Un homme nommé Job

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Un homme du nom de Job/17 – Dans le poème de la vie, la première et la dernière heure sont toujours un don

Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 05/07/2015

logo GiobbeC’est moi, dans le livre de Job, qui chante, qui existe ; je suis, si l’on veut, l’homme même, qui peut regarder à travers ce livre – celui qui lui appartient le plus – pour trouver la lumière qu’il cherche. Car, après Job, sur le problème de notre vie, plus rien de nouveau n’a été dit. .

David Maria Turoldo, Da una casa di fango – Job

Il était une fois un homme juste du nom de Job, possédant de grands biens, des fils et des filles, et béni de Dieu et des hommes. Un jour, un terrible malheur s’abattit sur lui et sur sa famille, et cet homme accepta avec patience son destin malheureux. “Nu, je suis venu au monde, et nu, je le quitterai”. Amis et parents, ayant appris son malheur et connaissant sa justice, vinrent chez lui pour célébrer le deuil, le consoler et l’aider. À la fin, Dieu lui-même intervint en sa faveur, en lui redonnant le double de ce qu’il avait perdu, car Job s’était montré fidèle et droit durant cette épreuve. [fulltext] =>

Telle était, à peu de chose près, la légende primitive de Job, connue au Proche-Orient et en terre d’Israël. L’auteur du Livre de Job est parti de cette histoire. Il en a conservé le matériau et s’en est servi pour écrire le prologue (chap. 1-2) et l’épilogue : « Le Seigneur rétablit les affaires de Job... Et même, le Seigneur porta au double tous les biens de Job. (…) Il eut quatorze mille moutons et cinq mille chameaux, mille paires de bœufs et mille ânesses. Il eut aussi sept fils et trois filles. La première, il la nomma Tourterelle, la deuxième eut nom Fleur-de-cannelle et la troisième Ombre-à-paupière. On ne trouvait pas dans tout le pays d’aussi belles femmes que les filles de Job » (42,10-15).

Mais quand l’auteur commence à composer son poème, cette ancienne légende est devenue quelque chose de fort différent. C’est ainsi que sont nés les merveilleux chants de Job, ses dialogues avec ses amis et, peut-être, les paroles d’Élihou et celles de Dieu. Et l’auteur s’est retrouvé avec une œuvre qui gardait bien peu de la légende originelle, fascinante. Job ne se montre pas du tout patient ; il avait protesté et crié contre Dieu et contre la vie. Ses amis, de consolateurs qu’ils étaient, étaient devenus bourreaux et avocats d’un Dieu banal. Et Dieu lui-même, lorsqu’il entre enfin en scène, déçoit et ne parvient pas à consoler Job ni à répondre à ses questions. Cette ancienne légende devient alors porteuse d’une révolution théologique et anthropologique et d’un véritable chef-d’œuvre littéraire.

Aussi sommes-nous surpris, en arrivant à la fin du livre, à l’épilogue, lorsque nous lisons : « Or, après qu’il eut adressé ces paroles à Job, le Seigneur dit à Élifas de Témân : “Ma colère flambe contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job” » (42,7-8). Ici, Dieu se fait juge entre Job et ses “amis”, dans un procès que Job gagne mais qu’il n’avait jamais demandé ni souhaité (il avait convoqué en procès Élohim, et non ses amis). C’est ainsi que Job, d’abord réprimandé et condamné au silence par le Dieu tout-puissant, devient tout à coup “son serviteur”, le seul qui ait parlé “avec droiture”. Aucune allusion à la maladie de Job, à sa rébellion, à son pari avec Satan.

Il est évident que nous nous trouvons face à un matériau provenant de traditions différentes, et cependant nous devons, une dernière fois, tenter une interprétation. Certes, là encore nous pourrions résoudre facilement le problème en disant que l’épilogue a été ajouté par un auteur tardif, peut-être le même qui a ajouté le prologue. Plusieurs exégètes proposent cette solution. Mais pas tous. Quelques-uns pensent, au contraire, que c’est l’auteur du grand poème de Job qui veut maintenir le matériau de l’ancienne légende, à l’instar des bâtisseurs des églises primitives qui ont utilisé les pierres et les colonnes, parfois même les fondations des temples romains et grecs. Ainsi l’auteur ancien nous a-t-il transmis, insérés dans sa cathédrale, de magnifiques colonnes et de splendides chapiteaux. Mais ces matériaux antiques nous ont laissé en héritage non seulement leur beauté, mais aussi un lien architectural et stylistique.

Quiconque écrit à partir d’histoires reçues en cadeau (et tout écrivain le fait, ne serait-ce qu’avec les récits et les poésies qui l’ont bercé, car toute parole écrite est d’abord une parole reçue), celui-là sait que, s’il veut que ce don fructifie, il doit le respecter. Il ne peut pas l’utiliser simplement pour sa propre construction, sans obéir à l’“esprit” que cette histoire lui a communiqué et qui est inscrit au cœur même du don. C’est là aussi que réside cet exercice, incessant et essentiel, de vérité et de gratuité auquel il est appelé, s’il ne recherche pas le profit et veut servir le “démon intérieur” qui l’habite et qui, à travers lui, habite la terre. Toutes les histoires, même les plus grandes, naissent sur des colonnes que d’autres ont érigées.

« Job vécut encore après cela cent quarante ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération. Puis Job mourut vieux et rassasié de jours » (42,16-17). C’est le dernier verset du livre de Job. Les histoires ont un besoin profond, quasi invincible, de dénouement heureux. La question de la justice, le désir de voir le bien triompher et les derniers devenir premiers, sont trop enracinés en nous et dans le monde pour que nous puissions nous contenter de drames et de récits qui se terminent sur les “pourquoi” de l’avant-dernier chapitre.

Cependant, nous savons que les Job de l’histoire ne meurent pas “vieux et rassasiés de jours”. Les Job vivants meurent tôt, et parfois ils n’atteignent même pas l’âge adulte ; leurs biens et leurs enfants ne leur sont pas restitués (entre autres, parce qu’aucun enfant ne peut être remplacé par un autre enfant qui leur est donné), leur santé est perdue à jamais, leurs blessures ne sont pas soignées, les puissants ont toujours raison, Dieu ne répond pas, leur mésaventure ne finit jamais, leur cri ne s’apaise pas. Cependant, de façon plus radicale, les biens et les enfants que la vie nous donne ne sont pas destinés à durer toujours, la bonne santé cesse tôt ou tard, et si nous avons la grâce de pouvoir regarder en face l’ange de la mort, nous expirons presque toujours avec un “pourquoi”, qui, s’il n’est pas prononcé en même temps qu’un “amen” et peut-être un “merci”, s’apaise mais ne disparaît pas.

Alors, tandis que nous lisons cet épilogue, qui nous est parvenu comme un don ancien d’une perle ancienne, nous ne devons pas oublier le chant de Job et, grâce à lui aussi, le chant-cri des nombreux Job qui ne connaissent pas ce dernier chapitre et ne pourraient pas être aidés par ce chapitre, qui nous ramène à la théologie de la récompense des “amis” de Job. Et, d’autre part, notre lecture du livre ne s’achève pas au chapitre 42. Revenons à la prière adressée à la terre («Terre, ne couvre pas mon sang, et que ma clameur ne trouve point de refuge. » 16,18), à la querelle de Job contre Dieu (« Dès maintenant, j’ai dans les cieux un témoin […] Lui, qu’il défende l’homme contre Dieu, comme un humain intervient pour un autre. » 16,19-21), à ses protestations désespérées (« Je hurle vers toi, et tu ne réponds pas, je me tiens devant toi, et ton regard me transperce » 30,20). Ces paroles sont celles avec lesquelles nous pouvons et nous devons prier, tous autant que nous sommes, même ceux qui prient uniquement pour que le ciel ne soit pas vide. Le Job ami des hommes, solidaire de toute créature et de toute victime, s’arrête juste avant l’épilogue. C’est là le chemin de toute solidarité humaine véritable, un chemin qui part du malheur, et qui se surprend, avec le malheureux, quand il parvient au paradis et s’il y parvient, sur terre ou au ciel. Le paradis est toujours le chapitre offert en cadeau, celui qu’aucun livre ne peut écrire à notre place, pas même les immenses livres de la Bible, parce que s’il était déjà écrit, nous ne serions pas encore sortis du livre pour entrer dans le mystère de notre propre vie, qui est la vie précisément parce que les derniers chapitres ne peuvent être que les avant-derniers.

Mais il se cache peut-être un autre message dans cet épilogue donné. Ce n’est pas nous qui écrivons notre chapitre final. Nous ne sommes pas les créateurs des plus belles aurores et des plus beaux couchants de notre vie car, s’ils étaient de notre création, ils ne nous surprendraient pas comme notre premier amour ou comme le dernier regard de notre épouse. Comme dans les plus beaux récits, où la vraie conclusion n’est pas celle qui est écrite et que chaque lecteur a le droit et le devoir d’écrire (les romans éternels sont ceux qui sont inachevés). Nous aussi, nous venons au monde au sein d’un horizon qui nous accueille et modèle le paysage que nous irons habiter. Nous écrivons le poème de notre vie, mais le prologue et l’épilogue nous sont donnés, et le chef-d’œuvre naît quand nous sommes capables d’inscrire notre chant à l’intérieur d’une symphonie plus ancienne et plus grande. Nous pouvons et nous devons écrire les nombreuses heures de notre vie, mais la première heure et la dernière sont un don, et sont, peut-être pour cette raison, les plus vraies.

Il a été difficile d’aborder Job, et peut-être est-il plus difficile, maintenant, de le quitter. On voudrait rester, tant est surprenant le paysage que l’on contemple depuis la cime où l’on se trouve, en se tenant main dans la main sur le chemin. Merci, ancien auteur anonyme. Merci pour tout ton livre. Mais, surtout, merci pour Job. Le commentaire de la Genèse a été une grande aventure du cœur et de l’esprit. L’exode a été la découverte de la voix de YHWH sur la terre et de celle des prophètes, qui ne sont pas de faux prophètes s’ils libèrent les esclaves et les pauvres. Mais Job a été la découverte la plus inattendue, le don le plus grand que j’aie reçu depuis que j’écris. Merci à celui qui a pris ma suite – pour tout le chemin ou pour une partie. Un grand nombre de commentaires, que j’ai reçus, sont entrés dans ma réflexion, beaucoup de paroles sont devenues mes paroles. Sur ces grands textes, on ne peut parler qu’ensemble, en les chantant en chœur.

Il était une fois un homme du nom de Job. Le Dieu que Job cherchait, aimait, mais qui n’est pas arrivé. Les innocents continuent de mourir, les enfants continuent à souffrir, la douleur des pauvres continue à être la douleur la plus grande que la terre connaisse. Job nous a appris que, s’il existe un Dieu de la vie, il doit être un Dieu du pas-encore. Et qui peut donc venir à tout moment, quand nous nous y attendons le moins, nous laissant le souffle coupé. Viens !
************

Après deux dimanches d’un repos nécessaire après la traversée du ‘continent Job’, le 26 juillet nous reprendrons nos dialogues, grâce au directeur Marco Tarquinio, qui continue de croire à cette insolite “page trois” du dimanche d’Avvenire. (Luigino Bruni)

Et merci à Luigino Bruni, économiste et écrivain, qui continue de croire, comme nous, que l’époque dure et magnifique qui est la nôtre peut être comprise, aimée et sauvée par une rencontre profonde de la Parole qui nous a prononcés, et qui continue à se dire et à nous dire, par amour. (Marco Tarquinio)

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Par Luigino Bruni

Publié dans Avvenire le 05/07/2015

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David Maria Turoldo, Da una casa di fango – Job

Il était une fois un homme juste du nom de Job, possédant de grands biens, des fils et des filles, et béni de Dieu et des hommes. Un jour, un terrible malheur s’abattit sur lui et sur sa famille, et cet homme accepta avec patience son destin malheureux. “Nu, je suis venu au monde, et nu, je le quitterai”. Amis et parents, ayant appris son malheur et connaissant sa justice, vinrent chez lui pour célébrer le deuil, le consoler et l’aider. À la fin, Dieu lui-même intervint en sa faveur, en lui redonnant le double de ce qu’il avait perdu, car Job s’était montré fidèle et droit durant cette épreuve. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-odd )

Le chant qui ne peut finir

Un homme du nom de Job/17 – Dans le poème de la vie, la première et la dernière heure sont toujours un don Par Luigino Bruni Publié dans Avvenire le 05/07/2015 C’est moi, dans le livre de Job, qui chante, qui existe ; je suis, si l’on veut, l’homme même, qui peut regarder à travers ce livre – celui ...
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Un homme nommé Job / 16 – Tant qu’il nous est possible de demander, nous sommes libres, même avec Dieu.

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 28/06/2015

logo GiobbeJe suis revenu à Job, parce que je ne peux pas vivre sans lui, parce que je sens que mon temps, comme tout temps, est celui de Job ; et que si on ne s’en rend pas compte, c’est seulement par inconscience ou illusion..

David Maria Turoldo, Une maison de terre – Job

Il n’est pas rare qu’on nie aux pauvres la dignité de nous interroger sur le pourquoi de leur pauvreté. Nous les convainquons que l’erreur n’est  pas dans notre manque de réponses, mais dans la fausseté, l’impertinence, la prétention et le vice de leur questionnement. L’idéologie de la classe dominante persuade les victimes qu’il est illicite, immoral, irréligieux même, de demander raison de leur misère et de la richesse des autres. [fulltext] =>

Quand les pauvres, ou qui parle pour eux, cessent de se poser à eux-mêmes, aux autres et à Dieu les questions les plus vraies et les plus radicales concernant leur condition objective et concrète, quand ils se taisent ou que leurs questions deviennent gentilles et innocentes, alors leur esclavage devient irréversible. Tant que l’on continue à se demander et à demander « pourquoi ? », on peut espérer se libérer ou libérer quelqu’un du piège de la pauvreté matérielle, morale, relationnelle, spirituelle.

Après qu’Elohim, du dedans de la tempête, ait magnifiquement décrit animaux et monstres marins, rendant Job muet au spectacle de son omniscience et sa toute-puissance, Job fit cette réponse à Yahvé : "Je sais que tu es tout-puissant : ce que tu conçois, tu peux le réaliser. Qui est celui-là qui voile tes plans par des propos dénués de sens ? Oui j’ai raconté des choses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j’ignore" (Job, 42, 1-4).

