qu’elles ont détruit Assise. » (Jacopone da Todi, "Laude", 92). Mais il reste que les Franciscains ont également formé des maîtres de grande valeur qui comptent parmi les plus grands théologiens du Moyen Âge. Les Dominicains et les Franciscains ont fait des universités des lieux privilégiés pour le recrutement de nouvelles vocations, et certains professeurs (par exemple, Alexandre de Hales) ont pris l’habit. Mais il y avait plus que cela. Ces premiers membres des Ordres mendiants ont été très attirés et séduits par les nouvelles universités. Avant de devenir professeurs titulaires des facultés de théologie, ils sont d'abord allés à Paris ou à Oxford pour se former , fascinés par ce nouveau monde et par la liberté de ses professeurs et de ses étudiants avec lesquels ils avaient des affinités. Ils étaient les fils et les promoteurs du même esprit. L’heureuse convergence entre ces deux mondes, à la fois différents et semblables, a déclenché un processus extraordinaire et décisif pour la civilisation européenne.
Les effets secondaires de l'arrivée des Ordres mendiants dans les universités ont été nombreux. Par exemple chez les Franciscains en particulier, le prix des livres était soumis à une réglementation rigoureuse (en raison de leur idéal de pauvreté ). Cet impératif a fait que le livre ne fut plus seulement un ouvrage richement enluminé, très cher et réservé à un petit nombre. Désormais l’ancêtre du manuel scolaire était né, tout orienté vers l'enseignement et l'apprentissage, et donc moins cher et accessible à beaucoup plus de lecteurs et d'étudiants. En outre, les enseignants franciscains et dominicains étant incardinés dans leurs ordres qui pourvoyaient à leurs ressources, l'antique tradition de l'enseignement gratuit a été remise en valeur (au début, les enseignants laïcs étaient rémunérés) : elle s'est poursuivie avec la création de milliers d'écoles fondées par les ordres religieux féminins et masculins au cours de l'époque moderne et contemporaine, jusqu’à l’apparition de l'école publique au XXe siècle.
Et aujourd'hui ? Que reste-t-il de ce grand héritage ? Nous devons tout d'abord reconnaître qu'au XXe siècle, quelque chose n'a pas fonctionné lorsque l'enseignement est passé des moines, des religieux et des religieuses aux enseignants laïcs. La gratuité des cours était possible grâce à des institutions (ordres, couvents, congrégations) qui garantissaient leur subsistance et une vie décente à leurs enseignants. Lorsque ceux-ci sont devenus laïcs, la merveilleuse idée de la gratuité du savoir s'est traduite par des salaires trop bas, surtout dans les écoles primaires, les collèges et les lycées (et au cours des premières années de la carrière universitaire). Et cela fut encore davantage le cas dans les pays où cette tradition de la gratuité de l’enseignement dispensé par l'Église était solidement ancrée. Et donc, une fois de plus, nous n'avons pas été capables de transformer politiquement un héritage éthique en une équité civique, par "manque de réflexion". Cette ancienne culture chrétienne savait très bien que le savoir est un bien si précieux qu'il relève de la sphère divine ; et c'est pourquoi elle l'avait conservé avec grand soin en le soustrayant à la logique des profits, afin de le protéger. Aujourd'hui, le capitalisme connaît très bien la valeur économique des savoirs, et s'il laisse les enseignants et les doctorants sans ressources, il fait de l'éducation à but lucratif (pro-pretio>) l'une de ses nouvelles industries mondiales les plus rentables.
Nous arrivons enfin au cœur du précieux message de ce débat. Les canonistes savaient que la raison de la gratuité de la connaissance ne signifiait pas qu’elle ne valait rien. Au contraire la connaissance a une telle valeur qu'elle est considérée comme bonum Dei : un bien de Dieu. Ici revient cette idée ancienne que la gratuité n’équivaut pas à une valeur nulle mais infinie. Les anciens savaient que la connaissance a un "coût de production", et qu’ il est très élevé. La rendre accessible sans aucune rémunération signifie alors reconnaître que la connaissance a la nature d'un bien commun, qu'elle n'est pas un bien destiné à un commerce privé, qu'elle est un puits d'eau vive, une place publique. Et comme pour tous les biens communs, c'est à la communauté d’en supporter les coûts de production et de gestion, parce qu'elle reconnaît sa valeur stratégique et ne veut en priver personne, en particulier les pauvres - nous ne devons pas oublier que chaque fois qu'une communauté crée un bien commun, elle rend ses pauvres moins pauvres. Les moines, les religieuses et les religieux ont préservé pendant un millénaire et demi le caractère de bien commun propre à la connaissance. Ce patrimoine n’a pas de prix : il nous incombe de continuer à protéger l’héritage de ces "puits d'eau vive" et à en creuser de nouveaux.
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Les interdictions théologiques ont fait naître des solutions innovantes pour les commerçants et les intellectuels telles que les compagnies d'assurance et les universités.
par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 14/02/2021
Depuis toujours la culture chrétienne considérait la connaissance comme un bien précieux, voire divin, et la protégeait du profit. Or, dans la logique du capitalisme, nous ne voyons que des coûts et des profits.
Au Moyen-Âge, la fécondité des limites était manifeste. L'interdiction du prêt à intérêt a produit une grande biodiversité d’outils et de contrats financiers qui vont de la commenda à la lettre de change, de la Société en commandite à la naissance de l'assurance. Le commerce maritime n’aurait pas pu se développer sans la rémunération du risque sous une forme d'intérêt sur le capital prêté à l'armateur. C'est pourquoi l'interdiction théologique de l'usure a conduit à l'invention d'un nouveau contrat, celui de l'assurance, scindant le prêt en deux composantes : « D'une part le remboursement pur et simple du prêt, d'autre part la promesse de compensation en échange du risque pris. »(Armando Sapori, "Divagations à propos des assurances", dans "Études d’histoire économique" III, p. 144). C’est ainsi qu’une contrainte théologique a permis une grande innovation économique et sociale.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 31/01/2021
Notre économie ne se civilise et ne s'humanise que si elle est une relation, que si elle sait unir les contraires et investir généreusement les contradictions et les ambivalences.
Entre le Moyen Âge et la Renaissance, l'esprit de l'économie de marché était différent, parfois très différent de celui du capitalisme moderne. C'est cette différence qui invite à revenir aux questions de cette saison de l'économie, car le capitalisme des siècles suivants n'a pas répondu différemment aux mêmes questions, il a simplement changé les questions. Cette première éthique marchande s'est développée dans un monde qui, tout en voyant s’accroître la richesse des grands marchands et tout en cherchant un moyen de les maintenir dans l'enclos des brebis du Christ, a également vu le mouvement franciscain lutter avec les papes et les théologiens pour pouvoir obtenir le privilège de la plus grande pauvreté, de pouvoir parcourir le monde sans devenir dominateurs (maîtres) des biens qu'ils utilisaient. Entre le Livre de la raison commerciale et celui de la raison religieuse, il y avait une tension tragique. L'un a défié et limité l'autre, de sorte que le commerce n'est pas devenu une idole, ni la religion une cage.
[fulltext] =>Nous ne pouvons pas comprendre l'éthique économique européenne si nous ne l’abordons pas à partir de ces tensions et ambivalences, si nous ne lisons pas la richesse dans la pauvreté et la pauvreté dans la richesse. Ces marchands sont devenus très riches, mais cette richesse est restée une richesse blessée, car, contrairement à ce qui se passera dans la modernité, il n'allait pas de soi et il n’était pas évident que la richesse fût en soi une bénédiction, alors qu'il allait de soi et qu’il était évident que la pauvreté évangélique l’était. Mais, même dans ce cas, les paradoxes et les ambivalences se sont révélés très féconds.
Nous l'avons également lu dans le volume "Ecrivains marchands" (édité par Vittore Branca). Parmi ces récits on retiendra «I ricordi » (Les souvenirs) " de Giovanni di Pagolo Morelli (Florence, 1371-1444), où la raison d’être du commerce est parfaitement intégrée à la celle de famille et de la ville de Florence. Morelli donne également des conseils et des recommandations à ses "élèves", ses enfants et petits-enfants. On y trouve le meilleure de la sagesse en la matière : ("Ricordi", III, p. 177). Le premier sens du commerçant, le plus essentiel, est le toucher. Il doit toucher ses produits, car c'est en touchant les marchandises achetées et vendues que l'on apprend les secrets décisifs de la connaissance du métier. On connaît les tissus, les patchs, les étoffes en les prenant dans les mains, en les manipulant. Le premier sens du mot manager fait référence à la main, au manège, à l'école d'équitation, où on apprivoise le cheval en utilisant les mains. Un entrepreneur qui perd le contact avec les choses dont il s'occupe, qui n'exerce pas le sens du toucher (con-tact), qui ne les examine pas en les touchant de ses doigts, perd ses compétences et se met entre les mains de tiers dont il finit par dépendre entièrement. En cela, il n'y a pas de division du travail ni de délégation : l'entrepreneur doit répartir les fonctions, il peut et doit beaucoup déléguer, mais il doit se réserver de toucher sa marchandise. L'entrepreneur italien a grandi en touchant ses produits. Il était aussi compétent en cela que ses ouvriers et ses techniciens, et même plus. C'est cette compétence tactile qui a été sa première force. Nous pouvons donc comprendre que ce "capitalisme" a commencé à décliner lorsqu'il a mis les entreprises entre les mains de managers qui ne touchaient plus les biens qu'ils achetaient et vendaient, parce qu'ils étaient experts en machines, mais sans presque jamaisi manier les produits propres à l’entreprise.
Par ailleurs notre auteur nous dit qu’un bon commerçant se doit de voyager dans le monde entier et se rendre en personne sur les marchés de nombreuses villes. Il aura besoin d'agents et de représentants, bien sûr, mais il ne sera pas un bon commerçant s'il n'acquiert pas une connaissance directe des lieux et des personnes, s'il ne les fréquente pas. Tant qu’un entrepreneur a la passion, l'énergie, l'enthousiasme et l'éros pour aller en personne dans les foires, pour voir "de ses propres yeux" les clients, les fournisseurs, les banquiers, il reste toujours maître de son entreprise, il en tient les rênes, il la gère : (p. 178). Mais lorsqu'il commence à ne passer ses journées qu'en réunions de bureau et dans les restaurants étoilés, même s'il ne le sait pas, c’est déjà le début de la fin, car il a perdu l’art de commercer avec ses ses mains et ses yeux.
Ensuite, il y a un deuxième commandement de l'éthique commerciale : « Ayez toujours confiance, mais ne soyez pas crédules ; plus quelqu’un se présente comme le plus de loyal et le plus avisé, moins il faut lui faire confiance […] Les beaux parleurs, les vantards et les flatteurs, laissez-les parler, répondez-leur, mais ne leur faites pas confiance. N’engagez rien avec celui qui a changé de métier, d’ouvrier ou de maître. » (p. 178). Lorsqu'il commence à s'entourer de bavards, de vantards et de beaux parleurs, l’entrepreneur a déjà pris le chemin du coucher de soleil. Mais pour les reconnaître, il est nécessaire de les fréquenter en dehors des terrains de golf et des hôtels de luxe, car un vieux dicton du métier dit que l'on ne connaît pas une personne tant qu’on ne la voit pas en train de travailler. C'est une grande naïveté de penser que l'on peut faire connaissance avec des clients et des agents lors de conférences. Le travail est le grand tamis qui permet de distinguer la paille des ragots de la farine du bon travail.