Comment interpréter ces paroles ? Dieu ne lui a rien dit sur le pourquoi de l’injuste souffrance des innocents et sur l’injuste bien-être des méchants, vraies demandes auxquelles Job attendait des réponses dans son incroyable procès à Dieu. Il cherchait une nouvelle justice, et Elohim lui a tenu en réponse un discours abstrait, trop semblable à celui de ses ‘amis’ qui l’avaient humilié et lui avaient fait mal dans toute la première partie de son livre. Comment se peut-il alors qu’au terme de son attente infinie, Job sente rassasiée sa faim et sa soif de justice malgré les non réponses d’Elohim, et admette même la fausseté de ses demandes : ("J’ai raconté des choses que je ne comprends pas") ? Non, ce Job ne peut pas être celui que nous avons connu dans sa querelle de lion contre Dieu, Alors, quelle cohérence pouvons-nous trouver entre le premier et le dernier Job ?

De temps en temps dans la vie des auteurs il arrive de façon sublime que le personnage du livre devienne plus grand que l’auteur qui lui donne vie : il lui échappe, se met à vivre sa propre vie, à dire des choses et découvrir des vérités impensables et inconnues à l’auteur lui-même. L’auteur devient élève de son personnage. Cette véritable extase se vérifie en toute authentique œuvre littéraire – et si un écrivain n’a jamais fait cette expérience, c’est qu’il s’est arrêté dans l’antichambre de la littérature – mais chez les grands auteurs la transparence de l’écrivain dans ses personnages produit des chefs d’œuvre. Mais il faut pour cela que l’auteur ait la force spirituelle de mourir souvent pour renaître chaque fois d’une façon différente, de résister longtemps sans céder à la tentation de posséder et de contrôler ses ‘créatures’, de les empêcher de grandir librement, autrement.

Ce sont ces expériences littéraires (et artistiques en général) qui font que la littérature et l’art véritables, loin d’être fiction, nous font découvrir la vraie réalité. Sinon les romans et récits ne seraient que la projection de leurs auteurs, simple écriture de ce qui existait déjà. C’est au contraire grâce à cette capacité, ce don, ce charisme des auteurs à se transcender, qu’Edmond Dantès, Fra Cristoforo, Zosime, Pietro Spina, Katjusa Maslova, sont plus réels et vrais que nos voisins, et qu’ils nous aiment comme et plus que nos amis, nos mères et nos enfants.  Les écrivains embellissent le monde en le peuplant de créatures plus grandes et plus vraies qu’eux-mêmes.

Je crois qu’il est arrivé quelque chose de semblable à ce lointain auteur sans nom du livre de Job. C’est ainsi qu’est né ce qui est peut-être le plus grand chef-d’œuvre de toute la Bible. Quand l’auteur antique de ce livre – une communauté de sages peut-être – a commencé son poème, il ne pouvait pas savoir que Job serait allé jusqu’à adresser à Dieu et à la vie des demandes aussi radicales et révolutionnaires. Job a grandi immensément au cours du drame, et la grandeur morale de son cri a de beaucoup dépassé la théologie et la sagesse de son auteur.

Aussi cet auteur, après avoir suivi Job sur les plus hauts sommets, après lui avoir fait dire des choses et poser des questions que lui-même ne comprenait pas et n’aurait jamais osé penser ni écrire, a peut-être fait l’expérience de ne plus avoir à disposition un Dieu (une théologie) capable de vraiment dialoguer avec ce Job. Elohim n’avait pas grandi au long de son poème – Dieu ne grandit sur cette terre que dans la mesure où les hommes grandissent eux aussi. Devant finalement donner la parole à Dieu, il a ressenti l’énorme écart entre un Job qui avait grandi tout au long du livre et un Dieu resté tel quel au-dedans de lui. Aussi est-il plausible et fascinant de penser – comme quelques exégètes – que la première version du livre  s’achevait avec le chapitre 31 ("Ainsi finissent les paroles de Job" 40b), sans Elihu et sans aucune réponse d’Elohim.

Mais nous pouvons tout de même attribuer au même auteur ces derniers chapitres, difficiles et incommodes, en osant une autre interprétation, dont la clé de lecture se trouve dans le Prologue même du livre (1-2), dans le pari entre Satan et Elohim sur la nature de la justice de Job. Le livre s’était ouvert avec le défi de Satan à Dieu : mettre Job à l’épreuve pour tester s’il était juste par intérêt ou par amour pur et gratuit de Dieu, pour vérifier si face à la ruine de tous ses biens et de sa peau il aurait cessé de bénir Dieu et l’aurait maudit.

Job entre dans son épreuve et résiste jusqu’au bout en s’agrippant à un seul espoir : voir comparaître Dieu sur le banc des accusés. À la fin de son chant et de son épreuve Dieu entre en scène, mais il ne s’assied pas dans la salle du tribunal, ne répond pas aux demandes de Job et le fait taire par sa toute-puissance.

C’est peut-être le sommet de l’épreuve de Job. Au nom de son Dieu-pas-encore-là qu’il attendait sans qu’il apparaisse encore, Job pouvait condamner et maudire le Dieu-déjà-là. Satan aurait gagné. Mais Job, sans pourtant trouver le Dieu qu’il attendait et espérait, continua à bénir Elohim : "Écoute, laisse-moi parler : je vais t’interroger et tu m’instruiras ! Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur le cendre" (42, 4-6).

Job surmonte la dernière tentation et Dieu gagne le pari contre Satan. Job ne maudit pas le Dieu qui n’a pas répondu à ses demandes, qui ne s’est pas montré capable de prendre au sérieux les plus graves pourquoi de l’homme et des pauvres innocents. Job "voit" enfin Dieu, ou plutôt revoit le Dieu qu’il avait connu dans sa jeunesse, sans voir ce visage nouveau et différent qu’il avait désiré. Le Goel, le garant qu’il avait désespérément imploré n’est pas arrivé, Dieu n’a pas montré un autre visage encore inconnu.

Mais Job ne se rebelle plus et se calme. Tant qu’il était dans le temps de l’attente, il pouvait, sans maudire Dieu, protester et maugréer : il pouvait et devait tout demander en espérant qu’arrive un autre Dieu. C’est ce qu’il a fait. Maintenant le temps de l’attente a passé et Dieu a parlé : si Job avait continué de protester il aurait blasphémé. Qui pouvait accueillir les cris désacralisant  de Job ? Seul un Dieu pas encore révélé et non pas le Dieu finalement arrivé. Si Job avait répété au Dieu-arrivé les dénonciations et accusations qu’il avait adressées au Dieu-attendu, elles n’auraient été que malédictions.

Job parlait et criait à un visage de Dieu par-delà Elohim, et faute qu’il arrive, s’est trouvé face à un choix dramatique : maudire ou capituler. Il a choisi de capituler.

Aux moments  cruciaux de la vie la bifurcation "malédiction-capitulation" se présente dramatiquement. Pour beaucoup c’est ainsi que se présente la mort. Après avoir longtemps lutté, consumé toutes nos énergies,  celles de la famille, de la médecine, nous finissons par comprendre qu’il nous reste un ultime choix : maudire comme le suggère la femme de Job ("Maudis Dieu et meurs !" : 2, 9) ou se rendre docilement. Encore est-il fort probable que l’ange de Dieu qui vient ne soit pas celui qu’on attendait, et que la vie qui finit n’ait pas répondu à nos grandes attentes depuis les premiers pourquoi de l’enfance. En cette heure-là  aussi nous devrons choisir entre mourir en bénissant paisiblement et mourir en maudissant de colère.

Mais cette bifurcation entre capitulation et malédiction se présente aussi clairement dans les relations importantes de notre vie, quand, déçus par un fils ou un ami qui répond en-deçà de nos attentes, nous choisissons non pas de le maudire et de le perdre mais de l’accepter et de le bénir tel qu’il est, en accueillant cette déception pour sauver la foi-confiance de la relation. C’est peut-être alors que ce proche ‘personnage’ peut commencer à nous surprendre.

Jacob reçut la bénédiction de l’ange d’Elohim en même temps que la blessure à la hanche dans sa grande lutte au gué du Yabboq (Genèse 32). Job, dans le gué de son fleuve de souffrance, est blessé par Dieu, mais le bénit. Le Dieu de Jacob blesse et bénit, celui de Job blesse et est béni. Et grâce à Job, et à l’auteur de son livre, la terre et le ciel se rencontrent en une nouvelle réciprocité, où Elohim aussi peut nous révéler son besoin qu’on le bénisse.

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Un homme nommé Job / 16 – Tant qu’il nous est possible de demander, nous sommes libres, même avec Dieu.

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 28/06/2015

logo GiobbeJe suis revenu à Job, parce que je ne peux pas vivre sans lui, parce que je sens que mon temps, comme tout temps, est celui de Job ; et que si on ne s’en rend pas compte, c’est seulement par inconscience ou illusion..

David Maria Turoldo, Une maison de terre – Job

Il n’est pas rare qu’on nie aux pauvres la dignité de nous interroger sur le pourquoi de leur pauvreté. Nous les convainquons que l’erreur n’est  pas dans notre manque de réponses, mais dans la fausseté, l’impertinence, la prétention et le vice de leur questionnement. L’idéologie de la classe dominante persuade les victimes qu’il est illicite, immoral, irréligieux même, de demander raison de leur misère et de la richesse des autres. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-even )

Pas de malédiction dans la rencontre

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Un homme nommé Job / 15 – L’âme est en vie tant que nous cherchons Celui qui ne nous a pas répondu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 21/06/2015

logo GiobbeÁ la fin de son combat, qu’il sait perdu d’avance – comment l’homme peut-il espérer vaincre Dieu ? – Job découvre une méthode ingénieuse pour persévérer dans sa résistance : faire semblant de céder avant même de s’engager dans le combat… Cela nous fait comprendre, malgré les apparences ou à cause d’elles, que Job continue d’interroger le ciel.

Elie Wiesel, Personnages bibliques à travers le Midrash

Il est normal qu’une rencontre décisive nous déçoive après qu’on l’ait longtemps attendue et beaucoup désirée. L’espoir et l’imagination étaient trop grands pour que la réalité de la rencontre les satisfasse. Nous l’avions rêvée, et ‘vue’ mille fois en notre âme. Nous avions en nous-mêmes prononcé nos premières paroles et celles de l’autre, choisi notre vêtement et entrevu le sien, senti les odeurs, entendu les sons. [fulltext] =>

Il n’est pas de paroles, vêtements, odeurs, couleurs et sons réels qui puissent équivaloir à ceux qu’on s’est imaginés et gravés dans le cœur. La foi aussi, toute foi, se nourrit de ces écarts entre les rencontres rêvées et les rencontres advenues, et la surprise, voire la déception, est la première expérience de toute authentique vie spirituelle, le premier signe que le Dieu que nous attendions n’était ni une idole ni seulement un songe. Nous ne sortirions certainement pas changés d’une rencontre avec une personne trop semblable à celle rêvée. L’âme est en vie tant qu’elle ne cesse d’aspirer ardemment à ce Dieu différent qui ne s’est pas présenté au rendez-vous.

Enfin donc, après une attente exténuante, nous allons assister à l’apparition dans le tribunal du texte le plus important, celui que Job a invoqué sans trêve. La grandeur du livre de Job est aussi d’avoir été capable de nous retenir dans le silence de Dieu pendant trente sept chapitres. La non entrée en scène d’Elohim nous a permis d’aller jusqu’au bout de nos questions, et Job a pu terminer son poème. Trop souvent nos chants ne peuvent devenir des chefs d’œuvre parce que les avocats de Dieu le font trop vite entrer en scène. La présence la plus vraie d’Elohim dans le drame de Job a été son absence, ses plus belles paroles celles qu’il n’a pas dites quand les amis lui demandaient de parler, de faire entendre la puissance de sa voix. Le salut est plus dans un ciel muet mais vrai, que dans un ciel peuplé de paroles trop peu humaines pour être vraies.

Dieu commence à parler du milieu de la tempête, mais ne répond pas aux attentes de Job, ne descend pas au niveau où on l’attend. Pourquoi ? Aucune théologie ne peut répondre abstraitement aux suppliques radicales de la souffrance innocente. Les hommes savent adresser à Dieu plus de questions qu’il ne peut donner de réponses. Un Dieu aux réponses prêtes et parfaites à tous nos pourquoi désespérés n’est qu’une idéologie ou, comme cela arrive malheureusement souvent, une idole stupide construite à notre image et ressemblance. Le Dieu de la Bible apprend de nos suppliques désespérées ; il est surpris quand nous les lui présentons pour la première fois. S’il n’en était pas ainsi, la création, l’histoire, nous-mêmes et le temps… tout serait  une fastidieuse comédie télévisée dont Dieu serait le seul spectateur. Seules les idoles n’apprennent rien des hommes, car elles sont mortes avant d’avoir jamais vécu. L’écart entre nos attentes et les réponses de Dieu offre le lieu d’une vraie expérience de foi, et les théologies qui cherchent à le réduire ou à le supprimer ne font qu’éloigner de la Bible leur idée de l’homme et de Dieu.

« Du cœur de la tempête, le Seigneur interpella Job et lui demanda : "Qui es-tu pour oser rendre mes plans obscurs à force de parler de ce que tu ignores ? Tiens-toi prêt, sois un homme : je vais t'interroger, et tu me répondras. Où donc te trouvais-tu quand je fondais la terre ? Renseigne-moi, si tu connais la vérité : Qui a fixé ses dimensions, le sais-tu bien ? Et qui l'a mesurée en tirant le cordeau ? Sur quel socle s'appuient les piliers qui la portent ? Et qui encore en a placé la pierre d'angle, quand les étoiles du matin chantaient en chœur, quand les anges de Dieu lançaient des cris de joie ?" (38, 1-7).

Elohim n’accepte pas le dialogue entre pairs que lui avait demandé Job, et ne répond pas à ses attentes. Il le gronde et lui rappelle quel abîme infini sépare le créateur de la créature – abîme que Job connaissait mais qui ne l’a pas empêché de se quereller avec Dieu. Il n’appelle pas Job par son nom, mais ‘censeur’ et ‘accusateur’ (40, 2). Le livre de Job ne connaît pas de Dieu capable de lutter d’égal à égal avec Job, et peut-être aucun livre sacré n’en connaît.

Seul un Dieu extrême pouvait côtoyer l’humanité extrême de Job. Le Dieu de ce livre, en effet, ne fait que réduire Job au silence dans sa condition de créature, en se cantonnant derrière ces barrières idéologiques d’où Job avaient tenté durant tout son chant de le désentraver. Job avait demandé un Dieu plus grand que celui qu’il avait connu ; mais, au terme de son poème, il ne trouve que l’Elohim de sa jeunesse, comme si le drame de Job n’avait rien appris au ciel.

Du livre nous ne pouvions sans doute rien attendre de plus. Mais nous, à Elohim, nous pouvons et devons demander davantage, lui demander d’être différent de ce qu’en dit ce grand livre biblique, le plus grand de tous peut-être. Continuons avec Job, à ne pas nous satisfaire des réponses, à ne pas nous contenter d’un Dieu trop semblable à celui que nous connaissions et que la théologie nous a raconté : créateur, tout-puissant, sage, magnifique. Nous savions tout cela avant de connaître Job.

Maintenant, après avoir écouté Job et pleuré avec lui face à la souffrance innocente de l’histoire, le Dieu-d’avant-Job ne nous suffit plus. Ce n’est pas le discours d’Elohim en soi qui nous déçoit (en l’extrayant de ce livre, nous y trouvons grande beauté et poésie) : c’est ce discours tel qu’il arrive à la fin du cri de Job qui nous laisse insatisfaits.  Est-il possible que nous seuls ayons  changé, et qu’Elohim soit resté celui du pari avec le Satan du Prologue du livre (chap. 1 et 2) ? La souffrance innocente du monde ne révèle-t-elle pas à Dieu une autre réalité de l’univers ? S’il en est ainsi, à quoi bon rester jusqu’au bout fidèles, honnêtes et infiniment seuls ?

Nous avons alors le devoir de demander davantage, de continuer à implorer Dieu de nous dire ce qu’encore il ne nous a pas dit. Sinon, nous perdons définitivement contact avec les pauvres et les victimes, avec ceux qui continuent de crier, trop impuissants face au spectacle du mal pour trouver consolation dans la toute puissance du Dieu.

Les pauvres et les victimes ne se taisent jamais au nom de Dieu, pas même quand ils maugréent contre le ciel. À qui regarde le monde avec les yeux des victimes, à qui fréquente les périphéries existentielles, sociales, économiques, morales du monde, la toute puissance de Dieu semble trop lointaine ; surtout, elle n’incite pas à tout faire pour atténuer la souffrance du monde.

Aucun récit des merveilles de l’univers, aucune magnifique description des terribles Béhémoth ("Sa queue est puissante, comme le tronc d'un cèdre ; ses cuisses sont nouées par des tendons puissants. Ses os sont aussi forts que des tubes de bronze, ses côtes font penser à des barres de fer" (40, 17-19) et Léviathan ("Plusieurs rangées de boucliers couvrent son dos en une carapace étroitement soudée. Chacun d'eux est si bien lié à son voisin que pas un souffle d'air ne pourrait s'y glisser…" (41, 7-8), ne peut consoler d’amour celui qui hurle en sombrant dans les eaux, ou qui meurt seul dans un élégant hôpital.

Seul le Dieu que Job attend pourrait les approcher et recueillir leurs cris. Mais ce Dieu ne se trouve pas dans le livre de Job : "Qui a fermé la porte aux flots de l'océan, quand il naissait en jaillissant des profondeurs ? Moi ! Et je l'ai alors habillé de nuages, quand je l'enveloppais dans un épais brouillard. J'ai cassé son élan, marqué une limite en plaçant devant lui une porte barrée. Je lui ai déclaré : « Tu iras jusqu'ici, n'avance pas plus loin ; oui, tes flots orgueilleux s'arrêteront ici ! » (38, 8-11).

Aux oreilles et au cœur de Job, seul sur son tas de fumier, au bord du désespoir, ces paroles, en soi parfaites, auront eu le même effet que les sages paroles de ses ‘amis’ : elles n’auront fait qu’augmenter sa solitude et son abandon. Car ce Dieu aussi cherche la conversion de Job, demande sa reddition et l’obtiendra : « Le Seigneur interpella Job et lui demanda : Toi qui portes plainte contre le Dieu très-grand, oses-tu critiquer ? Toi qui fais la leçon, que vas-tu donc répondre ? Alors Job répondit au Seigneur : Je suis peu de chose. Que puis-je te répondre ? Je me mets la main sur la bouche et je me tais. J'avais osé parler, je ne dirai plus rien. J'avais même insisté, je ne le ferai plus » (40, 1-5). Job, comme tant de victimes innocentes, est réduit au silence.

Cet Elohim, avocat, défenseur de sa propre insondable puissance, n’est pas le Dieu que recherchent et méritent les pauvres et les innocents Job. Les réponses de ce Dieu ne peuvent égaler les attentes de Job. Ses paroles ne sont moralement pas à la hauteur de celles de Job.

Mais – et voici l’extraordinaire mystère de la Bible – les paroles de Job sont elles-mêmes paroles de Dieu, partie intégrante de l’unique écriture. Nous pouvons alors écouter la voix de Dieu en faisant parler Job qui le dénonce et l’attaque. En déclarant ‘sacré’ l’entier livre de Job (et les autres livres) la tradition biblique a réalisé une merveilleuse ‘alliance’ entre les paroles de YHWH-Elohim et celles des hommes. La parole de Dieu dans le livre de Job et dans toute l’écriture est à chercher aussi dans les paroles et les cris de Job ; dans les paroles des hommes et leurs suppliques sans réponses. Nous pouvons prier Dieu avec les paroles sans Dieu de Job. Ce Dieu hybride, qui a voulu mélanger ses paroles aux  nôtres, est le seul qui puisse encore nous appeler par notre nom du sein des buissons ardents de la terre.

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Un homme nommé Job / 15 – L’âme est en vie tant que nous cherchons Celui qui ne nous a pas répondu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 21/06/2015

logo GiobbeÁ la fin de son combat, qu’il sait perdu d’avance – comment l’homme peut-il espérer vaincre Dieu ? – Job découvre une méthode ingénieuse pour persévérer dans sa résistance : faire semblant de céder avant même de s’engager dans le combat… Cela nous fait comprendre, malgré les apparences ou à cause d’elles, que Job continue d’interroger le ciel.

Elie Wiesel, Personnages bibliques à travers le Midrash

Il est normal qu’une rencontre décisive nous déçoive après qu’on l’ait longtemps attendue et beaucoup désirée. L’espoir et l’imagination étaient trop grands pour que la réalité de la rencontre les satisfasse. Nous l’avions rêvée, et ‘vue’ mille fois en notre âme. Nous avions en nous-mêmes prononcé nos premières paroles et celles de l’autre, choisi notre vêtement et entrevu le sien, senti les odeurs, entendu les sons. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-odd )

Un Dieu qui sait apprendre

Un homme nommé Job / 15 – L’âme est en vie tant que nous cherchons Celui qui ne nous a pas répondu Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 21/06/2015 Á la fin de son combat, qu’il sait perdu d’avance – comment l’homme peut-il espérer vaincre Dieu ? – Job découvre une méthode ingénieuse pour persévér...
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Un homme nommé Job / 14 – Dans le ciel de la foi, les nuages aussi aident à percevoir Dieu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 14/06/2015

logo GiobbeLa faute toujours accompagne l’homme.  Mais en séparant l’infection de la faute de ses conséquences catastrophiques au moyen du sacrifice expiatoire, l’ordre sacré rend possible l’idée d’une faute qui n’est pas un mal réel, une maladie de la vie, mais une imputation morale. La faute devient alors un artifice désespéré, une cage où faire coexister avec la souffrance le Tout-Puissant clément et miséricordieux.

Sergio Quinzio, Commentaire de la Bible

Le bonheur et la souffrance d’une civilisation dépendent beaucoup de l’idée de Dieu qu’elle se fait. Cela vaut pour le croyant comme pour le non-croyant, car chaque génération a son propre athéisme, profondément lié à son idéologie dominante. Croire en un Dieu à la hauteur de ce que l’homme a de meilleur, est un grand acte d’amour aussi pour celui qui ne croit pas en Dieu. La foi bonne et honnête est un bien public, parce que l’athéisme ou la non croyance en un dieu banalisé par nos idéologies, nous déshumanise.

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Au long de son poème au sein du livre de Job, Elihou approfondit son discours sur la valeur salvifique de la souffrance. Sa thèse théologique ne convainc ni Job ni nous, mais nous suggère de nouvelles questions : "Mais il suffit d'un ange aux côtés de cet homme, un seul de ces mille intermédiaires de Dieu, pour lui faire savoir quel est le droit chemin. L'ange a pitié de lui, et il demande à Dieu : « Ne le laisse donc pas descendre dans la tombe, j'ai trouvé le moyen de le faire acquitter. » L'homme retrouve alors sa fraîcheur enfantine ; le voilà revenu au temps de sa jeunesse" (33, 22-26).

Le monothéisme biblique est tout autre que simple et linéaire. Outre la grande parole sur l’unicité du Dieu du Sinaï, antidote à l’éternelle tentation idolâtrique, la fouille des écritures nous fait aussi trouver la strate vive et féconde d’un Dieu à plusieurs visages. Job, aux moments les plus dramatiques de son procès, a lui aussi invoqué un Dieu différent de celui que lui présentait la foi de son temps, autre que celui de sa jeunesse. Job ne cesse de chercher avec ténacité un Dieu au-delà de Dieu, un ‘Goel’, garant et défenseur de son innocence et de sa justice, face à ce Dieu qui le fait injustement mourir.

Elihou nous indique, parmi les mille anges de Dieu, un 'ange sauveur’ qui, pris de pitié pour la souffrance de l’homme, le sauve, de sa main miséricordieuse, de l’abime où l’autre main de Dieu l’avait précipité. Belle et riche variété des mains et des visages du même Elohim (pluriel hébraïque d’Elohah, et de l’archaïque El), que la tradition chrétienne a d’une certaine manière préservée dans sa définition de Dieu un et trine, reconnaissant que YHWH est unique mais n’est pas seul.

Dans la doctrine chrétienne a cependant trop vite disparu le visage obscur de YHWH tel que le présentent les évangiles, où un Dieu-père abandonne un Dieu-fils sur la croix. Une divinité qui ne serait que lumière ne peut comprendre les questions de Job ni les suppliques désespérées des autres victimes de la terre. Si la foi des religions veut aujourd’hui accueillir le ciel vide des hommes et des femmes de notre temps, elle doit se réapproprier l’ombre dans la lumière de Dieu, l’habiter et la traverser avec les nombreux Job qui peuplent le monde (d’innombrables Job gravitent autour de nos religions). Job aujourd’hui n’entendra plus Dieu lui parler dans le tonnerre si les nuages du ciel disparaissent de la foi.

Elihou continue d’affirmer la justice de Dieu, prend sa défense contre Job. Il ressent lui aussi l’urgent besoin du métier d’avocat de Dieu, profession pour laquelle l’offre est très abondante dans toutes les religions, alors que la demande en est modeste, voire inexistante : "En vérité, Dieu n’agit jamais mal, le Tout-Puissant ne pervertit pas le droit" (34, 12). Job avait au contraire nié la justice d’Elohim, à partir non pas de théorèmes théologiques mais de sa concrète condition de victime. Dans son procès avec Dieu, il a surtout cherché à défendre son innocence, à démontrer qu’il ne mérite pas ses peines,  qu’il voit comme des punitions divines.

Job aurait pu avoir gain de cause au tribunal divin en niant que Dieu fut la raison de ses maux, en le dispensant donc de répondre de l’injustice du monde. Mais il ne l’a pas fait et il continue de croire en un Dieu responsable du mal et de la souffrance innocente. Alors demandons-nous, avec l’aide d’Elihou, pourquoi Job n’a pas voulu disculper Dieu du mal de ce monde ? La culture de Job considérait les joies, les souffrances, les malheurs comme autant d’expressions directes de la providence divine dans le monde. Dans son monde et celui de ses amis, ce qui arrive est voulu par Dieu, et si c’est injuste (malheur du juste et bonheur du méchant), c’est que Dieu le veut ou le permet.

La théologie rémunératrice  - commune à toutes les anciennes religions – était le mécanisme le plus simple, mais le plus puissant et rassurant, pour expliquer la présence divine dans l’histoire : les événements positifs dans notre vie récompensent notre justice ; ceux qui sont négatifs punissent nos fautes (ou celles de nos pères). "Elihou reprit : que t’importe à toi, ou quel avantage pour moi, si j’ai péché ou non ?" (35, 1-3). Job, en principe, aurait pu trouver une première voie de salut pour sa propre justice et celle de Dieu : il lui aurait simplement suffi de réfuter jusqu’au bout la théologie économico-rémunératrice. Mais, dans son univers, cette négation aurait coûté très cher : c’eut été reconnaître une injustice sur la terre, face à laquelle Dieu aurait dû admettre son impuissance. Pour sa culture, un prix insupportable.

Job accomplit une opération éthique d’une portée révolutionnaire : la démonstration de l’innocence de la victime du mal. Nous avons perdu le sens profond de cette révolution, nous, lecteurs modernes (notre foi et notre non croyance en sont trop loin). Cependant, à ce stade du livre, laissons-nous surprendre par une chose : pas même Job ne s’est complètement libéré de la théologie rémunératrice. Dans sa culture cette libération signifiait simplement athéisme, insignifiance de la religion. Mais Job, en accusant Dieu d’être injuste à son égard et à celui des victimes, reste dans la vision rémunératrice de la religion et de la vie. Et dans cet horizon de la foi rémunératrice, lui aussi (qui le plus a tenté de mettre en crise cette théorie religieuse) échoue à reconnaître une double innocence : celle du juste tombé dans le malheur et celle de Dieu. Job a donc préféré se quereller avec Dieu plutôt que de perdre foi en lui.

Seule la découverte d’un Dieu fragile aurait pu sauver à la fois son innocence et sa foi en un Dieu innocent. Seul un Dieu qui devient lui aussi victime du mal du monde pouvait affirmer sa propre justice et celle des pauvres justes. Son attente d’un Elohim différent, qui traverse tout le livre et demeurera après la réponse de Dieu, est peut-être chez Job la quête d’un Dieu encore inconnu, capable d’accepter son impuissance en face du mal du monde. En même temps que sa propre innocence, il lui aurait fallu admettre un Dieu faible, un Tout-Puissant impuissant face au mal et à la souffrance.

Mais Elihou indique à Job une autre voie : l’indifférence de Dieu : "Regarde bien le ciel, observe les nuages : ils sont plus hauts que toi ! Quand tu commets le mal, est-ce à Dieu que tu nuis ? Lorsque tu multiplies les désobéissances, en quoi cela le touche-t-il ? — En rien du tout ! Et si tu te conduis comme il l'attend de toi, que lui apportes-tu ? Que reçoit-il de toi ?" (35, 5-7).

Mais le Dieu biblique n’est pas indifférent à l’agir des hommes : il s’émeut, se repent, se réjouit, se met en colère. Elihou ne peut donc avoir raison. Elohim-YHWH a en effet révélé qu’il s’intéresse à ce qui se passe sous son ciel. Job le savait, le sait, et continue de le savoir. Nous perdrions tout le message biblique si nous en venions, pour sauver Dieu du mal du monde qu’il a créé, à nier tout lien entre son ‘cœur’ et nos actions. Si Job a continué de se battre, c’est aussi pour sauver un Dieu au cœur de chair. Pour son salut, Job ne s’est pas contenté d’un Dieu seulement utile aux dissertations théologiques qui finissent presque toujours par condamner les pauvres.