Le troisième : « N’étalez jamais vos richesses : gardez-les cachées et laissez toujours comprendre à travers vos propos et vos actes que vous possédez la moitié de ce que vous avez. En gardant cette manière de faire, vous ne pouvez pas être trop trompé. » (p. 178). Ici, nous ne sommes pas tant en présence d’une technique d'évasion fiscale (c’est possible dans certains cas) ; mais il y a plus, il y a un style de vie. Ces premiers commerçants savaient bien que la convoitise sociale est mauvaise pour tout le monde. La richesse bien gérée ne doit pas susciter l’envie, mais l'émulation, c'est-à-dire le désir d'imitation. Mais dans un monde à faible mobilité sociale, comme l'était celui du Moyen Âge, la richesse ostentatoire ne fait qu'engendrer la jalousie et le conflit. La montrer exagérément ( on touche ici la grande question du caractère licite de l’intensité des richesses) ne fait du bien à personne : « Ne vous vantez pas de vos grands profits. Au contraire, si vous gagnez mille florins, dites cinq cents ; si vous traitez une affaire pour mille florins, dites la même chose, et si on peut s’en apercevoir, dites qu’ils appartiennent à d'autres. Vous n’exagérerez pas dans vos dépenses. Si vous êtes riche de dix mille florins, vivez comme si vous en aviez cinq. » (p. 189). Pendant des siècles, la sobriété est restée une grande vertu de l'entrepreneur et de l'industriel. Leurs enfants allaient souvent à l'école avec les enfants de leurs ouvriers, ils fréquentaient les mêmes églises, les mêmes mariages, les mêmes enterrements. C'étaient des "gentlemen" mais aussi des com-pagnons, du moins leurs enfants étaient des com-panions. Lorsque, il y a quelques décennies, la concurrence est passée de la production à la consommation, le centre du capitalisme est passé des mains de l'entrepreneur à celles du manager, et le capitalisme est devenu un énorme mécanisme ostentatoire qui génère beaucoup de convoitises et de frustrations sociales, surtout en temps de crise.
Paolo da Castaldo (1320-1370), dans son "Livre des bonnes manières", donne ensuite des instructions sur un quatrième pilier de cette éthique des affaires : « Assurez-vous toujours de vous entourer des meilleurs employés et en nombre suffisant. Et ne lésinez pas sur leur coût car "un bon loyer ou le salaire d'un bon ouvrier n'a jamais été cher" ; ce sont les mauvais employés qui sont chers. » (p. 34). Une sagesse infinie, que nous avons oubliée dans un capitalisme où le salaire élevé du manager est le premier et souvent le seul indicateur de sa qualité. Paolo nous rappelle ici que le "mauvais ouvrier" coûte cher parce qu'il est généralement plus intéressé par l'argent que par le commerce, et qu'un salaire trop élevé devient un mécanisme de sélection défavorable aux personnes.
Le cinquième commandement : « Faites en sorte que vous n’écriviez dans vos livres que ce que vous avez réalisé dans la paix et que vous n’ayez rien à pardonner à votre plume. Vous vivrez alors dans une parfaite liberté intérieure et vous vous sentirez vraiment en paix avec votre capital. » (p. 178-9) La "belle écriture" est la récompense du marchand, selon les mots du commerçant et poète Dino Compagni ("Canzone del pregio"). Nous n'aurions pas eu d'humanisme social en Italie ni en Europe sans la belle écriture des marchands, et nous n'aurions pas eu leur extraordinaire succès commercial sans le soin et l'estime de l'écriture et des lettres : « Que l’élève s’efforce d’être vertueux dans l’apprentissage des sciences et de la grammaire et qu’il étudie un peu les Lettres.» (p. 192). Cela ne veut pas dire que les commerçants étaient (ou devraient être) des professeurs. La belle écriture des marchands est différente de celle des professeurs, mais elle est bonne et nécessaire pour le bien commun. Florence a connu un extraordinaire essor économique parce que les marchands nourrissaient les poètes et les artistes grâce à leurs richesses, mais Dante et Boccace imprégnaient les marchands de leur art qui entrait ainsi dans les cahiers des comptes et dans leur langue qui enchantait le monde entier : les marchands l'enchantèrent avec de beaux tissus, mais aussi avec des mots poétiques, avec l’élégance de leur langue et leur belle écriture.
Enfin : « En conclusion, ces éléments sont utiles pour devenir expert et comprendre le monde, pour se faire aimer, être honoré et respecté. » (p. 196). La bienveillance, la bonne renommée, l'honneur et l'estime étaient des biens invisibles mais essentiels, plus que le profit. La richesse obtenue par une mauvaise réputation ne valait rien. Le second paradis que les marchands d’alors recherchaient était de laisser en héritage à leurs enfants leur honneur et une bonne renommée . Mourir riche et déshonoré était un véritable enfer pour eux. Sans prendre en compte la bonne renommée, nous ne comprenons même pas le phénomène de la vente des indulgences. À l’approche de leur mort ces marchands et banquiers faisaient don d'une bonne partie de leur fortune à l'Église ou à leur ville, non seulement pour éviter des années de purgatoire, mais aussi - pour eux et pour leur famille – pour échapper à l'enfer d’être déshonorés sur cette terre. Aujourd’hui nous laissons à nos enfants une dette publique, à cette époque l'héritage de ces marchands comprenait aussi la gloire et l'honneur.
Derrière notre "capitalisme" encore soutenu par les familles, méprisé parce qu'il devient parfois "familiste", il y a toute l'ambivalence de ces premiers commerçants ; mais il y a aussi leur "vertu" et leur honneur. La conjonction "et" a joué un rôle décisif dans notre premier humanisme économique et social : l'argent et Dieu, l'esprit et la marchandise, la beauté et la richesse, le luxe et la pauvreté. Des mots qui se sont entrechoqués, qui se sont heurtés, et de là, naissait la vie. Nous avons encore besoin d'une conjonction, certainement très différente de celle du Moyen Âge. Mais notre économie ne peut se civiliser ni s'humaniser que si elle est une relation, que si elle unit les contraires, que si elle sait habiter généreusement ses contradictions et ses ambivalences.
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Publié dans Avvenire le 31/01/2021
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Entre le Moyen Âge et la Renaissance, l'esprit de l'économie de marché était différent, parfois très différent de celui du capitalisme moderne. C'est cette différence qui invite à revenir aux questions de cette saison de l'économie, car le capitalisme des siècles suivants n'a pas répondu différemment aux mêmes questions, il a simplement changé les questions. Cette première éthique marchande s'est développée dans un monde qui, tout en voyant s’accroître la richesse des grands marchands et tout en cherchant un moyen de les maintenir dans l'enclos des brebis du Christ, a également vu le mouvement franciscain lutter avec les papes et les théologiens pour pouvoir obtenir le privilège de la plus grande pauvreté, de pouvoir parcourir le monde sans devenir dominateurs (maîtres) des biens qu'ils utilisaient. Entre le Livre de la raison commerciale et celui de la raison religieuse, il y avait une tension tragique. L'un a défié et limité l'autre, de sorte que le commerce n'est pas devenu une idole, ni la religion une cage.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 24/01/2021
Les Franciscains et les Dominicains ont changé le monde : être riche parmi ceux qui prônent la pauvreté est bien différent qu’ être riche parmi ceux qui magnifient, même religieusement, la richesse.
Au Moyen Âge, l'émergence progressive d’une l'éthique du commerce européen était quelque chose de beaucoup plus complexe que la simple sécularisation de la traditionnelle éthique religieuse. Le processus qui a conduit de l'économie de marché médiévale au capitalisme n'a pas été linéaire, il a connu des interruptions, des écarts et des rebonds. Au Moyen Âge, le marchand était d’abord un homme de son temps et ensuite un marchand. Sur les routes du commerce européen, outre ses clients et ses fournisseurs, il a également rencontré des démons, des penseurs et des saints, et tandis qu’il s’enrichissait sur cette terre, son esprit était tourné vers le Ciel. Habitants des "terres du midi" par vocation et en toutes saisons, ces marchands étaient à la fois des hommes de leur temps et des hommes hors du temps, enracinés dans leur époque et pourtant précurseurs des temps nouveaux. Comme tous les innovateurs, ils se sont déplacés entre le déjà et le pas encore, derniers représentants d'un monde et premiers d'un autre qui n'existait pas encore. Ils se tenaient sur la ligne de crête du temps, et de là, ils pouvaient regarder plus loin, ancrés dans le présent et spéculer sur l'avenir. La première et la plus importante communauté dans laquelle ils ont vécu n'était pas la societas mercatorum, la société marchande, mais la communauté chrétienne, leur première loi n'était pas la lex mercatoria , celle du marché, mais celle de l'Église. Leur richesse était grevée d’une hypothèque sociale qui était un feu spirituel qui transformait leurs deniers en braises ardentes s'ils ne les partageaient pas avec la communauté.
[fulltext] =>On lit dans l'un des premiers livres sur le commerce : « Voici les qualités qu’un véritable et honnête marchand doit cultiver en lui: vivre de manière constamment droite, […] qu’il ne vienne pas manquer à sa promesse... qu’il fasse usage de l’Église et donne à Dieu. Qu’il s’interdise l'usure et les jeux de hasard, qu’il tienne bien ses comptes et ne se trompe pas. Amen » (Francesco Balducci Pegolotti, "La pratica della mercatura" (la pratique du commerce), c. 1340, p. xxiv). "Ce véritable et honnête marchand" vivait donc d'un mélange de pratiques commerciales et de crainte de Dieu, de raison économique et de raison théologique, d'éthique de la culpabilité et d'éthique de la honte. La recherche du bonheur individuel n'avait aucun sens si elle n'était pas précédée, ordonnée et équilibrée par la recherche de la felicitas publica si chère aux Romains : celle-ci (la felicitas publica) a rencontré la théologie chrétienne de la communauté comme corps du Christ, et donc la philosophie du Bien Commun. La recherche du bonheur public était un objectif voulu, qui se réalisait en renonçant à des parts considérables de biens privés (loin des 2% des profits...) afin de réaliser des biens communs. Nous sommes donc à l'opposé de la philosophie moderne de la "main invisible", selon laquelle la richesse publique découle, indirectement, de la recherche individuelle de la richesse privée. Dans l'humanisme médiéval, le bien commun naissait en soustrayant les ressources des biens privés, dans le capitalisme, il naîtra en additionnant les intérêts privés (plus mon bien est grand, plus le bien commun le sera).
Lorsqu'avec le deuxième millénaire, un nouvel esprit économique commença à se développer dans le sud de l'Europe, un esprit était certes nouveau mais qui n'était pas encore celui du capitalisme, s'il est vrai que ce dernier consiste à considérer « la richesse comme le moyen le plus approprié pour une satisfaction toujours meilleure de tous les besoins possibles » Amintore Fanfani, "Cattolicesimo e protestantesimo nella formazione storica del capitalismo", 1934, p. 15-16 (Catholicisme et protestantisme dans la formation historique du capitalisme). Aux XIIIème et XVème siècle les richesses abondaient dans la ville de Florence, mais elles ne satisfaisaient pas tous les besoins ; elles ne procuraient ni l'estime sociale, ni la paix intérieure, ni le paradis : ou plus exactement, elles les satisfaisaient aussi en partie lorsqu’en les donnant, les riches s'en libéraient. Nous ne devons pas oublier que tout au long de la fin du Moyen Âge, l'influence des Franciscains, des Dominicains et des ordres religieux sur la vie économique et sociale a été grande, parfois très grande. Les places et les foires étaient peuplées de frères et de moines qui, par leur seule présence, rappelaient aux marchands l'enfer et le purgatoire ; ils étaient leurs confesseurs, leurs conseillers et assistants spirituels, les prédicateurs étaient des figures de poids qui ne laissaient pas les hommes d'affaires indifférents : les prédicateurs de Carême étaient peut-être les seuls à s’imposer davantage que la richesse et les splendeurs des grands marchands. Ces nouvelles richesses commerciales s'inscrivaient dans un contexte religieux et culturel qui faisait l'éloge de la pauvreté. Les Franciscains et les Dominicains ont vraiment changé le monde, d'une manière et avec une force que nous ne pouvons même plus imaginer. Grâce à eux, l'idéal chrétien était la pauvreté évangélique, et non la richesse. Il en fut ainsi pour les frères et les moniales, mais aussi pour les laïcs, dont beaucoup étaient dans leurs Tiers-Ordres.