Dieu lui-même devient inutile aux hommes si l’agir des hommes est inutile à Dieu. N’oublions pas que l’opération d’Elihou est au cœur du projet de la modernité. Job, nous l’avons souvent vu, attend et appelle un Dieu au niveau du meilleur de l’humanité et au-delà. Nous sommes capables de souffrir des injustices et des méchancetés des autres, et nous nous réjouissons de l’amour et de la beauté qui nous entourent, quel que soit le dommage ou l’avantage personnel qui en découle pour nous. C’est dans cette compassion humaine que se révèle d’abord la compassion de Dieu. L’anthropologie est le premier examen de passage de toute théologie qui refuse d’être idéologie-idolâtrie. S’il ne veut être ni moteur immobile ni idole, Dieu doit souffrir du mal que nous commettons, se réjouir de notre justice, mourir avec nous sur nos croix. Si nous savons le faire –que de pères et de mères se clouent sur le bois de leurs enfants ! – Dieu aussi doit savoir le faire.

La logique rémunératrice n’a pas disparu de la terre. Nous la retrouvons en force dans la ‘religion’ de notre capitalisme global. Son nouveau nom est méritocratie, mais ses effets et sa fonction sont les mêmes que dans les anciennes théories économiques : ceux d’un mécanisme abstrait (jamais concret) qui garantit l’ordonnancement logique du système et rassure la conscience de ses ‘théologiens’. De la sorte, face aux déchets et aux victimes du Marché, le circuit ‘moral’ se ferme sur le constat du manque de mérite des vaincus, des perdants (losers), des inintelligents, toujours plus marginalisés et coupables de leur malheur.

Au terme du monologue d’Elihou, le livre de Job ne rapporte aucune réponse de Job et des amis. Job reste muet, appelle encore un autre Dieu. Un Dieu que ni Elihou, ni Job, ni l’auteur du drame ne connaissent encore – ni nous, peut-être. Mais viendra-t-il ce nouveau Dieu ? Pourquoi tarde-t-il tant, alors que le pauvre continue de mourir innocent ?

 

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Un homme nommé Job / 14 – Dans le ciel de la foi, les nuages aussi aident à percevoir Dieu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 14/06/2015

logo GiobbeLa faute toujours accompagne l’homme.  Mais en séparant l’infection de la faute de ses conséquences catastrophiques au moyen du sacrifice expiatoire, l’ordre sacré rend possible l’idée d’une faute qui n’est pas un mal réel, une maladie de la vie, mais une imputation morale. La faute devient alors un artifice désespéré, une cage où faire coexister avec la souffrance le Tout-Puissant clément et miséricordieux.

Sergio Quinzio, Commentaire de la Bible

Le bonheur et la souffrance d’une civilisation dépendent beaucoup de l’idée de Dieu qu’elle se fait. Cela vaut pour le croyant comme pour le non-croyant, car chaque génération a son propre athéisme, profondément lié à son idéologie dominante. Croire en un Dieu à la hauteur de ce que l’homme a de meilleur, est un grand acte d’amour aussi pour celui qui ne croit pas en Dieu. La foi bonne et honnête est un bien public, parce que l’athéisme ou la non croyance en un dieu banalisé par nos idéologies, nous déshumanise.

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L’autre main du Tout-Puissant

Un homme nommé Job / 14 – Dans le ciel de la foi, les nuages aussi aident à percevoir Dieu Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 14/06/2015 La faute toujours accompagne l’homme.  Mais en séparant l’infection de la faute de ses conséquences catastrophiques au moyen du sacrifice expiatoire, l’ordre ...
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Un homme nommé Job / 13 – Le dialogue, même le plus inattendu, aide à comprendre la vie, et Dieu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 07/06/2015

logo GiobbeJob dit que les bons ne vivent pas et que Dieu les fait injustement mourir. Les amis de Job disent que les méchants ne vivent pas et que Dieu avec raison les fait mourir. La vérité est que tous meurent.

Guido Ceronetti  Le livre de Job

Job a terminé ses discours. Ses ‘amis’ l’ont humilié et déçu, mais lui ont aussi permis de trouver des raisons toujours plus profondes de son innocence. Le dialogue est un instrument indispensable au discernement concernant la justice de notre vie et de la vie du monde. Ce n’est qu’en dialoguant, en compagnie, que nous parvenons à comprendre les interrogations les plus profondes de notre existence, à pénétrer les plus obscures profondeurs de notre âme.

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Même quand nos interlocuteurs ne nous sont pas amis, ne nous comprennent pas et nous font mal, la vérité sur nous-mêmes émerge du dialogue avec eux, avec d’autres hommes, avec Dieu, avec la nature. Les solitudes ne sont bonnes que pour une pause entre deux dialogues. Nous avons besoin de parler et d’écouter pour nous connaître vraiment, pour pénétrer la vérité cachée au plus profond de notre cœur. Dans les nuits de la vie, de mauvais compagnons valent mieux que la solitude.

Job est parvenu la tête haute au terme de son procès. C’est en ‘prince’ qu’il attend Dieu, sans savoir s’il arrivera, et s’il sera le vieux Dieu de ses ‘amis’ ou un Dieu nouveau. Quant à nous, ignorants comme lui, avec lui nous attendons. La Bible est vivante et vraie tant qu’elle est capable de nous surprendre ; de nous émerveiller ici et maintenant par l’ouverture de la mer devant nous alors que nous poursuit l’armée de Pharaon ; de nous laisser sans souffle quand il est maintenant vivant, celui qui nous appelle par notre nom, après que, désespérés, nous ayons assisté à sa mort en croix.

Quand Job, avocat de lui-même, a fini de parler, une première surprise nous attend : l’arrivée d’un nouveau personnage, Elihou. Était-il prévu dans le scenario initial du drame, tenu jusqu’alors intentionnellement caché ? Est-ce l’arrivée impromptue d’un spectateur sur scène ? Ou la volonté du directeur du théâtre de faire entendre sa voix ? En tout cas, aucun lecteur de ce livre pour la première fois ne s’attend à l’apparition d’Elihou. Il n’est pas mentionné dans le Prologue, et la dramatique tension du texte ne nous avait préparés qu’à la rencontre d’un ultime personnage : Elohim. La grandeur de ce livre réside aussi dans ses coups de théâtre, dans les sauts continus auxquels il nous contraint pour attiser en nous le désir des paroles d’Elohim, que tous nous espérons aussi grandes que celles de Job.

Une première version du livre s’achevait peut-être avec le chapitre 31, après que Job ait répondu à toutes les accusations de ses interlocuteurs et les ait fait taire. Le silence de tous les protagonistes pouvait être la conclusion la plus ancienne du livre. Job avait achevé la traversée de son épreuve et Satan n’avait pas gagné son pari. Peut-être n’y avait-il besoin ni d’Elihou, ni des paroles d’Elohim, puisque – à y bien penser – Dieu avait déjà tout dit dans le Prologue du livre.

Mais si les grands livres, les livres bibliques notamment, sont encore vivants, c’est parce qu’à l’image des plus antiques cités, les premiers temples y sont transformés en églises, les nouvelles maisons se construisent avec les vieilles pierres, de nouvelles architectures s’élèvent à côté des anciennes constructions. Le petit poème d’Elihou est une nouvelle place dans la cité de Job, plus récente que les premiers forums et temples, artistiquement moins originale, trop grande pour ne pas troubler l’harmonie de l’antique décor. Quoi qu’il en soit, un lieu qu’il nous faut traverser. En le parcourant nous découvrirons quelques recoins intéressants, et au somment d’une de ses ruelles montantes s’ouvriront de nouveaux points de vue sur les antiques et éternelles beautés de cette cité.
"Élifaz, Bildad et Sofar renoncèrent à répondre à Job, puisque celui-ci s'estimait innocent. Cela provoqua l'indignation d'un certain Élihou, fils de Barakel, de la tribu de Bouz, du clan de Ram. Son indignation éclata contre Job, parce que celui-ci prétendait avoir raison contre Dieu. Mais elle visait aussi ses trois amis, parce qu'ils n'avaient pas su répondre à Job et avaient ainsi donné tort à Dieu" (32, 1-4).

Une première chose intéressante d’Elihou, c’est son nom, proche de celui du prophète Elie : "Il est mon Dieu". Elihou est le seul personnage du livre à la claire connotation israélite. De plus Elihou seul a une généalogie : il est de Buz. D’après Genèse (22, 22-24), on sait que deux neveux d’Abraham s’appelaient Uç et Buz ; or Uç est la région de Job. Deux données qui situent Elihou tout près de Job et de la culture israélite. Elihou déclare vouloir se situer sur le même plan que Job, dans un dialogue entre pairs terrestres : "Nous sommes des égaux, toi et moi, devant Dieu, moi aussi j'ai été façonné dans l'argile" (33, 6).

Les 31 premiers chapitres du livre de Job sont pour tout lecteur, en tout temps, d’une extrême radicalité. Si nous sommes honnêtes, nous ne pouvons qu’entrer en crise : ce chant du juste innocent nous force à repenser profondément nos théologies, religions, idéologies. Il nous oblige à nous mettre du côté des victimes et de leurs questions qui démasquent nos idolâtries, à regarder d’en bas le monde, à interroger Dieu du point de vue des pauvres, et non l’inverse (comme ces mêmes religions nous y ont habitués). 

Au cours de la lecture, quand les questions de Job commencent à faire mal et à nous déranger, on peut facilement être tenté d’émonder, d’adoucir la radicalité de son message. Il se peut qu’un jour une génération d’intellectuels, alors que le texte était encore en gestation avant la version finale, s’est donné le courage et l’ardeur de retoucher cet antique chant d’un innocent malheureux, et a inséré dans le texte originel une très longue digression (chap. 32-37), pour atténuer le scandale de la défaite de la théologie traditionnelle et la nette victoire de Job : "Surtout ne pensez pas : « Voici ce qui est sage : ce n'est pas nous mais Dieu qui le réfutera »" (32, 13). Les auteurs d’Elihou n’acceptent pas leur défaite dans la joute argumentaire : ils veulent tenter un ultime plaidoyer, démontrer l’existence d’autres raisons purement humaines de réfuter les ‘blasphèmes’ de Job.

Le résultat est en tout cas modeste. On y trouve très peu de nouveaux arguments. Certains versets cependant sont dignes des meilleurs pages de Job (par ex. 33, 15-18, 27-29). La thèse plus originale d’Elihou –bien connue de la tradition sapientiale d’Israël mais quasiment absente des argumentations des trois amis de Job – concerne le rôle salvifique de la souffrance, que Dieu envoie pour le bien et la conversion des créatures : "Mais Dieu corrige aussi l'homme par la souffrance qui le jette sur un lit : la fièvre fait trembler ses membres sans arrêt" (33, 19). C’est là une idée qui traverse tout l’univers judéo-chrétien, et qui fascine par une vérité qu’elle contient. Mais cette thèse pose en soi trop de problèmes et ne fonctionne assurément pas pour Job.

On ne peut nier l’existence dans la tradition biblique d’une ligne théologique selon laquelle Dieu envoie aux hommes diverses formes de souffrance en vue de leur conversion (pensons aux ‘plaies d’Égypte’). Mais quand une lecture salvifique de la souffrance s’impose dans les religions,  la tentation survient toujours de ne pas tout faire pour soulager les souffrances et secourir les pauvres. On en vient même à agir selon l’idée qu’il est bien de laisser souffrir les gens, parce que soulager ou éliminer leurs souffrances pourrait les priver d’un possible salut.

Job au contraire – et nous aussi - attend un autre Dieu, qui ne soit pas la cause des souffrances humaines ; un Elohim qui ait pour celui qui souffre le visage d’un compagnon de voyage, qui compatit et prend soin de lui.

La souffrance fait partie de la condition humaine, elle est notre pain quotidien ; et si Elohim est le Dieu de la vie, on peut sûrement le trouver aussi au fond de nos souffrances et de celles des autres. Dans la nuit de la souffrance il est parfois possible de voir des étoiles plus lointaines, et de ressentir une ‘présence’ dans le vide que crée la souffrance. La rencontre avec elle peut nous ouvrir à des dimensions plus profondes de notre vie, la nudité de l’existence peut nous faire rencontrer un moi plus vrai qu’encore nous ne connaissions pas.

D’autres fois, au contraire, la souffrance nous fait aller plus mal, nous prive de toute lumière au point que nous devenons même aveugles au soleil de midi. Trop de pauvres sont écrasés de souffrances telles qu’ils ne semblent plus humains. Les premiers chapitres de la Genèse nous disent que la souffrance d’Adam ne faisait pas partie du projet originaire de Dieu, et que sa source est extérieure à Elohim. La Bible sait qu’ils s’appellent idoles les dieux qui se nourrissent de la souffrance des hommes.

Mais l’argumentation d’Elihou ne peut en rien expliquer la souffrance de Job. Job est juste et innocent. Il ne se trouvait en aucune condition de péché mortel dont il aurait dû sortir grâce à la souffrance. Alors, tout en devant reconnaître la valeur anthropologique et spirituelle que représente parfois la souffrance, aucune lecture authentiquement humaniste et vraie de la Bible ne peut faire de Dieu la cause de la souffrance des hommes, moins encore des innocents.

Quel Dieu peut associer à son agir la souffrance des enfants, la néantisation des pauvres, les hurlements des foules de Job de l’histoire ? Qui s’y adonne construit des religions inhumaines, des dieux trop petits pour être à la hauteur du meilleur qui est en nous et qui continue de souffrir au contact de la souffrance humaine. Quel sens religieux aurait un monde où les meilleurs combattraient les souffrances que Dieu lui-même causerait ? Aucun. Les crucifix sans résurrection ne sauvent ni les hommes, ni Dieu, et quiconque cherche à bloquer les religions au vendredi saint empêche la floraison des hommes et de Dieu.

La solidarité et la fraternité sont nées et renaissent de notre capacité à souffrir de la souffrance des autres, de notre compassion pour toute femme et tout homme qui souffre. C’est ce Dieu solidaire que Job cherche : un Dieu qui soit le premier à souffrir de la souffrance du monde, le premier à œuvrer pour la réduire, pour le rachat des pauvres et des victimes.

 

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Un homme nommé Job / 13 – Le dialogue, même le plus inattendu, aide à comprendre la vie, et Dieu

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 07/06/2015

logo GiobbeJob dit que les bons ne vivent pas et que Dieu les fait injustement mourir. Les amis de Job disent que les méchants ne vivent pas et que Dieu avec raison les fait mourir. La vérité est que tous meurent.

Guido Ceronetti  Le livre de Job

Job a terminé ses discours. Ses ‘amis’ l’ont humilié et déçu, mais lui ont aussi permis de trouver des raisons toujours plus profondes de son innocence. Le dialogue est un instrument indispensable au discernement concernant la justice de notre vie et de la vie du monde. Ce n’est qu’en dialoguant, en compagnie, que nous parvenons à comprendre les interrogations les plus profondes de notre existence, à pénétrer les plus obscures profondeurs de notre âme.

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Le vrai sens de la souffrance

Un homme nommé Job / 13 – Le dialogue, même le plus inattendu, aide à comprendre la vie, et Dieu Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 07/06/2015 Job dit que les bons ne vivent pas et que Dieu les fait injustement mourir. Les amis de Job disent que les méchants ne vivent pas et que Dieu avec raiso...
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Un homme nommé Job / 12 – Nostalgie d’avenir, où ciel de Dieu et horizon de l’homme coïncident

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 31/05/2015

logo GiobbeMoi, je te lorgne, / comme sur un échiquier de bataille navale / ne sachant  pas encore où / tu me feras couler ; / tu marqueras / au stylo noir / une fente des yeux / et me porteras sain et sauf / sur une terre à disposition.

Chandra Livia Candiani

Les cris des victimes prennent de la force en se répétant. Dans son discours final, Job répète ses suppliques et ses cris, clame pour la énième fois son innocence, hurle encore vers le ciel : la pauvreté du pauvre n’est pas due à la culpabilité. Un homme peut être pauvre, malheureux et innocent. Et s’il est innocent, quelqu’un doit l’aider à se relever. Dieu en premier, s’il veut être différent des idoles. Le véritable délit dont se sont souvent salies les religions est l’élimination des pauvres en les convaincant qu’ils sont coupables et qu’ils ont mérité leur malheur ; nous nous justifions ainsi dans notre indifférence, à laquelle nous cherchons même à associer Dieu. [fulltext] =>

En parcourant Nairobi (d’où j’écris ces lignes) le hurlement de Job est assourdissant ; partout résonne la défection de nos réponses masquées d’idéologies. Ce n’est qu’en compagnie de Job qu’on peut parcourir les "faubourgs du capitalisme" sans loi, tout en espérant rester juste. Reconnaître Job au long des rues, s’approcher de ses blessures, s’obliger au silence pour écouter son cri jusqu’au bout.

Les amis de Job ont cessé de parler. Le voilà de nouveau seul sur son tas de fumier, le corps meurtri, le cœur plongé dans une obscurité que seul Elohim pourrait éclaircir par des paroles autres que celles que lui ont adressées ses interlocuteurs, souteneurs de Dieu et ennemis de la victime et du malheureux. Mais Elohim n’arrive pas. Son absence occupe toujours plus le centre du drame.

Job l’a imploré, a porté plainte contre lui, l’a convoqué comme juge de dernière instance dans sa défense contre Dieu lui-même. Il a même juré son innocence ; mais Elohim n’arrive pas au tribunal, ne dit rien, ne répond pas. Cette trop longue attente d’un Dieu différent remplit Job de nostalgie sur son tas de fumier : "Qui me fera revivre les lunes d’antan, quand l’amitié de Dieu reposait sur ma tente, quand Shaddaï était encore avec moi et que mes garçons m’entouraient" (29, 2-5). Cette nostalgie accentue sa douleur. En hiver, l’espoir de voir demain revenir le printemps réjouit le cœur. Mais quand l’hiver ne débouche pas sur un nouveau printemps, quand la nuit, la dernière, ne génère aucune aube nouvelle, le souvenir des moments de lumière et de bourgeonnement ne fait qu’aiguiser la souffrance dans le froid de l’hiver. Dur est le souvenir de la jeunesse quand manque à la vieillesse la présence d’un enfant qui fait revivre en nous une future jeunesse, tout autre, tout entière gratuité. Une seule nostalgie sauve : la nostalgie d’avenir.

Mais dans ce dernier souvenir des jours bénis, se trouvent bien d’autres choses. Job y trouve d’abord une ultime preuve de son innocence et de sa justice : "Pour l'aveugle, j'étais les yeux qui lui manquaient, pour l'infirme, les pieds qui lui faisaient défaut. Pour les malheureux, j'étais devenu un père". Et avec poésie, comme il nous y a habitués, il ajoute : "J’ai fait un pacte avec mes yeux : de ne fixer le regard sur aucune jeune fille" (29, 15-16 ; 31,1). Et en thèse jumelle de celle de son innocence, suit son accusation contre Dieu, toujours plus forte, scandaleuse et admirable : "Il m’a jeté dans la boue. Me voilà devenu poussière et cendre. Je hurle vers toi, et tu ne réponds pas. Je me tiens devant toi, et ton regard me transperce" (30, 19-23). Le Dieu biblique est un Dieu proche du pauvre ; il répond à l’innocent qui l’invoque, est proche des victimes, court en aide à qui lui lance un cri. Le Dieu que connaît Job, non : Job crie et Dieu n’arrive pas.

Si la Bible a voulu nous montrer un Dieu qui ne répond pas à Job, c’est qu’on peut trouver une vérité en ce Dieu qui se tait quand il devrait répondre. On voit bien dans le monde que Dieu reste silencieux alors que Job crie. C’est ce Dieu muet que les pauvres connaissent sur terre. Pour rencontrer vraiment l’esprit de Dieu dans le monde, sans rester prisonnier de quelque idole au-dehors comme au-dedans des religions, il nous faut le découvrir dans les cris sans réponse, le chercher là où il n’est pas.

Les dernières paroles de Job contiennent aussi un immense ‘serment d’innocence’ (‘Si j’ai commis ce délit, que ce mal me frappe’…). Job l’avait déjà prononcé (27, 1-7), mais il devient maintenant plus solennel, ultime, extrême. Un dernier serment, riche d’une perle, d’un des messages plus grands et révolutionnaires de tout le livre, de tout livre.  Dans ses dernières paroles nous comprenons en quoi consiste vraiment pour Job l’innocence : "Si mon cœur fut séduit par une femme, que d’autres aient commerce avec la mienne… Ai-je été insensible aux besoins des pauvres, laissé languir les yeux de la veuve ? Ai-je mangé seul mon morceau de pain, sans que l’orphelin en ait mangé ? Qu’alors mon épaule tombe de ma nuque et que mon bras se rompe au coude ! Ai-je placé dans l’or ma confiance et dit à l’or fin : ‘O ma sécurité’ ? A la vue du soleil dans son éclat et de la lune radieuse dans sa course, mon cœur, en secret, s’est-il laissé séduire pour leur envoyer de la main un baiser ?" (31, 5-10 ; 16-28).  Maltraiter les pauvres sans les secourir, commettre l’adultère et toutes sortes d’idolâtrie (richesses et astres) : ce sont pour Job, et pour tous, les délits les plus graves.

Mais Job ajoute une chose qui nous rend très perplexes, nous stupéfait, nous trouble. À la fin de sa défense, il semble admettre sa culpabilité : "En tant qu’homme je n’ai pas caché ma faute, tenu secret en moi mon délit" (31, 33-34). Dans sa dernière défense, à deux pas de la fin, il se rend, et suivant les conseils des amis, il admet sa culpabilité, nie son innocence, ce seul bien qu’il avait gardé sauf pour son passage définitif. Est-ce là le sens de ces paroles ? Non. Job nous dit ici une autre chose, très importante, son dernier mot, son testament.

En reconnaissant la faute, Job, dans sa conclusion, élargit le champ de l’innocence jusqu’à y inclure le péché. L’homme juste n’est pas celui qui ne pèche pas, ne commet aucun délit, car le péché fait partie de la condition humaine. Job a toujours nié la théologie rémunératrice des amis où la condition du malheureux est associée à son péché. Nous comprenons pleinement maintenant que la justice et l’innocence de Job ne consistent pas dans l’absence de péché, de chutes morales. Job aussi a péché. On peut commettre péchés et délits et rester justes, pourvu qu’on ne sorte pas de la vérité sur soi et sur la vie. Le seul grand péché contre le Dieu de Job est le mensonge, faute consciente tenue secrète en soi, de crainte, en l’admettant et en la reconnaissant publiquement, de se décider pour la conversion et la justice. Il est des personnes injustes et coupables qu’on loue en public et gratifie de reconnaissances civiles, tandis que les prisons sont pleines de justes comme Job.

Si Dieu n’est pas une idole, il se doit de pardonner le péché des justes. Les dernières paroles de Job nous disent donc une chose décisive pour toute expérience de foi : le pécheur aussi peut rester innocent. Et si le pécheur reste dans le champ de l’innocence, alors on peut se relever de toute chute : on peut redevenir innocent. Job le sait, parce qu’il croit et espère en ce seul Dieu.

C’est avec cette innocence sincère, vraie, honnête, que Job termine le récit de son histoire. Il a accompli sa mission, livré un bon combat. Il a conservé sa foi en l’homme, en Elohim, dans sa propre dignité, son propre honneur, dans l’innocence de l’homme, de tout homme. Il l’a fait pour nous, et continue de le faire, pour inclure aussi dans le royaume des innocents les pécheurs qui continuent d’être justes.

Á présent, il peut seulement attendre que Dieu fasse sa part, se présente au tribunal de la terre. C’est là qu’il l’attend : "J’ai dit mon dernier mot ! À Shaddaï de me répondre !... Je m’avancerai vers lui comme un prince" (31, 35-37). Job a dignement terminé son épreuve en homme libre et vrai. Il se sent roi, "prince", et peut attendre Dieu la tête haute.

Job est dans le temps de l’Avent, il attend encore Dieu ; mais il sait maintenant que s’il vient, il sera différent de celui de sa jeunesse. Ce premier Elohim a été balayé par le même vent impétueux qui a balayé ses biens. Mais il n’a pas cessé de l’attendre, et d’en éprouver de la nostalgie, une nostalgie d’avenir.

Dans les épreuves de la vie, même grandes et terribles, l’important, la seule chose vraiment importante, est d’atteindre le bout de la nuit sans cesser d’attendre un autre Dieu, et de parvenir à cette rencontre décisive la tête haute. Toutes les attentes de Dieu ne se vivent pas ainsi, parce que, pour regarder Elohim dans les yeux, la tête haute, il faut savoir, au moment voulu, vivre comme Job les épreuves de la vie, sans se contenter, pour le salut, d’un dieu mineur et d’un homme inférieur.

Arrivé en prince au bout de sa défense, Job a continué d’élargir l’horizon de l’homme bon jusqu’à le faire coïncider, à l’horizon, avec le bon ciel de son Dieu

 

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Un homme nommé Job / 12 – Nostalgie d’avenir, où ciel de Dieu et horizon de l’homme coïncident

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 31/05/2015

logo GiobbeMoi, je te lorgne, / comme sur un échiquier de bataille navale / ne sachant  pas encore où / tu me feras couler ; / tu marqueras / au stylo noir / une fente des yeux / et me porteras sain et sauf / sur une terre à disposition.

Chandra Livia Candiani

Les cris des victimes prennent de la force en se répétant. Dans son discours final, Job répète ses suppliques et ses cris, clame pour la énième fois son innocence, hurle encore vers le ciel : la pauvreté du pauvre n’est pas due à la culpabilité. Un homme peut être pauvre, malheureux et innocent. Et s’il est innocent, quelqu’un doit l’aider à se relever. Dieu en premier, s’il veut être différent des idoles. Le véritable délit dont se sont souvent salies les religions est l’élimination des pauvres en les convaincant qu’ils sont coupables et qu’ils ont mérité leur malheur ; nous nous justifions ainsi dans notre indifférence, à laquelle nous cherchons même à associer Dieu. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-even )

L’attente de l’innocent

Un homme nommé Job / 12 – Nostalgie d’avenir, où ciel de Dieu et horizon de l’homme coïncident Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 31/05/2015 Moi, je te lorgne, / comme sur un échiquier de bataille navale / ne sachant  pas encore où / tu me feras couler ; / tu marqueras / au stylo noir / une fen...
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Un homme nommé Job / 11 –  Fidèles à la vérité qui nous habite, cherchons le ciel qui est en nous

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 24/05/2015

logo GiobbeJob continue d’interroger le ciel. Grâce à lui, nous savons que l’homme a reçu le don de transformer l’injustice divine en justice humaine. Il y avait une fois, dans un pays lointain, un homme légendaire, juste et généreux, qui, dans la solitude et le désespoir, trouva le courage d’affronter Dieu. Et de l’obliger à regarder sa Création.

Elie Wiesel, Personnages bibliques à travers le Midrash  

L’histoire des religions et des peuples est le déploiement d’une véritable lutte entre qui emprisonne Dieu dans les idéologies et qui s’efforce de l’en libérer. Les prophètes appartiennent à la catégorie des libérateurs de Dieu, dans leur fonction essentiellement critique envers tous les pouvoirs qui, en tout temps, se laissent invinciblement tenter d’utiliser les religions et les idéologies pour renforcer leur domination. [fulltext] =>

Job est l’un de ces ‘prophètes’, qui plus que tout autre nous force à pénétrer au cœur du mécanisme du pouvoir, par sa critique et son attaque directe contre l’idée de Dieu que s’étaient construite les idéologies de son temps. Il ne se limite pas à critiquer les puissants, prêtres et rois, mais comme et plus que les grands prophètes de la Bible, il veut démonter l’idée de Dieu qui soutient artificiellement tout l’édifice du pouvoir. Sa requête obstinée d’un procès contre le Dieu idéologisé de ses ‘amis’ est la condition préalable à la libération d’un autre Dieu.

Dans une communauté religieuse où Job est éclipsé et rendu muet, les réponses au nom de Dieu prolifèrent et les demandes à Dieu disparaissent. Et quand nous ne demandons plus rien de neuf et de difficile à Dieu, nous l’empêchons de parler à notre histoire et d’y grandir, nous le bridons dans des catégories abstraites incapables de comprendre les paroles et les cris des victimes.  Les prophètes sont indispensables parce qu’ils appellent l’homme à mourir et ressusciter pour se libérer de l’idolâtrie, et parce qu’ils contraignent Dieu à mourir et ressusciter à la hauteur de l’homme vrai.

Au terme de leurs discours à Job, les trois amis n’ont rien obtenu. Job est toujours plus convaincu de son innocence, et donc plus déterminé à un procès équitable où il espère être disculpé par un Dieu différent qu’il ne voit pas encore, mais qu’il pressent possible. Les théo-idéologies de ses interlocuteurs, au lieu de lui rendre proches les raisons de Dieu, n’ont fait que renforcer sa conviction d’être juste. Ces dialogues ont cependant eu le grand mérite de nous faire connaître Job et sa radicale révolution religieuse et anthropologique. Alors que cette grande souffrance et cet insondable malheur nous apparaissaient au début comme une haute haie nous cachant l’horizon des hommes et de Dieu, elles nous ont peu à peu ouvert sur eux de nouveaux horizons.