Dans les pays latins, la richesse n'était bonne que si elle était partagée, que si elle devenait aussi une richesse publique, car le centre de la vie sociale restait la communauté. Au Moyen Âge, la richesse était partagée par le biais des dons et des testaments. Avec la modernité latine, elle sera partagée par l'État social. M. Lapo Mazzei, notaire, écrivait au riche marchand Francesco di Marco Datini comme suit : « Douze frères, avec un de leurs aînés (réputé pour sa sainteté), voyant que la Règle de saint Augustin n'était pas observée à Sienne, ni dans ses environs, ont quitté la ville, et se sont retrouvés près de là, en un lieu pauvre, dans un bois, pour vivre selon la Règle, pauvrement ; ... ils demandent de vous faire savoir qu'en ce lieu, sur les collines ou en plaine, il n'y a rien pour eux ; un simple pain leur suffirait, avec peu d'aide. » ("Lettres d’un notaire à un marchand ", 1880, vol. 2, p. 132). Dans cette lettre et dans bien d'autres, Mazzei demande à son "père" (comme il l'appelle) d'aider économiquement les couvents, les monastères et des familles, d'acheter des objets sacrés. À la fin de sa vie, il lui fait rédiger un nouveau testament (en 1410) dans lequel il lègue presque toute sa richesse extraordinaire au "Tronc des pauvres" de la ville de Prato. Dans une autre lettre, Mazzei enseigne à son marchand la nature des vraies richesses : « Ceux qui mènent assurément une vie déréglée et ignorent ce qu'est la richesse de l'homme, croient aveuglément qu’elle consiste à posséder de nombreux biens acquis n’importe comment. Ceux-ci, comme les commissaires-priseurs corrompus, appellent bien le mal et mal le bien. » (p. 154). Mazzei était un laïc, mais pour Datini, c’était un véritable compagnon spirituel, le premier acteur de sa conversion. La foi était une culture, pas seulement une question religieuse :le Moyen-Âge était beaucoup plus laïc que nous pouvons l'imaginer, même au sein des monastères et des couvents. Et la bienheureuse sœur Chiara Gambacorti, dominicaine, écrit à Datini : « Nous sommes pauvres ; et c'est pourquoi, en tant que pauvres, par amour du Christ, nous nous recommandons à vous, afin que, dans ce besoin qui est le nôtre, vous nous donniez souvent l'aide que Dieu vous inspire. » (p. 319).
De ces lettres il ressort une dimension essentielle de la relation entre richesse et pauvreté dans cet humanisme. La pauvreté choisie des religieuses, qui les met dans la condition d’être nécessairement aidées, crée chez les riches une obligation morale de leur venir en aide, c’était aussi une manière de redistribuer la richesse et de la rendre bonne. Ce bénéfice mutuel, qui est au cœur du pacte social qui régissait la structure éthique du Moyen-Âge, a contribué à la splendeur de ses églises et de ses villes, qui nous font encore vivre. Un poète, injustement emprisonné, qui demandait à Datini un prêt (et non l'aumône), lui écrit : « Je n’ai aucune honte à être pauvre. » (Jacopo del Pecora, p. 345). Dans cette société, la pauvreté ne justifiait en rien la honte ; la misère oui, mais pas la pauvreté évangélique, parce que celle-ci était une manière d’imiter le Christ (et les saints), et c’était un privilège moral de le comprendre.
Depuis l'Empire romain il y a toujours eu des marchands en Europe; mais les quelques grands marchands du XIIIe siècle étaient différents. Ils opéraient sur les marchés internationaux, ils connaissaient tous les Pays du monde d’alors, ils étaient extraordinairement riches, et surtout ils rendaient leurs villes riches et somptueuses. Ils étaient fortunés, mais ils n'étaient pas encore capitalistes, car ils restaient habités par un esprit médiéval : « Pour le précapitaliste, il faut non seulement faire la distinction entre les moyens licites et illicites d'acquisition de la richesse (ce qui arrive, selon un autre critère, également pour le capitaliste), mais il faut aussi faire la distinction entre l'intensité licite et illicite dans l'usage des moyens licites. La morale pré-capitaliste ne condamne pas seulement les moyens illicites, mais limite aussi l'usage des moyens licites. » (Fanfani, p. 18). La morale économique précapitaliste évoluait dans un espace marqué par deux axes précartésiens : la légalité et l'intensité. Deux axes interactifs, car, à dès le XIIIème siècle, l'évolution du caractère licite de l'intérêt et du profit a également eu des conséquences dans le domaine de l'intensité (produire de l'argent à partir de l'argent devenait légitime dans certaines limites et cela a conféré indirectement un statut plus positif à la richesse en elle-même). Avec la naissance de l'esprit capitaliste, le deuxième axe (l'intensité) a disparu et seul est resté celui du licite et de l’illicite, défini de plus en plus par les lois des États et de moins en moins par la religion. L'intensité n'était plus soumise au critère de la licéité, et dans le contexte protestant, la richesse devenait le signe d’une bénédiction de Dieu. Nous sommes ici dans l'éthique du capitalisme. C'est donc ce changement d’esprit radical au sujet de la richesse qui a créé le capitalisme, lorsque soudain l'enrichissement individuel est devenu une bénédiction.
Une question demeure toujours présente, même si elle n’est pas nouvelle : l'esprit du capitalisme moderne était-il un développement ou au contraire une trahison de l'esprit économique des marchands du Moyen Âge ? L'ADN des Bardi et des Datini était-il le même que celui des Rockefeller et des Bill Gates ? Ou bien y a-t-il eu un saut qualitatif ? L'école catholique d'économie, qui de Toniolo à Barbieri, en passant par Fanfani, a interprété la naissance du capitalisme, et donc le changement d'esprit économique dans le passage du Moyen Âge à la Modernité, comme un déclin et une décadence morale de l'esprit économique : « Alors qu'avec son esprit novateur elle débridait les rênes des intérêts et des profits moins honnêtes, la Réforme a reconfiguré et ébranlé la tradition scientifique catholique et la législation canonique, en ôtant à l'Église l’éthique des relations économiques, qui avait toujours visé à maintenir l'homme au-dessus et à distance du capital. Privée de ce contrepoids, l'économie capitaliste a commencé à se développer.» (Giuseppe Toniolo, "L'économie capitaliste moderne", 1893, p. 221). Même s’il y a des nuances d’un auteur à l’ autre, ces érudits catholiques considèrent le capitalisme moderne comme une trahison de l'humanisme du Moyen Âge tardif. Au XXe siècle la culture dominante considérait cette lecture "catholique" comme rétrograde et en tout cas erronée. Mais un capitalisme sans pondération qui détériore la planète en accroissant les inégalités, ne devrait-il pas nous inviter à ouvrir une nouvelle saison et engager une critique de l'esprit du capitalisme ?
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 24/01/2021
Les Franciscains et les Dominicains ont changé le monde : être riche parmi ceux qui prônent la pauvreté est bien différent qu’ être riche parmi ceux qui magnifient, même religieusement, la richesse.
Au Moyen Âge, l'émergence progressive d’une l'éthique du commerce européen était quelque chose de beaucoup plus complexe que la simple sécularisation de la traditionnelle éthique religieuse. Le processus qui a conduit de l'économie de marché médiévale au capitalisme n'a pas été linéaire, il a connu des interruptions, des écarts et des rebonds. Au Moyen Âge, le marchand était d’abord un homme de son temps et ensuite un marchand. Sur les routes du commerce européen, outre ses clients et ses fournisseurs, il a également rencontré des démons, des penseurs et des saints, et tandis qu’il s’enrichissait sur cette terre, son esprit était tourné vers le Ciel. Habitants des "terres du midi" par vocation et en toutes saisons, ces marchands étaient à la fois des hommes de leur temps et des hommes hors du temps, enracinés dans leur époque et pourtant précurseurs des temps nouveaux. Comme tous les innovateurs, ils se sont déplacés entre le déjà et le pas encore, derniers représentants d'un monde et premiers d'un autre qui n'existait pas encore. Ils se tenaient sur la ligne de crête du temps, et de là, ils pouvaient regarder plus loin, ancrés dans le présent et spéculer sur l'avenir. La première et la plus importante communauté dans laquelle ils ont vécu n'était pas la societas mercatorum, la société marchande, mais la communauté chrétienne, leur première loi n'était pas la lex mercatoria , celle du marché, mais celle de l'Église. Leur richesse était grevée d’une hypothèque sociale qui était un feu spirituel qui transformait leurs deniers en braises ardentes s'ils ne les partageaient pas avec la communauté.
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stdClass Object ( [id] => 18565 [title] => L'amour des personnes et "l'art du commerce" [alias] => l-amour-des-personnes-et-l-art-du-commerce [introtext] =>La foire et le temple/11 - En tissant de nombreuses relations, le Toscan Francesco Datini s’est rendu exemplaire. Pessimisme, cynisme, envie et méfiance sont les grands vices mortels des entreprises.
par Luigino Bruni
Publié sur Avvenire le 17/01/2021
Les entreprises vertueuses et prospères appartiennent à ceux qui travaillent pour gagner leur vie et en même temps par vocation. Les deux vont ensemble. La richesse, comme le bonheur, vient en visant aussi autre chose.
Ceux qui observent la vie économique de loin, finissent souvent par manquer les plus belles caractéristiques de cet aspect de la vie. Ils voient des publicités, des réunions, des bureaux, des algorithmes, des calculs, des profits, des dettes. Il ne se rendent presque jamais compte que derrière les stratégies, les contrats et les affaires, il y a des personnes, et parmi celles-ci, il y en a qui engagent dans leur entreprise tout leur être, toutes leurs passions et leur intelligence,toute leur vie. De loin et de l'extérieur, nous voyons les résultats de leur travail, mais rarement le corps de ces travailleurs, ni presque jamais leur âme. Mais quand nous pouvons voir leurs âmes, nous voyons dans ces mêmes entreprises des esprits et des démons, des anges monter et descendre du ciel.
[fulltext] =>La correspondance, les journaux et les mémoires des marchands des XIVe et XVe siècles en Italie et en Europe sont des sources précieuses car elles nous permettent d'entrer dans leur âme, à l’aube de leur profession. La vie et les lettres de Francesco di Marco Datini (1335-1410) présentent des caractéristiques extraordinaires et passionnantes. Francesco était le fils de Marco (di Datino), un boucher de Prato qui est mort, avec sa femme et deux de leurs quatre enfants, pendant la peste de 1348. Francesco a été élevé par Piera, sa voisine – dans l’ obscur Moyen Âge on était capable de faire cela aussi. Après un bref séjour à Florence en tant que commis d'étalage, il part à quinze ans pour Avignon, où, dans un premier temps, il aide à la vente, puis débute sa carrière de marchand. Il a fondé une véritable multinationale, avec des entreprises à Prato, Avignon, Florence, Pise, Barcelone, Valence, ayant à la fin de sa longue vie un patrimoine de plus de 100 000 florins, qu'il a légué à des œuvres de charité. L'Europe a été créée avant tout par les moines et les marchands, des spirituels et des commerçants, qui ensemble ont réalisé des projets extraordinaires.
Au cours des trente-deux années passées en Avignon, il s’est don constitué une fortune considérable, à tel point que lorsqu'il est revenu à Prato, on l’ appelait "Rich Francesco" (Paolo Nanni, Raisonner entre commerçants : pour une relecture de la personnalité de Francesco di Marco). Il a créé une structure d'entreprise innovante, une véritable société de portefeuille : chaque société avait sa propre autonomie économique et juridique, mais celle de Florence "Francesco Datini et compagnie" détenait la majorité des parts de ce réseau d'entreprises complexe, qui s'est frayé un chemin à travers les principaux marchés européens, centrée sur la production et le commerce de la laine, de la soie et de "tout ce qu’on pouvait vendre". Un tel réseau commercial reposait avant tout sur un tissu relationnel serré et dense. Et c'est dans cette façon de commercer, entendue comme celle de cultiver des relations, que se révèle le génie de Datini.
Avec lui apparaît ce qui caractérise le marchand, son habitus, quelque chose de très semblable à l'habit du moine, y compris comme posture existentielle et façon d'être au monde. Faire du commerce coïncide avec le fait d’être marchand, le commerce est donc une vocation . Dans une lettre, Datini écrit que s'il devait continuer à ne travailler que pour l'argent, cela n’en vaudrait pas la peine : « De notre métier on retire de nombreux bienfaits qui valent bien plus que le prix d’un château. » (lettre de 1378). Dans une lettre de 1386, sa jeune épouse Margherita lui reproche le fait que la «vie agréable » qu'il lui avait promise n'est jamais arrivée : « Tu dis toujours que tu auras une vie agréable.... Cela fait déjà dix ans que tu le dis et aujourd'hui, tu me sembles plus que jamais incapable de te reposer : c'est de ta faute.» L'activité du commerçant finit par coïncider avec sa vie : « Je suis résolu à faire comme le médecin qui, de son vivant, est médecin. » (1388).