Un hymne à la sagesse fait charnière entre la première partie du livre et la seconde, poème peut-être préexistant et inséré par l’auteur du livre pour rompre le rythme de la narration et nous faire reprendre souffle. Cet interlude difficile à déchiffrer est riche de poésie, énième don de cet immense livre. "Il existe des mines où l'on extrait l'argent, des lieux où l'or est affiné", les mineurs fouillent "la pierre obscure jusqu’au tréfonds lugubre des grottes", et "suspendus loin de tout", perforent des galeries souterraines pour atteindre les précieux métaux. L’homme de la technique use de son intelligence pour dominer le monde : "Dans le roc, il ouvre un réseau de galeries ; tout ce qui est précieux, il le voit de ses yeux. Il va jusqu'à tarir les sources des cours d'eau pour amener au jour ce qui était caché" (28, 1-11).

Mais l’ambivalence de la technique nous est aussi montrée. En homme de ce temps-là, l’auteur du livre de Job s’émerveille de la capacité de l’homme à dominer la matière, les choses, le monde. Mais il décèle aussi dans la technique le risque d’abus, caché mais réel : "La terre, d’où sort le pain, fut ravagée en ses entrailles comme par un feu…  On s’est attaqué au silex, on a ravagé les montagnes à leurs racines" (28, 5.9). La technique a sa propre loi, et pousse les hommes à creuser des galeries toujours plus profondes, à retourner les montagnes en quête de métaux précieux, affamant sur leurs terres les paysans, aujourd’hui comme hier.

Si nous voulons comprendre le message biblique sur le rapport de l’homme à la nature, il nous faut donc lire à la fois le commandement de la Genèse de ‘soumettre la terre’ (1, 28) et cet hymne du livre de Job, qui valorise l’esprit de la technique, mais le distingue de l’esprit de la sagesse : "Mais la sagesse, où la trouver ? Où réside l’intelligence ?" (28, 12). La sagesse ne s’extrait pas des mines, ni ne se troque au marché des métaux précieux : "Ni l’or ni le verre n’atteignent son prix, on ne peut l’avoir pour un vase d’or fin…  La topaze éthiopienne est loin de la valoir. Face à l'or le plus pur, elle est incomparable" (28, 17-19).

Pour saisir la portée innovatrice de ces paroles, nous devons tenir compte de la culture d’alors, toute pétrie de théologie ‘économique’. Ce monde moyen-oriental  savait assurément que l’or, l’argent, le topaze ne pouvaient acheter la sagesse, mais tenait cependant ceux-ci  pour des signes sûrs de la bénédiction de Dieu, de ce même Dieu qui procure la sagesse. On pensait communément qu’on ne devient pas riche sans sagesse, et on considérait l’esprit de la richesse et celui de la sagesse comme miroir l’un de l’autre. Le sot ne devient pas riche, et s’il naît riche, manquer de sagesse le fait devenir pauvre. De même l’ingénieur et le scientifique privés de sagesse sont sans ‘intelligence’.

Cet hymne, au contraire, sépare la richesse (et la technique) de la sagesse, et, ce faisant, se place du côté de Job. Celui-ci nous a répété qu’il n’existe aucun rapport entre richesse et justice, puisque sur terre il est des justes riches et d’autres malheureux, et vice versa. L’or et l’argent d’une personne ne disent rien de sa droiture : Job était juste dans sa richesse et continue de l’être dans sa pauvreté et son malheur. Les biens passent et sont changeants, tandis que la justice et la sagesse perdurent, et sont un investissement beaucoup plus intelligent. Aux yeux du lecteur cet interlude confirme et approuve la ‘théologie’ de Job, et critique les théologies économiques rémunératrices des amis.

Cet hymne à la sagesse nous rappelle aussi la grande antique vérité que la sagesse est don, gratuité, charis, et non une marchandise qu’on acquiert avec l’or, les voyants ou les mages. En cela aussi Elohim-YHWH se distingue des idoles, qui livrent leur ‘sagesse’ à leurs adulateurs au prix de sacrifices et de leur soumission. Le Dieu biblique ne vend pas comme eux la sagesse, mais la donne librement – toute religion rémunératrice est de fait idolâtrique et commerciale. Job pouvait dire la même chose.

Mais l’auteur – ici réside le mystère et l’intérêt de ce chapitre – ajoute une chose qui complique le discours et nous oblige à creuser davantage. Il nous dit que la sagesse est inconnaissable et hors de portée de l’homme : "Dieu seul en discerne les voies, Lui seul en connaît le gisement" (28, 23).

En cela il s’éloigne de Job. Tout le livre de Job n’est pas à sa hauteur. Il faut sauver ses paroles de beaucoup d’autres paroles de son livre, dont celles d’Elohim qu’on écoutera sous peu.

Job nie toute loi qui lie justice et richesse, mais croit qu’il existe, qu’il doit exister, une logique de la sagesse. Le Dieu qu’il invoque et attend n’est pas un comptable qui attribue les biens aux hommes en fonction de leurs mérites ; il n’est pas un dieu banal comme toutes les idoles. Mais il réfute l’idée qu’il n’y a pas de lien entre justice et sagesse : le juste est sage, même s’il est pauvre et malheureux. L’histoire et la vie de tous en sont la preuve : on y voit que la sagesse ne coïncide pas avec l’intelligence technique, mais qu’il y a un vrai rapport entre droiture et sagesse. Nous connaissons des personnes sages et ignorantes, sages et pauvres, sages sans être très intelligentes.

L’homo faber et l’homo economicus peuvent être sots, et le sont souvent. Pas l’homme juste, car Dieu, s’il n’est pas une idole, doit donner la sagesse à qui suit la justice, même si, ce faisant (comme Job), il nie la justice d’Elohim.

Une personne fausse, inique, méchante, n’est jamais sage : loi tout aussi vraie que celle qui règle le mouvement du soleil et des astres. L’inique peut prétendre à tout bien, mais pas à la sagesse. Job connaît cette loi : il la voit dans le monde, mais elle est surtout gravée dans sa conscience. Nous aussi nous la connaissons et la reconnaissons au-dehors et au-dedans de nous (on peut donc toujours se convertir, même à notre dernier souffle). La mine de la sagesse existe bien. Elle se trouve en nous et pour la découvrir, il nous suffit de rester fidèles à la vérité qui nous habite. Tel est le principal message de Job.

Cet hymne à la sagesse contient donc une demi-vérité. Il nous rappelle que la sagesse est donnée, mais ne nous dit pas que nous recevons ce don en venant au monde et qu’il habite en nous. C’est là, en nous, que nous pouvons l’atteindre et découvrir qu’il est ce que nous avons de meilleur. Là nous pouvons rencontrer, découvrir, écouter, suivre la sagesse. Là nous pouvons reconnaître aussi la voix d’Elohim, une voix que nous ne pourrions reconnaître si elle n’était pas déjà en nous, peut-être voilée ou lésée. Si l’Adam est modelé à l’image d’Elohim, la sagesse divine est aussi sagesse humaine. Le ciel en nous n’est pas différent du ciel au-dessus de nous, et si en nous le ciel s’assombrit, celui d’en haut s’éteint ou se remplit d’idoles.

Le chant de Job est un grand hymne à la vérité de l’homme vivant, plus vraie que toutes ses nuits. Si Dieu est vrai, l’homme l’est aussi, et sa conscience droite ne le trompe pas. Si Dieu est sagesse, l’homme l’est aussi. Si nous séparons ces deux sagesses-vérités – nous l’avons souvent fait et continuons de le faire – les religions deviennent inutiles, les humanismes s’égarent, et Job achève son chant.

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Un homme nommé Job / 11 –  Fidèles à la vérité qui nous habite, cherchons le ciel qui est en nous

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 24/05/2015

logo GiobbeJob continue d’interroger le ciel. Grâce à lui, nous savons que l’homme a reçu le don de transformer l’injustice divine en justice humaine. Il y avait une fois, dans un pays lointain, un homme légendaire, juste et généreux, qui, dans la solitude et le désespoir, trouva le courage d’affronter Dieu. Et de l’obliger à regarder sa Création.

Elie Wiesel, Personnages bibliques à travers le Midrash  

L’histoire des religions et des peuples est le déploiement d’une véritable lutte entre qui emprisonne Dieu dans les idéologies et qui s’efforce de l’en libérer. Les prophètes appartiennent à la catégorie des libérateurs de Dieu, dans leur fonction essentiellement critique envers tous les pouvoirs qui, en tout temps, se laissent invinciblement tenter d’utiliser les religions et les idéologies pour renforcer leur domination. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-odd )

La mine de la sagesse

Un homme nommé Job / 11 –  Fidèles à la vérité qui nous habite, cherchons le ciel qui est en nous Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 24/05/2015 Job continue d’interroger le ciel. Grâce à lui, nous savons que l’homme a reçu le don de transformer l’injustice divine en justice humaine. Il y avait ...
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Un homme nommé Job / 10 – Accepter des logiques et des paroles fausses ne nous sauve pas

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 17/05/2015

logo Giobbe

"Au jour du jugement, c’est Dieu qui devra rendre compte de toute la souffrance du monde"

Ermanno Olmi, Centochiodi

Un jour un passereau se retrouva à l’intérieur d’une grande maison lumineuse, et il y vola libre et heureux. Mais quelqu’un ferma la fenêtre par où il était entré, et toutes les autres fenêtres de la maison. L’oisillon voyait son ciel à travers les vitres transparentes : il cherchait à le rejoindre mais ne faisait que cogner sa tête contre les fenêtres fermées. Il fit plusieurs tentatives et finit par remarquer de l’autre côté une porte qui donnait sur un couloir sombre, tout noir. Désespéré, il sentit que s’il existait un chemin de salut vers son ciel, il devait se trouver dans cette obscurité, au-delà de cette sombre porte. Il s’engouffra donc dans le noir des escaliers. Il heurta beaucoup d’angles, se blessa, se cassa la pointe d’une aile, mais continua de plonger, sans se laisser vaincre par la peur du noir et les douleurs. Enfin il entrevit, au bout de l’obscurité, une lumière, la lumière même d’où il était venu. [fulltext] =>

Nous sommes arrivés à la fin des dialogues entre Job et les ‘amis’. Prisonniers de leurs éthiques et de leurs théologies idéologisées, ils ne voient pas l’homme vrai qu’est Job, et continuent de blâmer et condamner son fantasme, parfaitement dessiné pour corroborer leurs théories. Job ne s’est pas contenté de réponses parfaites à leurs questions faciles et banales : il aurait voulu que quelqu’un prenne au sérieux, même sans y répondre, ses questions difficiles et désespérées.

Mais surtout il refuse d’accepter l’idée que Dieu, pour affirmer sa propre grandeur, puisse humilier et dénigrer les êtres humains, en niant la vérité de leur innocence, ce qu’au contraire ne cesse de soutenir Bildad : "Si même la lune perd sa brillance, et si les étoiles ne sont pas pures à ses yeux, que dire de l’homme, ce ver, du fils d’Adam, cette larve !" (25, 5-6). Et Job de répondre : "Ah ! comme tu sais bien venir en aide au faible, au secours de celui dont le bras est sans force ! Ah ! comme tu sais bien conseiller l'incapable et, sur tous les sujets, montrer ta compétence ! Mais pour qui sont ces discours ? De qui t'inspires-tu pour parler de la sorte ?" (26, 1-4). C’est comme si Job demandait à Bildad : à qui parlais-tu vraiment quand tu disais de me parler ?

Prisonniers de leurs idéologies, Bildad et ses amis avaient fini par perdre Job en chemin, et les dialogues étaient devenus des monologues : ils n’avaient plus croisé les yeux de la victime, et avaient donc parlé de Job, non à Job. Elle est forte cette question de Job à la fin des ‘dialogues’, parce qu’elle dénonce un grave délit commis par les amis, le plus grave, peut-être, de l’humanisme biblique : ils avaient trahi la parole. Comme les mages, les idolâtres et les diseurs de bonne aventure, ils avaient instrumentalisé les paroles en les vidant de leur vérité.

Toute personne qui parle et écrit, surtout en public, doit un jour se demander : ‘à qui réellement est-ce que je parle ? pour qui j’écris ? quelle place a la vérité dans ma parole ?  Ressentir l’urgence de l’honnêteté de la parole est une étape fondamentale dans la vie de qui parle et écrit, et donc, pratiquement, dans la vie de tous ; car elle est toujours forte la tentation d’instrumentaliser la parole et de la détacher de l’humble et difficile vérité, de faire taire l’unique véritable ‘esprit’ pour adorer les esprits faux et mortifères des idoles. Étape décisive, qui peut ne jamais se faire. Lire honnêtement Job est d’une grande aide pour la faire advenir. Quand on ne vit pas cette étape, quand face à la bifurcation on choisit de faire parler le mauvais esprit, la parole perd sa force créatrice et efficace, devient un exercice de style, simple technique pour réussir. Toute parole instrumentalisée et contournée perd sa valeur, ce qui fait sa nature profonde et véritable : la gratuité, enjeu du pari entre Elohim et Satan qui ouvre le livre et le traverse entièrement.

C’est dans cette ‘économie’ de la parole et des paroles que se comprend, dans toute sa force scandaleuse, le serment de Job, un des chefs d’œuvres du livre : "Job reprit son plaidoyer en disant : Voici ce que je jure par le Dieu vivant, qui me refuse justice, par le Dieu très-grand qui me remplit d'amertume : Tant que j'aurai en moi un petit peu de vie, que le souffle de Dieu sera dans mes narines, jamais mes lèvres ne diront ce qui est faux, ni ma langue ne trahira la vérité ! Loin de moi la pensée de vous donner raison ! Jamais, jusqu'à ma mort, je ne renoncerai à me dire innocent... En conscience, je n'ai pas honte de ma vie. C'est à mon ennemi que le sort des méchants doit être réservé ! A ceux qui m'attaquent, le sort des criminels !" (27, 1-7). Job peut maintenant prêter serment parce qu’il est toujours resté vrai dans ses paroles. Seul qui est fidèle aux paroles peut tout demander.

Ce type de serment était la forme la plus solennelle de profession d’innocence ; elle n’était prononcée qu’en cas de particulière gravité. Quand l’accusé prononçait ce serment, on interrompait le procès et l’inculpé s’en remettait directement au jugement de Dieu (Deutéronome, 17, 17-19), conscient d’affronter la peine de mort si Dieu réfutait son innocence. La folie merveilleuse et désespérée de Job tient dans ce paradoxe qu’il pousse jusqu’au bout de ses conséquences : il prête son suprême serment au nom de Dieu, mais l’appelle "le Dieu vivant, qui me refuse justice, le Dieu très-grand qui me remplit d’amertume". Il demande qu’on le libère de tous les avocats, qu’on l’exempte de tout jugement humain, pour obtenir enfin justice du Dieu qui la lui refuse, parce que dans ce procès grandiose Elohim n’est pas le juge impartial de l’ultime recours, mais son adversaire : " Qu’il en soit de mon ennemi comme du méchant, de mon adversaire comme du malfaiteur !" (27, 7).

On ne peut sortir de ce paradoxe. Si l’on devait en sortir, on perdrait ce qu’il y a dans le livre de Job de plus révolutionnaire et libérateur. Si Job est le visage et la voix des victimes innocentes de l’histoire, et si Dieu est le Dieu juste et bon de l’Alliance, le paradoxe de Job est sans solution, et toute théologie amie de l’homme et de la vérité doit trouver sa place dans ce paradoxe, sans ces raccourcis dont la terre est malheureusement pleine.

Dans son drame Job nous dit donc une chose très importante : la première gratuité est celle de la parole.  Pour interrompre ou alléger ses souffrances, il aurait pu instrumentaliser et trahir la vérité de sa parole et, suivant les conseils de ses amis, demander une fausse miséricorde. S’il avait fait cela, Satan aurait gagné son pari.

La gratuité de la vie, du cœur, de l’âme, est toujours gratuité de la parole. Perdre contact avec la vérité de la parole et des paroles, c’est perdre contact avec celle de la vie. Tout alors devient instrumental, utilitaire, ‘économique’, comme les théologies de ses amis, fausses parce que non gratuites. Alors nul écho ne répond quand nous appelons par son nom une chose, les autres, nous-mêmes. 

Un horizon riche de sens s’ouvre à ce point. Nous comprenons par exemple pourquoi beaucoup ont perdu la vie quand, sous la torture (comme Job et plus que lui), ils ont refusé de prononcer des paroles (renier sa foi, trahir un ami) qui les auraient sauvés, mais auraient trahi quelque chose de plus grand, de plus sacré : leur propre vérité dans les vérités contenues dans les paroles. YWHW-Elohim est une voix, rien qu’une voix qu’on ne voit pas, et toute sa force est dans sa parole. Alors la vérité de la foi et de la vie se joue entièrement sur la vérité des paroles de Dieu et des paroles humaines. L’Alliance est une rencontre de paroles humaines et divines, et si elle veut être vraie, et pas la magie d’un rite idolâtre, elle nécessite une radicale gratuité de la part des deux partenaires du pacte.

Notre temps a un mal fou à comprendre la Bible et les autres grandes paroles du monde, parce que nous avons perdu contact avec la vérité et la gratuité de nos paroles humaines. Le monde bavarde et mêle la parole biblique à l’infinie nullité des paroles trahies. Et nous ne comprenons plus les poètes, qui, sur la terre des paroles vides et intéressées, deviennent de nouveaux Job, torturés par les ‘amis’ et par l’idéologie ‘économique’ dominante : "On applaudit en les voyant dans cet état, du lieu où ils étaient, on siffle de plaisir" (27, 23). Où règne le mépris de la vérité des paroles, prospèrent les faux prophètes, qui s’emparent des paroles pour de l’argent et les font mourir.

Job peut prononcer ce serment solennel parce qu’il croit en deux choses : il croît en un Dieu vivant qui un jour révèlera de lui-même ce qui encore n’apparaît pas ; et il croit à la voix qui en lui se fait entendre, à sa ruah, ce souffle de l’esprit qui lui dit son innocence. Sa conscience sincère et droite pressent la révélation d’un Dieu qu’encore il ne voit pas : c’est là que Job attend le messie, et nous avec lui. La terre promise peut commencer dans son cœur, qui "n’a pas honte" de lui. Il n’est pas de nuit où l’on meurt vraiment tant que notre cœur n’a pas honte de nous.

Nous avons été capables de croire encore à la possibilité d’un "Dieu vivant" après les camps de concentration, après la mort des fils et des enfants, parce que des personnes comme Job ont continué sur terre à chercher d’autres visages de Dieu : elles sentaient, ancrées à la vérité de leur conscience, que le "Dieu du pas encore" y habitait. Mais seule la fidélité extrême à la gratuité de nos paroles peut nous rendre capables de voir un ciel plus haut, plus vrai.

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Un homme nommé Job / 10 – Accepter des logiques et des paroles fausses ne nous sauve pas

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 17/05/2015

logo Giobbe

"Au jour du jugement, c’est Dieu qui devra rendre compte de toute la souffrance du monde"

Ermanno Olmi, Centochiodi

Un jour un passereau se retrouva à l’intérieur d’une grande maison lumineuse, et il y vola libre et heureux. Mais quelqu’un ferma la fenêtre par où il était entré, et toutes les autres fenêtres de la maison. L’oisillon voyait son ciel à travers les vitres transparentes : il cherchait à le rejoindre mais ne faisait que cogner sa tête contre les fenêtres fermées. Il fit plusieurs tentatives et finit par remarquer de l’autre côté une porte qui donnait sur un couloir sombre, tout noir. Désespéré, il sentit que s’il existait un chemin de salut vers son ciel, il devait se trouver dans cette obscurité, au-delà de cette sombre porte. Il s’engouffra donc dans le noir des escaliers. Il heurta beaucoup d’angles, se blessa, se cassa la pointe d’une aile, mais continua de plonger, sans se laisser vaincre par la peur du noir et les douleurs. Enfin il entrevit, au bout de l’obscurité, une lumière, la lumière même d’où il était venu. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-even )

Fidèles au Dieu du pas encore

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Un homme nommé Job / 9 – Voir avec les yeux des pauvres, au-delà de la nuit de l’homme et de Dieu

De Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 10/05/2015

logo Giobbe"Je suis un homme blessé. / Et je voudrais m’en aller / pour enfin rejoindre, / Pitié, là où l’on écoute / l’homme seul avec lui-même. / […] montre-nous un brin de justice. / Quelle est ta loi ? / Foudroie mes pauvres émotions, / libère-moi de l’inquiétude. / Je suis fatigué d’hurler sans voix."

Giuseppe Ungaretti  La Pietà

Chaque génération produit son rebut entre les demandes nouvelles et difficiles des victimes et les réponses insuffisantes des amis de Job. Parfois ce rebut est devenu une meurtrière par où on a cherché à voir un horizon humain plus vaste et un ciel plus haut. Beaucoup plus souvent on nie et on supprime l’espace du rebut en effaçant les suppliques douloureuses et fécondes des pauvres. Pour espérer rencontrer ‘Job et ses frères’, il nous faudrait simplement apprendre à habiter, par notre écoute silencieuse, ce vide inévitable. Une nouvelle solidarité avec notre temps pourrait y fleurir ; peut-être, enfin, la fraternité.

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Dans sa seconde attaque contre Job qui s’obstine à se déclarer innocent et à contester la théologie ‘rémunératrice’ de ses amis, Elifaz de Tema abandonne son raisonnement abstrait (tu souffres parce que tu es pécheur et méchant) et en vient à l’accuser de crimes graves, concrets, véridiques, en lui attribuant les pires délits : "Tu as exigé de tes frères des gages injustifiés, dépouillé de leurs vêtements ceux qui sont nus ; omis de désaltérer l’homme assoiffé et refusé le pain à l’affamé ; … renvoyé les veuves les mains vides et broyé le bras des orphelins" (22, 6-9). Elifaz en rajoute et accuse Job d’avoir commis ces crimes "pour rien" (22, 6), sans aucune raison, ‘gratuitement’. Une gratuité contraire à la vraie gratuité de Job, objet du défi de Satan contre Dieu ("Est-ce pour rien que Job craint Dieu ?" 1, 9). La réalité s’en trouve toute renversée : Job, le juste "pour rien", par pure gratuité, est maintenant accusé d’être un personnage mauvais, capable de gratuite méchanceté, accusation pire que celle de Satan – qui ne mettait en doute que la gratuité de Job, pas sa justice.

Toujours inquisiteur, Elifaz en vient à évoquer la perversité de la condition humaine avant le déluge (22, 14-20). Job comme Lamek. Job comme Caïn.

Elifaz sait que Job  n’a jamais commis ces délits. Nous savons (prologue du livre) que Job était un homme juste et honnête, l’homme le plus droit sur la face de la terre ("sur la face de la terre il n’y avait personne comme lui" : 2, 3). Comme Noé, qui sauva du déluge l’humanité. Elifaz et les autres amis savaient tout cela. Pourtant ils retournent complètement la réalité. Pourquoi ?

On se trouve ici devant une description parfaite de ce qu’est une idéologie. Quand une personne, une communauté, une organisation, un courant de pensée sont pris par une idéologie (qui est toujours, ne l’oublions pas, une idolâtrie car on y adore des fétiches faits de ses propres mains), ils finissent non seulement par nier l’évidence, mais aussi, presque toujours, à tout inventer : faits, histoires, paroles. Au début, l’inventeur de cette réalité virtuelle réussit encore à distinguer les faits inventés des faits réels ; mais assez vite les inventeurs eux-mêmes commencent à croire à la réalité qu’ils ont créée.

L’idéologie tire sa force de cette capacité d’inventer une réalité différente puis de croire à ses propres inventions. Une force qui rend son discours irréfutable et son dialogue invincible - Job nous le prouve. On construit artificiellement des histoires, des héros, des victimes, qui un jour sortent de la fiction et deviennent réels pour qui les a produits. Alors la personne idéologisée vit réellement dans un autre monde, voit d’autres choses, habite une réalité parallèle. L’histoire continue de nous montrer des monstres idéologiques qui finissent par dévorer les personnes réelles et aussi, presque toujours, leurs auteurs mêmes. Toute  idéologie se présente comme une sortie progressive de la réalité ambivalente de la vraie vie, celle de tous, pour entrer dans une autre, différente, plus simple, où toutes les questions trouvent des réponses parfaites.

Job est au contraire l’anti-idéologue, qui s’efforce jusqu’au bout de rester ancré à sa propre vérité et à celle de la terre, sans tomber à son tour dans l’idéologie que ses amis, systématiquement et avec acharnement, lui proposent pour sortir du trou noir où il est tombé.

Ce qui est terrible et admirable dans les dialogues de Job, c’est son obstination à ne pas même accepter la miséricorde de Dieu que ses amis lui présentent systématiquement, ("Si tu reviens au Tout-Puissant, tu seras réhabilité" : 22, 23), parce qu’il ressent que ce n’est pas Dieu qu’il rencontrerait, mais une idéologie, une idole. La miséricorde aussi a besoin de vérité. On n’est pas miséricordieux quand on pardonne une faute inexistante ou inventée exprès pour pousser l’autre à demander pardon. Accepter cette miséricorde, ce serait entrer dans l’idéologie de son auteur. Offrir un miséricordieux pardon de fautes inventées, cela cache souvent subtilement une emprise des puissants sur les pauvres et les victimes ; l’histoire nous en offre un triste éventail.

Job ne demande ni ne veut cette miséricorde, au nom aussi de qui, avant et après lui, a du le faire. Combien de pauvres, de femmes, ont du implorer le pardon pour des délits ou des péchés jamais commis, endosser des fautes commises par d’autres qui devaient rester couverts et ‘innocents’. Job continue de crier pour eux aussi, pour que leur mémoire reste vive, pour faire écho à leurs hurlements étouffés. Ne faisons pas taire les cris des innocents par de la fausse miséricorde : le plus grand acte de miséricorde qui nous est demandé est de les laisser continuer de crier, jusqu’à ce que quelqu’un, ou Dieu, les écoute et les accueille. Il n’est pas de pire fausse miséricorde que celle qui empêche le pauvre de hurler en le convaincant d’être coupable. S’il est vrai qu’il n’y a pas de justice sans miséricorde, Job nous dit qu’il ne peut y avoir de vraie miséricorde sans justice. Tout don instrumentalisé devient poison, et empoisonne les relations.

Job ne veut pas négocier sa peine, il veut sa pleine absolution, et la condamnation de Dieu pour son comportement injuste envers lui-même et les nombreux innocents du monde. Chapitre après chapitre il continue de ne demander qu’une chose : pouvoir rencontrer Dieu, d’égal à égal, et se faire expliquer les injustices sur terre : "Oh ! Si je savais comment l’atteindre, parvenir jusqu’à son trône" (23, 3).

Job – c’est là la grandeur renversante de ce livre – cherche un visage de Dieu qui accepte d’admettre ses propres fautes, qui soit prêt à perdre au tribunal contre la justice de l’homme. Mais un tel Dieu existe-t-il ? Quel Elohim est prêt à accepter une confrontation avec les hommes, et à se soumettre au verdict de culpabilité ? "J’ouvrirais un procès devant lui, ma bouche serait pleine de griefs" (23, 4).

Mais Job ne trouve pas le trône de Dieu, ne voit pas Elohim sur la terre, ni ne l’entrevoit à l’horizon : "Si je vais vers l’orient, il est absent, vers l’occident, je ne l’aperçois pas. Quand il semble être au nord, je ne le saisis pas, s’il se tourne au midi, je ne le vois pas" (23, 8-9). Sa nuit est une parfaite nuit de Dieu. Il continue de le chercher, au-delà des bavardages de ses amis. Et l’honnêteté de sa nuit prépare une aurore pour l’homme. Les cieux trop lumineux, clairs et limpides finissent par assombrir les terres humbles, caillouteuses et arides de pauvres.

Survient alors un coup de théâtre. Job emploie les mêmes images de péché et de méchanceté qu’Elifaz lui avaient attribuées (pain et eau refusés, veuves, orphelins, gages, vêtements…) en dressant pour nous le cadre, criant de vérité, des victimes des crimes des puissants : "Tels les onagres du désert, ils sortent à leur travail, cherchant dès l’aube une proie, et le soir du pain pour leurs petits. Ils moissonnent dans le champ d’un vaurien, ils pillent la vigne d’un méchant… Affamés ils portent les gerbes. Entre deux murettes ils pressent l’huile ; altérés ils foulent les cuves…  Ils passent la nuit nus, sans vêtements, sans couverture contre le froid" 24, 5-11).

Les pauvres travaillent comme des ânes sauvages (onagres) : ils portent sur leur dos des gerbes de blé pour leurs patrons en mourant eux-mêmes de faim, ils pressent les olives et le raisin, mais la soif les brûle. Le pauvre est forcé de donner son manteau en gage à ses créanciers ; au lieu de le lui rendre pour s’en couvrir la nuit, on le laisse aller nu le long des routes (Exode, 22, 26). Trop de gens sont devenus athées  à cause de l’insuffisance des réponses à leurs questions sur l’injustice et le mal dans le monde.