En parcourant ses lettres, conservées dans les archives d’État de Prato, on est frappé par certains aspects de cette éthique marchande. Tout d'abord, la relation entre le commerçant et la richesse. Les vertus qu'il enseigne systématiquement à ses associés sont nombreuses et ne sont pas toutes celles dont on qualifierait aujourd'hui la profession de commerçant. Il préconise le risque (« celui qui part pour semer en ayant peur des moineaux ne sèmera rien »), mais en même temps il recommande la modération (« Qui chasse trop de renards, perd l'un tandis que l'autre s'en va ») ; il encourage la rapidité (« Celui qui agit vite agit deux fois. »), mais en même temps il sait se contenter (« mieux vaut commencer avec une grosse cuillère à la main qu'avec une grive dans la bouche ») ; il encourage l'audace («Un cavalier n’a jamais manqué de chevaux ») mais aussi la pondération («Un sage marchand dit un jour qu’en gardant l'argent dans un coffre, il produisait dix pour cent. »)
Une philosophie du commerce pétrie de préceptes bibliques, de sagesse antique (Sénèque, Cicéron) et de proverbes populaires, qui, mis ensemble, conduisent Datini à élaborer la règle d'or de son éthique des affaires : ne pas faire de la richesse le seul ou le principal objectif du commerce. Le désir exclusif de gagner de l'argent est une passion qui peut aveugler, à tel point que le marchand avisé devrait de temps en temps se regarder avec les yeux d'un observateur extérieur et impartial ; comme dans une partie d'échecs, où un enfant qui observe les joueurs « voit parfois plus qu'eux, car celui qui regarde n'est pas pris par la peur de perdre ou l’envie de gagner. »(1402). Pour Datini, le grand vice du commerçant, compris comme sa grande erreur, est l'avarice, qui l’empêche également de gagner, puisque le commerçant avisé, pour gagner, doit contrôler sa propre soif de gain.
Une éthique des affaires qui renvoie donc directement à celle de la vertu (que Datini connaît et enseigne). Dans cette vision du monde, la vertu est comprise comme une attitude à cultiver pour atteindre l'excellence dans une sphère de vie donnée. Pour être vertueux, les comportements ne peuvent être uniquement et entièrement orientés vers un but, il leur faut une certaine valeur intrinsèque : une action doit être pratiquée parce qu'elle est bonne en soi et pas seulement comme moyen d'obtenir quelque chose d'extérieur à elle-même. L'athlète ne sera pas vertueux (excellent) s'il ne concourt que pour gagner et non par amour du sport lui-même, pas plus que le scientifique qui ne fait des recherches que pour la gloire et non par amour de la science. Toutefois, dans le commerce, la dimension extérieure est particulièrement importante. Il est difficile d'imaginer un commerçant opérant uniquement pour le commerce et les relations avec ses clients et fournisseurs, car l'obtention d'un gain extérieur à l'action fait partie de la nature même du commerce. Datini nous rappelle cependant que sans une dose d'amour pour le commerce et pour sa profession, le "marchand" change de nature et devient autre chose : usurier, par exemple.
Le marchand vertueux est alors quelqu'un qui travaille pour l'argent et par vocation. Le commerçant qui ne travaille que pour l'argent (ou qui ne travaille que par vocation, ce qui peut être encore pire) est donc un mauvais professionnel. Et celui qui ne travaille que pour l'argent ne gagnera même pas d'argent, car il va à l'encontre de la nature de son métier. Une ancien précepte de la profession dit que le commerçant qui veut à tout prix s'enrichir, ne s'enrichit pas. Une façon de dire que,tout comme le bonheur, la richesse vient en cherchant aussi autre chose. A tel point qu'à la fin de sa vie, il écrit qu'il a consacré «son âme et son corps au commerce, non par avarice ni par désir de gain, mais seulement parce que tout le reste le décevait.» (1410).
En poursuivant la lecture de la correspondance de Datini, émerge un deuxième élément ou vertu du commerçant: un regard positif sur le monde et même avant cela sur les autres hommes, tel est son idéal dans la vie comme dans sa profession. Dans une lettre de 1398, il nous rappelle le motif principal de son association avec d’autres lorsqu’il était en Avignon : « L'amour que j'avais pour les gens » Une magnifique phrase qui énonce la condition préalable pour répondre à la vocation de commerçant. Un entrepreneur qui n'a pas "d'amour pour les gens" ne deviendra pas un bon entrepreneur. Sans regarder la société et les gens de façon bienveillante et positive, sans considérer une nouvelle rencontre comme l’occasion d’une croissance commune, sans mettre la confiance comme hypothèse de départ, on ne peut pas pratiquer l'art du commerce. L'entrepreneur est avant tout quelqu'un qui regarde le monde comme un ensemble d'opportunités relationnelles, qui croit que les personnes sont sa première richesse et que la richesse des autres est aussi une possibilité pour lui-même. C'est là que réside sa générosité, qui résulte toujours de son regard positif sur l'être humain. Le pessimisme, le cynisme, l'envie et la méfiance sont les grands vices capitaux de l'entreprise.
Et comme conséquence de cette deuxième vertu "anthropologique", une troisième vertu émerge de sa correspondance, fondamentale dans la vie et le succès de Datini : son souci des relations. Datini n’a cessé de créer des liens, de tisser des relations d'amitié et même de fraternité : « Quand je suis allé avec Toro di Bertto à Vignone, beaucoup se sont moqué de moi en disant : "Tu étais libre et tu es devenu un serviteur". Je leur ai répondu que j'étais heureux d'avoir un compagnon pour deux raisons : d'une part, pour avoir un frère, et d'autre part, pour avoir quelqu’un qui me protège des jeunes filles. » Et d’ajouter : « Combien il serait plus sûr et plus agréable d'avoir, dans le même commerce, deux compagnons qui s'aiment comme des frères! » (1402). Malgré les nombreuses déceptions que ses compagnons lui avaient procurées dans le cadre de son activité commerciale – « tu n'as personne qui ne te trahisse douze fois par jour », lui rappelait sa femme Margherita en 1386 –, il concluait avec l’antique sagesse des proverbes : « Qui vit en compagnie des autres est seigneur !» Pour le marchand de Prato, la compagnie est « la meilleure parenté qui soit. » (1397), il la compare à une famille et à la relation entre frères. Lorsqu'une amitié était rompue, Datini invitait ses associés à pratiquer le pardon : «Sauf en cas de trahison, de vol, de meurtre, d'acte obscène, d'adultère ou de quelque iniquité impardonnable, dans tous les autres cas un homme devrait toujours essayer retrouver l'amour de son ami . » (1397)
La vertu cardinale de l'entrepreneur est l'art de coopérer, et celui-ci ne dure pas sans apprendre l'art essentiel du pardon. Même si les écoles de commerce d'aujourd'hui, pourvues de nombreux outils et techniques, piégées par les métaphores guerrières ou sportives, ont oublié la force des vertus douces, essentielles pour exercer ce métier difficile.
L'entrepreneur a toujours vécu et vit de nombreuses formes de bénéfices partagés, il est créateur et consommateur de relations et d’amitié, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise. Ensuite, il doit tout d'abord s'éduquer et se former à ces vertus, c'est cet art qu'il doit cultiver. Pratiquer la gentillesse, l'amabilité, investir du temps, beaucoup de temps, dans l'écoute des gens, développer tous ces moyens qui facilitent la création et le maintien d'actifs relationnels, qui constituent le premier actif essentiel, invisible et bien réel, de son entreprise, dont dépend sa première beauté. Francesco di Marco Datini le savait très bien, nous devons retrouver ces fondamentaux. Nous sortirons de cette crise et de la souffrance des entrepreneurs, en revenant à "l’amour des personnes".
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par Luigino Bruni
Publié sur Avvenire le 17/01/2021
Les entreprises vertueuses et prospères appartiennent à ceux qui travaillent pour gagner leur vie et en même temps par vocation. Les deux vont ensemble. La richesse, comme le bonheur, vient en visant aussi autre chose.
Ceux qui observent la vie économique de loin, finissent souvent par manquer les plus belles caractéristiques de cet aspect de la vie. Ils voient des publicités, des réunions, des bureaux, des algorithmes, des calculs, des profits, des dettes. Il ne se rendent presque jamais compte que derrière les stratégies, les contrats et les affaires, il y a des personnes, et parmi celles-ci, il y en a qui engagent dans leur entreprise tout leur être, toutes leurs passions et leur intelligence,toute leur vie. De loin et de l'extérieur, nous voyons les résultats de leur travail, mais rarement le corps de ces travailleurs, ni presque jamais leur âme. Mais quand nous pouvons voir leurs âmes, nous voyons dans ces mêmes entreprises des esprits et des démons, des anges monter et descendre du ciel.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 10/01/2021
Nostalgie d'un capitalisme imparfait, mais toujours capable de conversion au moment de la mort et d’établir des comptes au nom de «Notre Seigneur Dieu».
L'osmose entre le cloître et le monde du commerce était beaucoup plus vaste et plus profonde qu'on ne le dit généralement. Les marchands les plus riches, dès le XIe siècle, faisaient éduquer leurs enfants dans des monastères, à tel point que dans de nombreuses langues européennes, le mot clerc désigne aussi depuis de nombreux siècles les commis et les hommes d'affaires (aujourd’hui encore : clerk en anglais). Et ce n'est pas par hasard que l'on parlait de cette profession à propos des moines comme des laïcs. Les commerçants n'étaient nullement incultes ni illettrés, mais, à leur manière, ils faisaient partie essentielle du mouvement humaniste des philosophes et des écrivains – leur déclin, hier tout comme aujourd'hui, commence lorsqu'ils cessent d'être des humanistes, parce qu'ils deviennent les esclaves des sophistes de service.
[fulltext] =>L’extraordinaire essor du commerce au Moyen Âge n’aurait pas eu lieu sans le rôle culturel des moines : les commerçants se sont imposés également grâce à l’enseignement dispensé dans les monastères. À partir du XIIe siècle, les nouveaux ordres mendiants se sont ajoutés aux moines qui, à la différence de ceux-ci, vivaient au cœur des villes nouvelles, en y laissant une forte empreinte culturelle, architecturale et éthique. Nous ne pouvons pas comprendre ce premier "capitalisme" sans tenir compte des liens quotidiens entre le commerce et les charismes des ordres mendiants, qui ont fait entrer la foi dans les commerces et les commerçants à l'intérieur des cloîtres. L'Humanisme et la Renaissance sont le fruit de cette alliance, souvent explicite, entre les marchands et les religieux. C'est au sein de cette alliance invraissemblable que nous trouvons les racines des succès extraordinaires de l'économie occidentale et celles aussi de ses ambiguïtés.
Une alliance qu’attestent les traités de théologie et les registres de comptes. Au cours de ces siècles, la foi avait sa place dans les pages du bilan financier, elle ne relevait d’aucun bilan social. Le compte intitulé à "Notre Seigneur Dieu" figurait à côté des autres. Dans les "Livres secrets" de la compagnie des Bardi de Florence, on lit : « Nous avons dû donner pour Dieu 1876 livres, 10 florins, en juillet 1310 », et puis on les reportait sur le Cahier des Comptes « où ils étaient également enregistrés » (Armando Sapori, Mercatores). Le compte de "Notre Seigneur Dieu" se trouvait non seulement dans le "livre secret" (c'est-à-dire celui des intérêts sur les dividendes et des dépôts de chaque membre associé), mais aussi dans le "Livre de Raison" (des Comptes) qui contenait les colonnes "dare et habere" (sorties et entrées) et les comptes principaux […] Le compte de Dieu était traité comme n'importe quel compte ordinaire, tenu exactement comme ceux des autres associés: « On y parle de la "part" de "Notre Seigneur Dieu" comme de celle de Messire Ridolfo, de Messire Nestagio, et comme de celles de tous les associés. » Dans le bilan de 1312 on peut lire : « les pauvres ont reçu 661 livres, c'est-à-dire autant que Cino di Boninsegni qui avait deux parts de la société. »
Les représentants dans la société de "Notre Seigneur Dieu" (Messer Domineddio) étaient donc les pauvres, et « les pauvres se considéraient comme des membres de la société, et tous les accords du contrat social concernant la répartition des revenus leur étaient applicables » (Sapori, Mercatores). Certes, c'était un autre monde, mais lire "donner pour Dieu" dans le bilan de ces premières multinationales ne laisse pas indifférent. Mais s'ils destinaient une partie de leurs dividendes à "Notre Seigneur Dieu", ces marchands pratiquaient largement l'usure. Les usuriers, nous le savons, étaient complètement insérés dans la société médiévale. Pour ouvrir une banque ils devaient obtenir une concession de la Commune, c'est-à-dire un contrat public avec la ville et devaient s’afficher comme "usuriers officiels". C’étaient des chrétiens et des juifs, très reconnaissables à leur comptoir et au tapis sur lequel ils s'asseyaient sous leur auvent, bien en vue dans les rues du centre ville.
En 1417, par exemple, il y avait quinze prêteurs officiels à Pistoia. Parmi les biens laissés en gage auprès de la banque de cette ville, gérée par un chrétien, on trouve de nombreux outils d’artisans. Piero, meunier, met en gage un « vêtement de femme, gris, vieux, usé » ; un tailleur de Montepulciano « une escarcelle en mauvais état », et Bartholomeo di Filippo de Vérone, "des chaussettes noires, vieilles et usées" ; puis des scies, des maillets, des peaux, des socs de charrue (L. Zdekauer, L'interno di un banco di pegno, l’intérieur d’une banque de prêts sur gages en 1417). Ces gages étaient donc des objets et des outils de travail appartenant à des artisans ; et, dans le cas fréquent de pertes aux jeux (l'une des raisons les plus courantes de recourir à l'emprunt), ils portaient préjudice aux villes. En consultant la liste des gages, on est frappé par l'origine des débiteurs : c’était presque exclusivement des étrangers, signe qu'aller chez les usuriers était considéré comme une démarche honteuse, qu’on engageait donc là où on n’était pas connu. Dans ce contexte social, on peut mieux comprendre la nécessité urgente des Monts-de-Piété franciscains, qui sont nés dans le sillage des prêteurs sur gages existants ("Comme on a fait pour les Monts-de-piété des Juifs", est-il précisé en 1471 à Sienne, à l'occasion de la création du Mont-de-Piété).
À la lecture de ces archives anciennes, on est frappé par l'absence, dans les listes d'usuriers, des familles des grands banquiers- marchands. Si, en effet, ceux-ci exerçaient également la fonction de banquier, cette deuxième activité bancaire (du latin fenus : intérêt, usure) était considérée comme liée à leur commerce , et n’était donc pas qualifiée d’usurière. On retrouve ici la profonde distinction, qui traverse tout le Moyen Âge, entre les grands et les petits commerçants, les premiers acceptés et souvent honorés, comparés à la figure de Marie-Madeleine ou à celle des Mages, et les seconds, condamnés comme parasites, assimilés à Judas l’intendant traître. En fait, « d'après les noms des usuriers que nous trouvons dans nos registres, il semble qu'aucun d'entre eux n’ait appartenu aux grandes familles de commerçants et banquiers, comme les Ammannati, Cancellieri, Visconti, Reali, Cremonesi ... » (Sapori, L'usura nel Dugento a Pistoia).
Les grands banquiers-marchands ont progressivement conquis un droit de cité dans un Moyen Âge où la richesse était tenue en très basse estime, grâce surtout à leurs dons et restitutions. C'est en fait dans les testaments des grands marchands que nous pouvons saisir quelque chose d'essentiel à l’esprit du capitalisme naissant.
La première disposition de ces testaments est l'obligation, adressée aux héritiers, de restituer l'usure et tout gain mal acquis : « Moi, Iacopo, citoyen de Sienne, sain d'esprit mais infirme de corps, j'ordonne que toute usure, tout gain mal acquis soit rendu au peuple » ; puis il ajoute : « Les personnes et leurs lieux d’habitation sont rappelés dans le Livre de mes comptes, que je remets maintenant au frère Ugo de San Galgano. » Et de conclure : « Comme mon patrimoine liquide ne suffit certainement pas à réparer mes malversations, précisément en raison de l’usure et du grand nombre de biens mal acquis, je veux et j'exige que mes biens soient vendus. » (Sapori, Mercatores).
En outre, les corporations exigeaient qu'au début de chaque année une commission, composée de marchands et de frères, passe de boutique en boutique pour demander, sous peine d'expulsion, que les marchands se pardonnent mutuellement leur pratiques usurières dans une sorte de pacte de miséricorde (il n’est pas exclu qu’il ait été introduit par les Franciscains). Il est donc surprenant et émouvant de lire dans les Livres de Comptes : « Nous, Francescho del Bene et ses associés, en août 1319, avons pardonné à Duccio Giunte et Geri di Monna Mante, administrateurs de la guilde de l’Art, et à tous ceux qui, dans la Guilde, auraient subi des pertes à cause de nous ; et les administrateurs ci-dessus nous ont pardonné. » (Sapori, Mercatores). Les registes de Comptes de ce capitalisme, consacraient une rubrique à "Notre Seigneur Dieu" et on y parlait de pardon et de miséricorde, l'usure signifiait "profit" et les Monts-de-piété "sans profit".
Au cours de ces mêmes années, les théologiens franciscains (par exemple Olivi) légitimaient le prêt à intérêt. Mais tous les marchands ne lisaient pas les traités de ces maîtres, rédigés en latin, et surtout ils savaient bien quand l'intérêt qu'ils pratiquaient avait été excessif, quand les profits avaient été malhonnêtes et illicites. Et ces diverses transactions, effectuées principalement à l'étranger et soustraites au regard des amis et des frères, étaient inscrites leur âme et aussi dans leurs registres. Ainsi, à l’approche de leur mort, lorsqu’il est question des bilans portant sur d’autres redevances, ces marchands chrétiens voulaient quitter cette terre pour remettre les choses en ordre et restituer les gains qu’ils avaient mal acquis.
Ces dons et ces restitutions avant de mourir sont à l’origine d’une bonne partie des œuvres d'art de nos villes, hôpitaux et associations caritatives : autant de biens communs nés de cette ultime comptabilité, de la conscience de ces hommes d’affaires qui savaient qu'une partie de leurs richesses devait être corrigée et redressée ; parce qu'ils étaient convaincus, ou du moins ils espéraient, que faire don en fin de vie la richesse mal acquise était la seule alchimie possible pour transformer le mal en bien.
Ce premier "esprit du capitalisme" méridional ne voyait pas en toute richesse une bénédiction, mais seulement dans la bonne richesse, c'est-à-dire la richesse débarrassée de l'usure et des gains mal acquis. La mort est donc devenue le premier mécanisme de redistribution d'une richesse qui produisait des biens privés au cours de la vie et des biens publics post mortem.
C'est ainsi que les marchands, surtout les grands et les riches, ont été acceptés par la culture de leur époque, en faisant acte de réparation des péchés de leur vie à l’occasion de leur mort . Cette société a fini par considérer la restitution des richesses comme bien plus méritante que les "profits" tirés par les petits commerçants-usuriers de l'argent qu'ils prêtaient. Les bénéfices de ces compensations l'emportaient sur les dommages moraux de l'usure. C'est là que commence à se développer la règle éthique qui est à la base de la société occidentale : à vices privés, vertus publiques.
Et si nous voulons aller au fond de notre raisonnement, nous devons alors reconnaître que ces donations et restitutions sont à l'origine non seulement de la beauté de Florence et de Venise, mais aussi des nombreuses déviances du commerce moderne. Ces repentirs après coup n'ont pas suffi aux héritiers, à leur tour dirigeants de ces entreprises, pour changer leur éthique commerciale et faire moins de profits malhonnêtes et moins d'usure. Ils ont au contraire conservé la même éthique des affaires que leurs parents, en laissant à leurs testaments le soin de régler leurs comptes.
Les nombreux paradoxes de notre capitalisme se jouent entre ces vies ambivalentes et ces morts pieuses, entre ces pardons et ces régularisations, ces oeuvres philanthropiques qui portent sur 2% des bénéfices et qui font oublier les 98% restants, sans parler des sommes affectées aux jeux d’argent et aux usines d'armement. Lorsque, il y a quelques décennies, la crainte du jugement de Dieu a définitivement quitté l'horizon de notre capitalisme désenchanté, les nouveaux marchands, très riches, ont cessé d’éprouver le devoir moral de restituer à la communauté les gains mal acquis, et ces énormes bénéfices et usurpations ont généré de moins en moins de biens communs et de plus en plus de biens privés, et l'inégalité s'est amplifiée.
Et nous éprouvons une nostalgie croissante des comptes affectés au Seigneur notre Dieu et des pactes de miséricorde entre commerçants, car en croyant au paradis ces commerçants d’antan nous semblent beaucoup plus humains et citoyens que ceux qui aujourd’hui mettent leur foi dans les paradis fiscaux de notre capitalisme.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 10/01/2021
Nostalgie d'un capitalisme imparfait, mais toujours capable de conversion au moment de la mort et d’établir des comptes au nom de «Notre Seigneur Dieu».
L'osmose entre le cloître et le monde du commerce était beaucoup plus vaste et plus profonde qu'on ne le dit généralement. Les marchands les plus riches, dès le XIe siècle, faisaient éduquer leurs enfants dans des monastères, à tel point que dans de nombreuses langues européennes, le mot clerc désigne aussi depuis de nombreux siècles les commis et les hommes d'affaires (aujourd’hui encore : clerk en anglais). Et ce n'est pas par hasard que l'on parlait de cette profession à propos des moines comme des laïcs. Les commerçants n'étaient nullement incultes ni illettrés, mais, à leur manière, ils faisaient partie essentielle du mouvement humaniste des philosophes et des écrivains – leur déclin, hier tout comme aujourd'hui, commence lorsqu'ils cessent d'être des humanistes, parce qu'ils deviennent les esclaves des sophistes de service.
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par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 03/01/2021
De la nette condamnation de la spéculation marchande par la culture romaine et les Pères de l'Église, à la réévaluation des franciscains, époux de Dame Pauvreté.
Il n'est pas du tout facile de tirer des textes bibliques et des Évangiles une éthique économique unique et cohérente. Le mot le plus correct serait peut-être ambivalence, mais ceux qui voudraient en tirer une critiqe radicale de l'économie et de l'argent ne manqueraient certainement pas d’éléments allant dans leur sens. Encouragés et soutenus par une culture romaine tardive qui avait développé une profonde méfiance envers le commerce et les marchands, les premiers chrétiens les ont certainement repérés.
[fulltext] =>La critique du monde romain envers les marchands s’appuyait sur de nombreux faits, parmi lesquels leur tendance à identifier le moment favorable et à en tirer parti à leur propre avantage : une vertu privée considérée comme un vice public. L'agriculteur ne connaît que le passé et ses empreintes terrestres, le commerçant scrute au contraire les étoiles avec sa raison insidieuse, cherchant à saisir à la volée un avantage, y compris en lisant les mouvements des étoiles, des vents et des perturbations atmosphériques (Pline l'Ancien, Histoire Naturelle).
Le premier capital du commerçant était - et est - son étrange faculté de prévision. Son grand atout est sa capacité d'anticiper, de rendre le futur présent grâce à une mystérieuse alchimie. C'est là que réside sa spéculation, c'est-à-dire son aptitude à voir mieux et plus. La specula était une tour de guet où l'on se tenait pour regarder loin devant soi. Mais c’était aussi aussi l'espion ou l'explorateur : des personnages toujours mystérieux et inquiétants car ils avaient un accès privilégié aux secrets de la réalité. C'est donc leur relation avec ce bien particulier qu'est l'information, surtout celle qui échappe au commun des mortels, qui a rendu les marchands à la fois fascinants et redoutables.
« Un marchand très riche avait le don de comprendre le langage des animaux. » (L'âne, le bœuf et le fermier, dans "Les Mille et Une Nuits", où le mot marchand apparaît 211 fois). Dans le conte de fée populaire italien, La fanciulla e il mago (La jeune fille et le magicien), un magicien prétend être un marchand qui transforme des anneaux de fer en anneaux d'argent. Et dans les légendes médiévales, les Mages étaient à la fois des magiciens et des marchands.
Cette utilisation privée de l'information était alors liée à la relation particulière que les commerçants entretenaient avec les mots, à la limite de la magie. Le marchand est un expert du monde de Poros (le dieu grec des courtisans, un des parents d'Éros), un séducteur toujours tenté d'utiliser les mots pour tromper ses clients, les enchanter en parlant - enchantement et incitation sont des termes voisins. Seuls les magiciens et les marchands (et peut-être les prêtres) savent utiliser les mots différemment, pour nous séduire et nous enchaîner. Un langage commercial, donc toujours exposé au risque de la manipulation de la réalité. Autrefois, tout comme aujourd'hui, sur les marchés, on échange beaucoup de mots, aux confins de la réalité et du mensonge, et ces mots figurent en bonne place sur les étalages.
Le monde antique pensait donc que les commerçants, grâce au pouvoir des mots et de l'information, sans rien changer à leurs marchandises ni créer une valeur ajoutée, trompaient leurs clients en exploitant leur ignorance. Chaque vendeur était en somme un menteur, le marché une fiction où l’on donne du prix à ce qui ne vaut rien.
Un récit d'Otto de Cluny au Xe siècle reflète bien l'attitude médiévale envers le savoir des marchands. Le comte Géraud d'Aurillac, en voyage, fut approché par quelques marchands vénitiens frappés par l'un de ses tissus particulièrement précieux. Ils lui demandèrent combien il l'avait payé à Rome et se sont exclamés : « À Constantinople, ça coûte beaucoup plus cher ! » Cette information plongea le comte dans le désespoir et, quelques jours plus tard, le vendeur de Rome reçut de Géraud une somme égale à la différence de prix avec Constantinople (cité par Andrea Giardina, dans Le merci, il tempo, il silenzio, "Les marchandises, le temps, le silence".)
Mille ans plus tôt, dans le De Officiis Cicéron rapporte un débat entre deux philosophes stoïciens, Diogène et Antipater. En raison d’une grave famine à Rhodes, un marchand y exporte depuis Alexandrie une grande quantité de céréales. Il sait que d'autres marchands ont navigué d'Alexandrie à Rhodes avec des navires chargés de céréales, de sorte qu’à Rhodes leur prix allait bientôt baisser. Question : doit-il informer ses clients de l'arrivée des navires ou se taire et vendre ses marchandises au prix fort ? « Selon Antipater, tout doit être dit, l'acheteur ne doit pas ignorer ce que le vendeur sait ; selon Diogène, cependant, le vendeur est obligé de faire connaître les défauts de ses marchandises, mais tout le reste, il peut le faire sans problème. » Diogène répond à Antipater : « Dissimuler est une chose, se taire en est une autre : je ne suis pas obligé de te dire tout tout ce qui pourrait t’être utile ». Cicéron conclut ainsi : « C'est la controverse qui surgit souvent à propos de l'honnêteté et de l'utilité. Mon opinion est donc que le marchand de blé ne doit rien cacher à Rhodes. » Et le commerçant qui dissimule des informations « est rusé, louche, malicieux, espiègle, trompeur, fraudeur. » (III, 49-57). Ainsi, pour Cicéron, tirer profit d'informations cachées n'est pas permis. Comme les commerçants réalisent des profits en jouant précisément sur l'information, leur activité est malhonnête.
Ces thèses de Cicéron (et de Sénèque) contre le commerce ont eu un poids considérable tout au long du Moyen-âge, grâce aussi à Ambroise et à de nombreux Pères occidentaux qui les ont reprises : « Qui que tu sois, tu ne pourras, en tant qu'homme, que détester le caractère du commerçant. » (Grégoire de Nysse, Contra usurarios, IVe siècle). Ils ont d'ailleurs renforcé l'idée classique selon laquelle le travail honnête est celui de l’agriculteur, alors que celui du commerçant, et même de l’artisan (en tant que vendeur, car la vente est toujours moralement suspecte) est malhonnête.
De plus, ils ont déplacé les qualités des marchands de la terre vers le Royaume des Cieux, et appliqué métaphoriquement toutes les vertus du commerce à la vie spirituelle et religieuse, créant une sorte de conflit entre le bon usage de la logique commerciale, tourné vers les réalités célestes et son mauvais usage, orienté vers les affaires du monde. Le véritable commerce est de nature divine, c’est celui du Christ, qui par son sang nous a valu le salut. Ainsi, tout au long du premier millénaire, la vision négative du commerce et du marché s'est développée et s'est radicalisée.
Il est important de mentionner un commentaire (partiel) de l'Évangile de Matthieu, attribué à tort à Jean Chrysostome : l’Opus imperfectum in Mattheum (Ve siècle), qui a eu une grande influence tout au long du Moyen-âge. Dans le commentaire de l'épisode des " vendeurs chassés du temple", on peut lire : « Aucun chrétien ne doit être marchand, ou s'il le veut, qu'il soit expulsé de l'Église... Celui qui achète et qui vend ne peut le faire sans être un parjure. » Et il ajoute : « Ceux qui achètent donc un bien pour le revendre intact et inchangé dans un but lucratif, sont comme ces vendeurs chassés du temple. » Enfin, il reprend l'opposition ville/campagne : « " Et ils allèrent, l'un dans son champ, l'autre dans sa boutique", toute l'activité humaine est comprise dans ces deux mots : l'agriculture, qui est une activité honnête, et le commerce qui, aux yeux de Dieu, est au contraire une profession malhonnête. »
« On peut se demander comment il se fait que l'activité commerciale se poursuive au Moyen Âge. Peut-être parce que la vie est plus grande que les livres des théologiens, et parce que les gens normaux savent que sans le commerce, le monde serait plus pauvre, plus triste et plus laid. Mais aussi à cause d’un autre phénomène qui a débuté aux XIIe et XIIIe siècles.
Ce phénomène s'appelle François. Parmi les théologiens franciscains, le Français Pietro di Giovanni Olivi (1248-1298) a joué un rôle décisif. Olivi est un auteur important également en raison de la tension qui traverse sa biographie. Il appartenait à la branche la plus radicale du franciscanisme, grand défenseur de la doctrine de la plus haute pauvreté. Certaines de ses thèses furent condamnées, à sa mort ses livres furent brûlés, et en 1318 le Pape ordonna la destruction de sa tombe. Mais, en même temps, Olivi a joué un rôle décisif pour un changement éthique dans l'activité commerçante. En n'utilisant pas la richesse pour lui-même, il s'est trouvé à une distance éthique suffisante pour la comprendre.
Dans son Traité sur l'achat et la vente (fin du XIIIe siècle, édition italienne de A. Spicciani et al.), on peut lire dans la première questio (question) : « Les choses peuvent-elles être vendues légalement et sans péché à un prix supérieur à leur valeur ou achetées à un prix inférieur ? » Pour Olivi, la "réponse semble affirmative", car « sinon, presque toute la catégorie des vendeurs et des acheteurs pécherait contre la justice, étant donné que presque tout le monde veut vendre cher et acheter moins cher. » Une réponse d'une simplicité désarmante, mais qui remet en cause la thèse séculaire sur laquelle était fondée la condamnation du commerce.
Dans la questio 4, il aborde directement la question de l'information : « Le vendeur est-il obligé de dire ou de montrer à l'acheteur tous les défauts de la chose vendue ? » Il dit immédiatement que « la réponse semble affirmative », en accord avec la doctrine classique. Mais ensuite, dans le développement de son raisonnement, il en vient à admettre des exceptions, dont l'une est très importante : « Tromper en fait est quelque chose de plus que dissimuler. Par conséquent, celui qui se tait sur une vérité ne trompe pas toujours. » Cicéron est réfuté, et avec lui son hostilité au commerce des marchands.
Dans la questio 6, il demande : « Quiconque achète quelque chose pour le revendre à un prix plus élevé sans l'avoir transformé ou amélioré comme le font habituellement les marchands, pèche-t-il mortellement ou du moins véniellement... » Et sa réponse : « Il n'est pas nécessaire de penser que le péché est inclus dans le commerce, bien que cela soit très rare et difficile dans la pratique. » Et de conclure: « Dans les affaires, diverses occasions se présentent pour vendre et acheter des biens avantageusement ; et cela résulte aussi de l'ordre de la Providence de Dieu, comme d'autres biens humains. Donc, si l'on gagne, cela procède d'un don de Dieu plutôt que du Mauvais. » Les échanges commerciaux et les gains sont considérés comme un signe de la présence de la Providence dans le monde : c’est seulement en mesurant les choses à l’aune de la plus grande pauvreté que l’on peut concevoir cette économie.
Son raisonnement se termine par la remise en cause de l'autorité du commentaire de Matthieu sur Chrysostome (quel courage !): « Il ne faut pas lui faire confiance dans cette affirmation. » Et il termine ainsi : « On ne peut certainement pas tirer un argument de ce genre du passage de l'Évangile cité : le Christ s'en prend généreusement à tous ceux qui vendent et achètent dans le temple ; il n'est pas nécessaire, cependant, de penser que tous étaient des marchands. »
Nous avons grand besoin aujourd'hui de théologiens et d'intellectuels ayant cette liberté d'esprit ! Il faudrait surtout poser les questions opposées à celles d'Olivi : dans quelle mesure est-il licite de spéculer sur des informations cachées ? Jusqu'à quel point les commerçants ont-ils le droit de nous appâter avec leurs publicités ? Savons-nous distinguer la fiction de la réalité sur notre marché mondial ? Et si, à force d'anticiper l'avenir dans notre présent, nous étions en train de l'épuiser, privant ainsi nos petits-enfants de leur présent ?
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Par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 27/12/2020
Aux XIVe et XVe siècles, on est rapidement passé du Bien Commun au bien de la Commune : l'Église justifiait l'action des nouveaux protagonistes du marché si elle était bénéfique pour la ville.
Tout au long de l'histoire, les pactes entre la richesse et la religion ont toujours été des affaires compliquées, dont les résultats différaient généralement beaucoup des intentions de leurs protagonistes. Aux XIVe et XVe siècles Florence a été le théâtre d'une de ces mutations et a joué un rôle décisif au regard de l'éthique économique moderne. Ses protagonistes étaient les Médicis, Saint Antonino Pierozzi (1389-1459), la notion de Bien commun, et les Rois Mages. Commençons par le Bien commun. Cette catégorie théologique fondamentale a connu un tournant sémantique et pratique entre les XIVe et XVe siècles. L’émergence du Bien commun l'a emporté sur les raisons théologiques de la condamnation du profit. Une théologie nouvelle, celle du Bien commun, s’impose progressivement avec l’émergence de nouveaux centres urbains. Un Bien commun qui devient de plus en plus concret, profondément lié à une autre grande entité : la communauté ; à tel point que le passage du Bien Commun au bien de la Communauté fut très rapide. Les action économiques conduites par les nouveaux protagonistes du marché finissaient presque toutes par être justifiées par l'Église si elles contribuaient au Bien commun de la ville. Et puisqu’au cours de ces siècles, le Bien commun et celui de la collectivité étaient, en fait, ceux des grands marchands-banquiers, le Bien commun a fini par coïncider avec celui des sociétés marchandes.
[fulltext] =>Saint Antonin, dominicain, évêque, théologien et "économiste", était conscient, en tant que pasteur et expert dans l'accompagnement des laïcs, que ces questions économiques et financières étaient d'une grande complexité. Aussi, parlant de ventes "à terme", il conclut : « Cependant, c'est une question fort compliquée et pas très claire, c'est pourquoi il ne faut pas s'y attarder » ("Summa theologica"). Il ne faut pas s'y attarder : c'est précisément cette "complication" qui met en évidence quelque chose qui a désormais changé à Florence et dans les nouvelles villes commerçantes. La naissance de communes affranchies, l'apparition d’une classe de commerçants , avec leurs lois et leurs propres tribunaux, étaient en train de modifier en profondeur la relation entre les principes théologiques et la pratique économique. Les Écritures et leurs condamnations de l'usure étaient toujours les mêmes, et la méfiance des Pères de l'Église envers les commerçants et les marchands restait un enseignement essentiel et inchangé. Mais en présence de l'émergence d'une nouvelle réalité économique, toujours plus complexe, l’ Écriture et la théologie ne pouvaient plus contenir ni répondre aux problématiques concrètes des entreprises qui - et c'est là le problème - faisaient tant de bien à la ville et à l'Église. La réalité l’emporte sur l'idée. Le "commerçant bienfaiteur" incarne le négoce qui évince l'otium et le nie (nec-otium).
Nous sommes ici confrontés à une authentique révolution éthique, théologique, sociale et économique. La théologie des hommes d’Église s'est donc progressivement éloignée du monde économique, devenu trop complexe, et s'est de plus en plus spécialisée dans la sphère personnelle et familiale ainsi que dans la vie des institutions religieuses. Le marchand était traité comme un individu qui, au confessionnal, énumérait ses fautes et obtenait ses pénitences, de plus en plus facilement converties en argent avec l’apparition des indulgences; mais la vision éthique de la vie publique, qui avait caractérisé les deux ou trois premiers siècles du deuxième millénaire, s’est estompée et s’est réduite à des recommandations générales lors des sermons de carême. En matière d'usure, par exemple, les exceptions légales étaient si vagues qu'elles ne permettaient pas de jugements concrets et efficaces. Presque tous les taux d'intérêt devenaient potentiellement licites (en raison du manque à gagner global ou des risques émergents), surtout si l'intérêt contribuait au profit du Bien commun et du bien de la Commune (c'est-à-dire de la ville). Ainsi, pour la dette publique florentine, il arrivait que si la municipalité émettait le crédit, le taux légal de 5% annuel se transforme en taux usuraire de 10 à 15%. Comment ? La municipalité, « pour ne pas encourir la censure de l'Église, a eu recours à l'ingénieux système: celui qui apportait 100 lires au Mont-de-piété en faisait inscrire 200 ou 300 dans les registres » (Armando Sapori, Maisons et boutiques Florentines au XIVème siècle, 1939). La raison de tout cela n'était certainement pas le bien commun, mais « l'avidité d'un grand profit, que beaucoup tiraient de l'usure » (Giovanni et Matteo Villani, "Chronique" VIII).
Le Bien commun et le bien de la Commune sont devenus tellement imbriqués et essentiels qu'ils ont justifié des pratiques commerciales que nous ne pouvons même pas comprendre aujourd'hui. Parmi celles-ci, il y avait les représailles commerciales. Lorsque les commerçants d'une ville avaient subi des actes de violence et des dommages en territoire étranger, le droit coutumier autorisait des représailles, c'est-à-dire des actes de réparation des parties lésées contre tout commerçant de la ville où le dommage s'était produit, indépendamment de toute implication directe des parties concernées par l'épisode en question. Le bien commun de la corporation marchande l’emportait sur celui de ses individus. En outre, pour que les étrangers puissent acquérir le titre de la dette publique de Florence, il était nécessaire de leur accorder la citoyenneté, et dans les actes accordant cette citoyenneté ex-privilège, la rhétorique la plus fréquemment utilisée était celle de l'amitié et du bien commun : « Avec l'ami fidèle, aucun marché ne peut dépasser la valeur de l'amitié, qui vaut plus que l'or et l'argent » (Lorenzo Tanzini, " Les étrangers et la dette publique" I forestieri e il debito pubblico.)
Cette alliance entre l'Église et le commerce au nom du bien commun a produit une explosion de magnificence. Le dispositif de valorisation des richesses est passé de la production à la consommation : ce qui compte vraiment n'est pas, comme par le passé, la manière dont la richesse est produite, mais la manière dont elle est utilisée. Le riche commerçant est béni s'il consacre une bonne partie de sa fortune à aider les pauvres, mais plus encore à rendre la ville, ses palais et ses églises magnifiques. Florence symbolise tout cela, grâce aussi à l'amitié sincère qui s'est instaurée entre saint Antonin et la famille des Médicis : « Deux sont les vertus de l'argent et de son utilisation : la libéralité et la magnificence. » (Antoninus, "Summa"). La relation entre l'Église florentine et les grands commerçants était parfaitement avantageuse pour les deux parties : les marchands étaient affranchis des mille contraintes théologiques concernant l'usure et le profit, et les églises étaient embellies de somptueuses richesses résultant également de la libération des contraintes religieuses. Mais dans cette phase où apparaît une nouvelle éthique économique, l'élément religieux demeure toujours central. En fait, plus que de laïcité, il faut parler d'une nouvelle religiosité. En effet, les laïcs et les commerçants se sont approprié certaines images et codes religieux. Il ne leur suffisait pas d’être autonomes par rapport à la religion, ils la voulaient de leur côté. Il ne leur suffisait pas d'être riches et bons : ils voulaient aussi être des saints.
Nous avons déjà parlé du rayonnement de Marie-Madeleine, comprise comme une icône de la bonne utilisation publique de l'argent par les riches. Un autre paradigme religieux et commercial apparaît entre le Moyen-âge et la Modernité : celui des Rois mages. L'ordre dominicain a largement contribué à la diffusion de leur culte en Europe. Déjà à la fin du XIVe siècle, la prestigieuse "Compagnie des Mages" (ou "de l'Étoile") était active à Florence, une association de marchands, dont les membres comprenaient de nombreux philosophes, humanistes, hommes de lettres, artistes et divers autres représentants du monde culturel florentin, peut-être la plus importante congrégation laïque de Florence au XVe siècle, qui a connu son âge d'or avec saint Antonin et les Médicis (Monika Poettinger, "Marchands et Mages"). Ces riches marchands qui, sans devenir pauvres, adoraient le Christ avec de l'or et des dons se prêtaient parfaitement à la nouvelle éthique économique des riches de la ville. De nombreuses églises dominicaines de ces siècles possèdent des fresques représentant les Rois Mages, notamment le couvent dominicain de Saint-Marc à Florence, siège de la Compagnie des Mages, où s'achevait la somptueuse procession des Rois Mages le jour de l'Épiphanie. Mais la "fuite des Rois Mages" était aussi un élément essentiel d'autres processions importantes de la ville, comme celle de la Saint-Jean, présidée par Saint Antonin : « Trois Rois Mages escortés de plus de 200 chevaux ornés de nombreuses magnificences » (Matteo Palmieri, "La procession de 1454"). Splendide!
En 1420, Palla di Noferi Strozzi, le plus riche banquier et marchand de Florence, commanda à Gentile di Fabriano un tableau des Rois Mages, o Palla lui-même et sa famille figuraient au premier rang du cortège. Les Médicis ont beaucoup fait pour les Dominicains de Florence, notamment la rénovation très coûteuse de la Badia Fiesolana et du couvent de Saint-Marc, où Beato Angelico a peint une Adoration des Mages dans la cellule dédiée à Cosimo. Des chapelles bâties elles aussi en l’honneur des rois mages par des marchands se trouvent également dans d'autres villes de la Renaissance (à Turin, par exemple). Le rôle de la Compagnie de l’Étoile devint si important que, malgré la bénédiction de Saint Antonin, elle devint une sorte de nouvelle religion. Gentile de Becchi, écrivant de Rome à Laurent le Magnifique en 1467, lui assure que les cardinaux du Collège Pontifical accorderont "par votre intercession cent indulgences" à toute personne qui assistera aux réunions de la Compagnie des Rois Mages, au cours desquelles on pourra également recevoir l'Eucharistie par dispense papale (Rab Hatfield, "La Compagnie des Mages"). Marsilio Ficino ("De stella Magorum", 1482), Pic de la Mirandole et les néo-platoniciens de Florence firent le reste en transformant les Mages en l'icône d'une religiosité païenne, pré-chrétienne et ésotérique, sur laquelle fonder la Renaissance de l'Europe. C'est la fin de l'Humanisme civil, le début de la décadence de Florence et des villes italiennes.
Ce pacte entre l'Église et les marchands était le fruit abouti d'une grande séduction de la magnificence que ce premier "capitalisme" exerçait sur l'Église (saint Antonin est l'un des premiers théoriciens du "capital"). Dans sa Réforme, Luther a été frappé précisément par cette alliance entre l'Église et les marchands, qu'il considérait comme une déviance de la logique évangélique. Mais c'est précisément le monde né de la Réforme qui a donné vie, des siècles plus tard, à un nouveau capitalisme de la richesse qui, une fois de plus, utilise les symboles et le langage de la religion chrétienne. Mais comment les "marchands" de Florence ont-ils réussi à occuper le "temple" ? Nous n'avons plus les clés pour comprendre quel fut l'impact de la richesse et du luxe exorbitant des nouveaux commerçants sur les citoyens de Florence. Leurs vêtements somptueux, de nouvelles couleurs chatoyantes, de magnifiques processions, des palais et des églises encore jamais vus : c'était quelque chose de fantastique, de nouveaux contes des "Mille et une nuits", qui séduisaient et "convertissaient". C étaient les nouveaux héros, les héritiers, encore plus beaux, des chevaliers du Moyen-âge : ils ont enchanté le monde entier, Florence était la nouvelle Terre promise, où coulaient le lait et le miel. Les marchands ont conquis le monde, ils ont changé la morale antique, surtout grâce à la beauté et à l’éblouissement. Ils ne se sont pas imposés avec des florins, mais avec leur magnificence. Serait-ce donc une nouvelle beauté qui nous sauverait de ce capitalisme où trop de Mages se sont alliés au roi Hérode, lui ont dit où se trouve l'Enfant et sont devenus complices des nombreux massacres d'innocents ? Ce sera peut-être une nouvelle beauté, certes très différente, mais encore et toujours aussi étonnante.
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Par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 27/12/2020
Aux XIVe et XVe siècles, on est rapidement passé du Bien Commun au bien de la Commune : l'Église justifiait l'action des nouveaux protagonistes du marché si elle était bénéfique pour la ville.
Tout au long de l'histoire, les pactes entre la richesse et la religion ont toujours été des affaires compliquées, dont les résultats différaient généralement beaucoup des intentions de leurs protagonistes. Aux XIVe et XVe siècles Florence a été le théâtre d'une de ces mutations et a joué un rôle décisif au regard de l'éthique économique moderne. Ses protagonistes étaient les Médicis, Saint Antonino Pierozzi (1389-1459), la notion de Bien commun, et les Rois Mages. Commençons par le Bien commun. Cette catégorie théologique fondamentale a connu un tournant sémantique et pratique entre les XIVe et XVe siècles. L’émergence du Bien commun l'a emporté sur les raisons théologiques de la condamnation du profit. Une théologie nouvelle, celle du Bien commun, s’impose progressivement avec l’émergence de nouveaux centres urbains. Un Bien commun qui devient de plus en plus concret, profondément lié à une autre grande entité : la communauté ; à tel point que le passage du Bien Commun au bien de la Communauté fut très rapide. Les action économiques conduites par les nouveaux protagonistes du marché finissaient presque toutes par être justifiées par l'Église si elles contribuaient au Bien commun de la ville. Et puisqu’au cours de ces siècles, le Bien commun et celui de la collectivité étaient, en fait, ceux des grands marchands-banquiers, le Bien commun a fini par coïncider avec celui des sociétés marchandes.
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Par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 20/12/20
Si nous voulons comprendre comment l'éthique économique s'est développée dans le christianisme médiéval puis dans le capitalisme, nous devons essayer de comprendre son ambivalence radicale, à partir des débuts de la théologie chrétienne.
Si nous voulons comprendre comment l'éthique économique s'est développée dans le christianisme médiéval puis dans le capitalisme, nous devons essayer de saisir son ambivalence radicale. La première théologie chrétienne a largement utilisé le lexique et les métaphores économico-commerciales pour tenter d'expliquer l'événement chrétien, l'incarnation et le salut. A partir du mot oikonomia lui-même, qui est devenu fondamental dans la première médiation théologico-philosophique du christianisme : l'économie du salut, de la la Trinité. Jésus définit l'argent (mammon) comme son dieu rival, mais son parcours s’inscrit dans un "commerce divin" : son sang avait été le "prix" du salut, une rédemption "payée" par le sacrifice de la croix. Tout au long du Moyen-Âge on assiste donc à un foisonnement de termes économico-théologiques : des âmes "rachetées" en vue de gagner le ciel ou le purgatoire ; jusqu'à la tradition, très chère à Saint Augustin (Sermon 9), qui considère l'homme comme "la monnaie de Dieu", parce qu'il est à son effigie/image. Une des phrases (les agrapha de Jésus) rapportées par la tradition, mais non par les Évangiles canoniques ni apocryphes, citée par Clément d'Alexandrie, contient un concept important : « L'Écriture nous exhorte à juste titre à être un agent de change compétent, désapprouvant certaines pratiques, mais s'accrochant aux bonnes » (Stromateis 1, 28.177, fin du 2ème siècle). D'où la tradition du Christus monetarius, du "bon changeur", car il est capable de distinguer les bonnes des fausses "monnaies".
[fulltext] =>Avec toute cette riche complexité au sujet des monnaies et de l'économie, nous ne sommes pas surpris de trouver au Moyen-Âge une ambivalence et une incertitude morale sur le bon usage des monnaies et de l'économie. Une prémisse. Pour comprendre la naissance de l'éthique économique européenne, il ne faut jamais oublier que pendant que les théologiens se disputaient à propos des monnaies et des prêts, les marchands existaient et devaient travailler. Les commerçants étaient et sont encore des hommes pragmatiques, au point de frôler le cynisme : la monnaie est nécessaire, ainsi que les changeurs (il y avait beaucoup de monnaies en circulation) et les banquiers. Tout le monde savait que ces opérateurs ne travaillaient pas gratuitement, que l'utilisation de leurs services coûtait de l'argent et que le prix à payer était appelé "intérêt", qui était accepté s'il n'était pas excessif. Les vrais commerçants n'auraient jamais considéré comme "abusif" un prêt (ou une lettre de change, ou un contrat de recommandation) au taux annuel de 5%, voire même de 10%. Ils étaient bien conscients qu'il y avait de bons et de mauvais banquiers, tout comme il y avait de bonnes et de mauvaises monnaies, et que les mauvaises monnaies et les mauvais banquiers chassaient les bons. Ils ont opéré et vécu parmi ces réalités positives et négatives, expérimentant l'ambivalence de la vie dans l'économie.
À cette époque, la présence d'experts professionnels en matière de monnaie était très importante pour la stabilité du commerce et donc pour le bien commun. Tout le monde et chacun savait que lorsqu’ une ville manquait de changeurs et banquiers officiels , dont les poids, les balances, les livres et mesures étaient contrôlés périodiquement par la municipalité, la ville était remplie de banques clandestines de mauvais prêteurs et de revendeurs, qui finissaient souvent par faire faillite ; l'expression dérive du banc sur lequel le changeur étalait ses monnaies, la mensa argentaria : lorsqu'il ne pouvait plus payer ses dettes, ses créanciers faisaient sauter sa banque. Entre le XIVe et le XVe siècle, Venise comptait plus de cent banques, chrétiennes et juives, Florence soixante-dix, Naples quarante, Palerme quatorze (Vito Cusumano, « Histoire des banques de la Sicile » Storia dei banchi della Sicilia). Le banquier changeait également la monnaie, et il n'était pas rare que son bureau fût le même que celui du notaire. Les banquiers étaient à bien des égards assimilés aux fonctionnaires, dont ils partageaient certains privilèges et charges. Il ne venait à l'idée d’aucune personne honnête de considérer ces banquiers publics comme des "usuriers", même s'ils prêtaient avec intérêts. Tout le monde savait que les banquiers tiraient profit de cet argent, à commencer par les évêques et les papes, qui d'une part étaient leurs premiers clients et d'autre part prononçaient des homélies et écrivaient des textes condamnant les prêts à intérêt en féférence à la Bible et aux Évangiles.
L'Église savait très bien tout cela, elle était experte en matière d'ambivalence, y compris économique. Elle connaissait bien les grands banquiers, car ils étaient presque toujours liés aux grandes familles bourgeoises et aristocratiques et ils siégeaient aux conseils d’administration des villes. Mais il ne faut pas penser que l'Église, dans ses différentes composantes, était unanime en matière d'argent, de commerce, d'intérêts et d'usure. L'Église, plus qu' à l'époque moderne, était une réalité plurielle et contrastée, en théologie tout comme dans les affaires. Il ne faut donc pas s'étonner du grand nombre de livres et d'homélies consacrés, surtout entre le XIIe et le XVIIe siècle, aux questions financières et commerciales. Du Moyen-Âge jusqu’à la modernité, l'économie suit de près la théologie dans les questions traitées par les théologiens. Dans ces débats, le monde monastique expérimenté, riche et puissant avait encore un grand poids. L'ora et labora des monastères et des abbayes avait créé une éthique économique particulière, très attentive aux valeurs du travail et des réalités terrestres. Les moines étaient les ennemis jurés d’un vice capital : l'acédie, c'est-à-dire de l'inactivité et de la paresse ; par conséquent, le premier éloge de l’exemple du négociant, aux antipodes de l’oisiveté, est né dans les monastères, où s'est également développée l'exégèse de la "parabole des talents", qui vante l'entreprise des deux premiers serviteurs et condamne la paresse du troisième. Le commerçant est apprécié parce qu'il fait circuler la richesse , tandis que l'avare l'enferme dans ses coffres.
Mais la réflexion spécifique sur la monnaie s'est surtout développée dans les nouveaux ordres mendiants, observateurs attentifs, de par leurs charismes, de la civilisation urbaine. Dans ce contexte, la création de dettes publiques dans les villes commerçantes, en particulier à Venise et Florence, a joué un rôle important dans la réflexion théologique sur les prêts à intérêt. Il est intéressant de noter à cet égard un débat auquel ont participé de grands théologiens à Venise au milieu du XIVe siècle, qui portait sur le caractère légal du paiement des intérêts sur la dette publique et de la vente de ces obligations (au prix d'environ 60-70% de leur valeur nominale). À partir de la fin du XIIe siècle, les villes commerçantes italiennes ont été confrontées à une forte augmentation des dépenses publiques, en partie due aux dépenses militaires. Ces villes étaient en fait des consortiums de familles, une sorte de société coopérative, où les citoyens étaient tout à la fois partenaires et propriétaires d'un bien commun : la ville. Au début, les dépenses publiques étaient couvertes par les diverses formes de taxes et d'impôts payés par les citoyens. Cependant, face à l'explosion des dépenses publiques, les citoyens ont pensé qu'au lieu d’ augmenter sans cesse les impôts, il pourrait être plus pratique d'émettre des titres de la dette publique. Ces obligations devaient payer aux créanciers des intérêts périodiques (le paiement des intérêts était appelé "paie"), à raison de 5% par an ( pourcentage pratiqué à l’époque par le Mont-de-piété de Florence). Cette dette publique était considérée par les citoyens comme un avantage mutuel par rapport aux impôts : contrairement aux impôts, la dette publique payait des intérêts périodiques et la ville couvrait ses dépenses publiques.
Il est intéressant de noter que si les théologiens ont débattu et généralement condamné les intérêts des prêts privés, au point qu'il a fallu une bulle pontificale (en 1515) pour rendre légal l'intérêt de 5% exigé par les Monts-de-Piété franciscains, tout le monde était au contraire très serein au sujet du paiement des intérêts de la dette publique. Le débat théologique à Venise, en fait, ne portait pas sur la légalité de l'intérêt ,accepté comme une réalité de fait, mais sur la raison qui avait conduit à considérer cet intérêt comme légitime. Les protagonistes de la dispute étaient le franciscain Francesco da Empoli, les dominicains Pietro Strozzi et Domenico Pantaleoni, et l'augustinien Grégoire de Rimini. Le franciscain a accepté les intérêts sur la base de la théorie franciscaine des "dommages émergents" et du "manque à gagner" : si un citoyen devait prêter de l'argent à la ville (parfois les prêts étaient forcés), la ville devait compenser ce dommage par le paiement d'intérêts (terme utilisé par François). Il n'y avait pas besoin d'autre chose, l'intérêt était un prix. Le franciscain ne remet donc jamais en question la légalité de la vente des obligations de la dette.
Le discours des théologiens dominicains, qui étaient généralement plus critiques que les Franciscains, était cependant plus articulé. À la suite de Thomas d'Aquin, les deux théologiens dominicains ont radicalement changé leur argumentation et ont construit leur thèse sur la légalité de l'intérêt sur une base totalement différente : cet intérêt ne doit pas être compris comme le prix de l'argent prêté, mais comme un don pour ceux qui ont agi par amour civique : "Le dominicain ne conteste pas la légalité de l'attribution des 5% annuels aux créanciers du Mont-de-piété, mais propose de le considérer comme un don spontané, de la part de la communauté, qui manifeste ainsi sa gratitude au citoyen" (Roberto Lambertini, « Le débat médiéval sur la consolidation de la dette publique des communes » Il dibattito medievale sul consolidamento del debito pubblico dei Comuni, 2009). L'intérêt, conformément à son étymologie (inter-esse>), était compris comme lien dans une relation de réciprocité entre les dons. Mais si ces 5% sont un don, alors, contrairement à Francesco da Empoli, pour les Dominicains, le détenteur du titre ne peut pas le revendre, car les dons ne peuvent pas faire l’objet d’une vente.
Et c'est là qu'intervient un élément décisif, repris et renforcé par l'augustinien Grégoire de Rimini : la bonne intention. Ce qui rend ces 5 % légaux, c'est l'intention avec laquelle la ville les paie et le citoyen les reçoit. Si l'intention d'une ou des deux parties est le profit privé, cet intérêt est illicite ; s'il s'agit du bien commun, il est licite. D'où le caractère inadmissible du commerce des valeurs mobilières, précisément parce que chez ceux qui vendent et achètent, il n'y a plus à la base le bien commun, mais seulement un profit privé. Enfin, il est intéressant de noter l'explication donnée par Grégoire de Rimini pour affirmer que la ville de Venise n'était pas dans une bonne intention en émettant ces obligations. Pour le théologien augustinien, c'est le paiement du même pourcentage ( 5%) à tous, sans tenir compte par conséquent des différentes conditions subjectives des prêteurs, de leur richesse et de leurs besoins, qui rend cette dette publique illicite ; une autre façon de dire que cette absence de différenciation met en évidence l'intention de profit et non de bien commun. C'est la vieille idée que l'égalité substantielle, donc la justice, ne coïncide pas avec l'égalité formelle.
Aujourd'hui, nous sommes à nouveau, au niveau européen, dans une phase fondatrice au sujet de la signification des dettes, des prêts, des impôts, des intérêts. Ces premiers débats éthiques ont beaucoup à nous dire. Ils nous rappellent que les intentions comptent, qu’elles comptent encore en économie. Les pays européens ont accepté l'émission d'une grande quantité de dettes publiques en cette période de pandémie parce qu'ils ont interprété les intentions des emprunteurs et des prêteurs. Un mal commun - la pandémie Covidc-19 - leur a fait redécouvrir le bien commun, et donc un autre intérêt, le lien nécessaire entre la dette et le bien commun. En cette terrible année 2020, nous avons également redécouvert le don, les dons offerts et reçus, le don de la vie des médecins et des infirmières et également celui du vaccin gratuit et universel. Et si c'était aussi le début d'une économie nouvelle ?
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Analyse. Les différentes conceptions médiévales, le débat qui s'en est suivi et la question qui se pose aujourd'hui en Europe, mais pas seulement.
Par Luigino Bruni
Publié dans Avvenire le 20/12/20
Si nous voulons comprendre comment l'éthique économique s'est développée dans le christianisme médiéval puis dans le capitalisme, nous devons essayer de comprendre son ambivalence radicale, à partir des débuts de la théologie chrétienne.
Si nous voulons comprendre comment l'éthique économique s'est développée dans le christianisme médiéval puis dans le capitalisme, nous devons essayer de saisir son ambivalence radicale. La première théologie chrétienne a largement utilisé le lexique et les métaphores économico-commerciales pour tenter d'expliquer l'événement chrétien, l'incarnation et le salut. A partir du mot oikonomia lui-même, qui est devenu fondamental dans la première médiation théologico-philosophique du christianisme : l'économie du salut, de la la Trinité. Jésus définit l'argent (mammon) comme son dieu rival, mais son parcours s’inscrit dans un "commerce divin" : son sang avait été le "prix" du salut, une rédemption "payée" par le sacrifice de la croix. Tout au long du Moyen-Âge on assiste donc à un foisonnement de termes économico-théologiques : des âmes "rachetées" en vue de gagner le ciel ou le purgatoire ; jusqu'à la tradition, très chère à Saint Augustin (Sermon 9), qui considère l'homme comme "la monnaie de Dieu", parce qu'il est à son effigie/image. Une des phrases (les agrapha de Jésus) rapportées par la tradition, mais non par les Évangiles canoniques ni apocryphes, citée par Clément d'Alexandrie, contient un concept important : « L'Écriture nous exhorte à juste titre à être un agent de change compétent, désapprouvant certaines pratiques, mais s'accrochant aux bonnes » (Stromateis 1, 28.177, fin du 2ème siècle). D'où la tradition du Christus monetarius, du "bon changeur", car il est capable de distinguer les bonnes des fausses "monnaies".
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