Elifaz et sa téo-idéologie avaient inventé un Job puissant et cruel qui perpétrait brimades et délits envers des pauvres imaginaires. Job, vrai pauvre innocent, regarde le même monde qu’Elifaz, mais le voit autrement. Il se met, solidaire, du côté des victimes, et dit : "Les mourants gémissent dans la ville ; les blessés, sans souffle, crient à l’aide. Et Dieu reste sourd à la prière !" (24, 12). Vu du tas de fumier de Job, le monde nous apparaît comme une grande injustice, systématique et généralisée. Les pauvres continuent de dormir la nuit sans manteau, sous les rideaux métalliques abaissés des vitrines de la haute couture.

Job meurt de faim, et près de lui ses amis philosophent sur la nourriture. La tentation revient toujours plus forte de nous construire de nouvelles idéologies, sans cesse plus sophistiquées, pour faire taire les pauvres, ne pas les voir, nous convaincre et les convaincre qu’ils sont seulement coupables et méritent leur triste sort. Job continue sa lutte, d’une génération à l’autre. Et attend des réponses solidaires et vraies, sans fausse miséricorde. Des hommes, de nous, de Dieu.

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Un homme nommé Job / 9 – Voir avec les yeux des pauvres, au-delà de la nuit de l’homme et de Dieu

De Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 10/05/2015

logo Giobbe"Je suis un homme blessé. / Et je voudrais m’en aller / pour enfin rejoindre, / Pitié, là où l’on écoute / l’homme seul avec lui-même. / […] montre-nous un brin de justice. / Quelle est ta loi ? / Foudroie mes pauvres émotions, / libère-moi de l’inquiétude. / Je suis fatigué d’hurler sans voix."

Giuseppe Ungaretti  La Pietà

Chaque génération produit son rebut entre les demandes nouvelles et difficiles des victimes et les réponses insuffisantes des amis de Job. Parfois ce rebut est devenu une meurtrière par où on a cherché à voir un horizon humain plus vaste et un ciel plus haut. Beaucoup plus souvent on nie et on supprime l’espace du rebut en effaçant les suppliques douloureuses et fécondes des pauvres. Pour espérer rencontrer ‘Job et ses frères’, il nous faudrait simplement apprendre à habiter, par notre écoute silencieuse, ce vide inévitable. Une nouvelle solidarité avec notre temps pourrait y fleurir ; peut-être, enfin, la fraternité.

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Le venin de la fausse miséricorde

Un homme nommé Job / 9 – Voir avec les yeux des pauvres, au-delà de la nuit de l’homme et de Dieu De Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 10/05/2015 "Je suis un homme blessé. / Et je voudrais m’en aller / pour enfin rejoindre, / Pitié, là où l’on écoute / l’homme seul avec lui-même. / […] montre-nous...
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Un homme nommé Job / 8 – C’est dans les suppliques jeunes et pauvres qu’est la vérité de la vie

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 03/05/2015

logo Giobbe"… Et je n’attends personne : /entre quatre murs / abrutis d’espace / plus qu’un désert / je n’attends personne : / mais il viendra sûrement ;/ il viendra, si je résiste, / il viendra en cachette,/ à l’improviste,/ sans m’avertir:/ il viendra pardonner  / tout ce qui fait mourir, / il viendra m’assurer / de son et mon trésor, / il viendra soulager / mes peines et les siennes, / il viendra, peut-être vient déjà son chuchotement."

Clemente Rebora, Canti Anonimi

Dans les personnes, les communautés, les civilisations, les religions, un cycle fait s’alterner foi et idéologie, religion et idolâtrie. On est d’abord séduit par une voix qui nous appelle : on croit, on part. Mais après avoir parcouru un bout du chemin, très long parfois, on se retrouve presque toujours dans une idéologie, si ce n’est une idolâtrie. La probabilité en est forte, inévitable peut-être, parce que l’idéologie et l’idolâtrie sont des produits naturels de la foi et des religions. La lecture honnête et nue du livre de Job – situé sciemment au centre d’une Bible dont l’idolâtrie est le principal ennemi – est un traitement efficace pour ces graves maladies des religions : elle contraint à l’abandon des réponses que nous avons mûries et conquises avec peine pendant des années, pour revenir, humbles et vrais, aux premières suppliques de notre jeunesse. [fulltext] =>

Nous sommes arrivés au centre du livre de Job, au beau milieu de son gué nocturne (21ème chapitre sur 42). En progressant dans la lecture, nous avons toujours plus conscience que les catégories culturelles essentielles nous manquent pour comprendre vraiment la proposition radicale et stupéfiante de l’auteur de ce grand livre. Nous risquons de banaliser les dialogues entre Job et ses "amis", car l’écart nous paraît trop grand entre la grandeur des paroles de Job et ce que disent ses interlocuteurs.

Alors, ne perdons pas de vue que les positions des "amis" exprimaient la meilleure théologie du moment, comme le savaient fort bien l’auteur du livre et ses premiers lecteurs-auditeurs. Contrairement à ce que nous faisons aujourd’hui la plupart du temps, l’auditeur du poème de Job commençait par s’identifier aux théologies des amis, non à la victime. L’hérétique était l’homme assis sur le tas de fumier. Le grand but révolutionnaire du livre était donc d’amener les auditeurs à abandonner leur théologie et leur religion, ou au moins les mettre en crise, pour les conduire à une nouvelle idée de Dieu et de la justice.

Pour nous, lecteurs d’aujourd’hui qui connaissons la Bible dans son entier et la lisons du point de vue des Évangiles, de Paul, de l’Humanisme et de la Modernité, il est quasiment impossible de ne pas perdre la dramatique tension du récit. Pour entrer au cœur du livre – c’est le moment maintenant – il nous faut tenter un exercice difficile mais décisif : ne pas nous identifier trop vite avec Job, ressentir profondément dans notre chair l’insuffisance de nos réponses aux suppliques qui nous parviennent aujourd’hui des Job des périphéries de notre histoire. On ne doit aborder Job qu’après avoir compris que nos réponses sont radicalement inadéquates et continuent de "tourmenter" les victimes de notre temps. Nous ne pouvons comprendre les suppliques de Job qu’en traversant la pauvreté de nos réponses. C’est nous qui sommes les amis de Job. Ici et maintenant. Et Job est toujours loin, oublié sur les tas de fumier que nous continuons de produire.

Arrivés à la moitié du livre, la thèse des trois interlocuteurs de Job devient de plus en plus essentielle et synthétique. Sofar lui dit : "Ne sais-tu pas que de tout temps, depuis que l’homme fut mis sur terre, l’allégresse du méchant est brève et la joie de l’impie ne dure qu’un instant ?" (Job 20, 4-5). Il lui rappelle la seule explication possible de sa condition de malheureux : la logique rémunératrice.  Si le malheur t’a frappé, c’est que tu es coupable, que tu es méchant. Job n’a jamais laissé prise à cette explication, contraire à sa vérité d’homme juste et malheureux.

Au cœur de son dialogue avec Dieu et les hommes, Job prend de front cette théologie "économique" de son temps. Pour la démonter, il en appelle à l’histoire, aux "voyageurs" de la terre, vrais experts de la vie et des hommes. Mais il invoque d’abord l’écoute : "Écoutez, écoutez mes paroles, accordez-moi cette consolation" (Job, 21,2). Il se sent proche du pic de son procès à Dieu et à la religion, et demande donc à ses interlocuteurs de se mettre "la main sur la bouche" (21, 5), pour se préparer à la stupeur et au scandale que ses paroles radicales vont provoquer en eux – il n’est pas à exclure que le rédacteur de ces chapitres centraux ait coupé et censuré quelques passages du livre, où les suppliques de Job devaient être plus extrêmes et scandaleuses encore.

Mais Sofar, Elifaz et Bildad furent incapables de l’écouter, ne surent pas se taire, continuèrent à parler et accuser. L’écoute véritable, profonde, est amour, agapè, requiert bienveillance, confiance, amitié, ce que n’ont pas les trois "amis". Job le sait, mais demande tout de même l’écoute parce que ses vrais auditeurs, c’est nous. C’est nous qu’il invite à nous taire, à écouter, à nous mettre la main sur la bouche. Le premier signe d’idéologisation de la foi est son incapacité à se taire devant la souffrance du monde.

Ainsi, après avoir mis en cause la terre et avoir confié, en l’inscrivant dans le roc, son cri infini à la pietas des futures générations, Job, pour réfuter ses "amis", appelle en justice l’évidence historique, la vie réelle des gens, pas celle qu’imaginent ceux qui raisonnent sur Dieu sans connaître ni écouter les hommes : "Pourquoi n’interrogez-vous pas les voyageurs et méconnaissez-vous leurs témoignages ?" (21, 29). Job trouve sur la terre des hommes les preuves que les théologies de son temps sont fausses. "Pourquoi les méchants restent-ils en vie, vieillissent-ils et accroissent-ils leur puissance ? … La paix de leurs maisons n’a rien à craindre, les rigueurs de Dieu les épargnent. Leur taureau féconde à coup sûr, leur vache met bas sans avorter… Leur vie s’achève dans le bonheur, ils descendent en paix au schéol" (21, 7-13). C’est la réalité de la vie qui prouve la fausseté des théorèmes de ses amis. Il faut la connaître, la voir, et apprendre une religion et une théologie plus vraies. Hier comme aujourd’hui et toujours.

Il est facile de se mettre du côté de Job et de démontrer, fort de son évidence et de la nôtre, que le monde ne répond pas à la trop simple logique rémunératrice. Il y a trop d’iniques richesses accumulées par de mauvaises gens qui les laissent à leur progéniture, et plus encore de justes ruinés par le malheur.  Mais sommes-nous sûrs que Job ait raison ? Est-il vrai qu’il n’y a aucun rapport entre notre conduite morale et notre bonheur et celui de nos enfants ? En fait, ce n’est pas sur ce plan que Job veut conduire son dialogue avec nous. Il sait bien que si nous interrogeons sérieusement les voyageurs et les observateurs du monde, ils citeront des méchants heureux, des méchants malheureux, des justes heureux et des justes malheureux. Job ne cherche pas à soutenir la thèse contraire à celle de ses "amis", parce qu’il la sait tout aussi fragile. Son argumentation est autre et bien plus intéressante : punir les méchants et récompenser les justes sur cette terre n’est sûrement pas le "métier" de Dieu. Ce serait un dieu trop banal, une simple idole, faite à notre image et ressemblance.

Le monde n’est pas laissé au hasard, la Providence est sûrement à l’œuvre. Job ne le nie pas, mais il nous invite à chercher des registres différents de ceux de la théologie de son temps (et du notre).

Job cherche un autre Dieu, et le cherche aussi pour le défendre face à la vérité de l’histoire. Il nous rappelle que croire en Dieu et l’aimer ne doit pas conduire à des théologies en désaccord avec l’évidence historique. Trop de récits sur Dieu, pourtant, ne font que l’associer à notre banalité, en dépit du démenti que leur oppose la vérité des demandes de Job et des récits des voyageurs. Job demande seulement plus de silence, plus de mains sur la bouche, pour qu’on sache s’étonner de la vérité des événements de l’histoire, en accord avec la vérité de Dieu. Il en appelle à une religion qui sache rendre compte des joies et des souffrances réelles des gens réels. Le reste n’est que vanité et  fausse consolation : "Que signifient donc vos vaines consolations ? Et quelle tromperie que vos réponses !" (21, 34).

Savoir nous taire et retenir nos réponses sûres pour écouter les cris des Job de notre temps a toujours été important. Mais il est essentiel de le faire dans les grandes transitions, quand les réponses officielles des religions, des cultures et des philosophies ne peuvent plus répondre aux attentes plus difficiles des justes et des victimes innocentes, quand les explications conventionnelles de la souffrance, de la mort, de la foi, ne satisfont plus Job. C’est alors surtout qu’il faut se mettre profondément à l’écoute de l’homme d’Uz, et se laisser convertir. Sinon, les religions se figent en idéologies, et les idoles se substituent à la foi.

Aujourd’hui encore Job ne comprend plus nos réponses : elles ne le consolent pas, elles le tourmentent. Il nous invite au moins à nous taire, à l’écouter. Trop de cris appellent un autre Dieu en s’adressant au ciel, que nous faisons taire par nos réponses trop simples, peu solidaires, loin des gens, incapables d’écouter les voyageurs du temps présent. La Bible a été capable d’écouter le hurlement scandaleux et dérangeant de Job, l’a inscrit pour toujours dans le roc, lui a donné la plus grande dignité. Allons-nous être capables de faire de même avec les cris et les suppliques qui mettent en crise nos théologies ? Saurons-nous composer de nouveaux poèmes en écoutant la voix de nos victimes ? Ou continuerons-nous à nous masquer, comme les "amis" de Job, face au drame du mal de vivre ?

Les nouveaux printemps des religions et des civilisations commencent quand les amis de Job apprennent à se taire, abandonnent leurs vieilles certitudes inappropriées, et se mettent à écouter les cris des victimes, des marginaux, des pauvres, assis sur les mêmes tas de fumier.

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Un homme nommé Job / 8 – C’est dans les suppliques jeunes et pauvres qu’est la vérité de la vie

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 03/05/2015

logo Giobbe"… Et je n’attends personne : /entre quatre murs / abrutis d’espace / plus qu’un désert / je n’attends personne : / mais il viendra sûrement ;/ il viendra, si je résiste, / il viendra en cachette,/ à l’improviste,/ sans m’avertir:/ il viendra pardonner  / tout ce qui fait mourir, / il viendra m’assurer / de son et mon trésor, / il viendra soulager / mes peines et les siennes, / il viendra, peut-être vient déjà son chuchotement."

Clemente Rebora, Canti Anonimi

Dans les personnes, les communautés, les civilisations, les religions, un cycle fait s’alterner foi et idéologie, religion et idolâtrie. On est d’abord séduit par une voix qui nous appelle : on croit, on part. Mais après avoir parcouru un bout du chemin, très long parfois, on se retrouve presque toujours dans une idéologie, si ce n’est une idolâtrie. La probabilité en est forte, inévitable peut-être, parce que l’idéologie et l’idolâtrie sont des produits naturels de la foi et des religions. La lecture honnête et nue du livre de Job – situé sciemment au centre d’une Bible dont l’idolâtrie est le principal ennemi – est un traitement efficace pour ces graves maladies des religions : elle contraint à l’abandon des réponses que nous avons mûries et conquises avec peine pendant des années, pour revenir, humbles et vrais, aux premières suppliques de notre jeunesse. [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-even )

La révolution de l’écoute

Un homme nommé Job / 8 – C’est dans les suppliques jeunes et pauvres qu’est la vérité de la vie Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 03/05/2015 "… Et je n’attends personne : /entre quatre murs / abrutis d’espace / plus qu’un désert / je n’attends personne : / mais il viendra sûrement ;/ il viendr...
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Un homme nommé Job / 7 – Celui qui rachète le pauvre sert l’homme et le Dieu des vivants

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 26/04/2015

logo Giobbe« Mon dernier souffle sera pour toi, toute ma vie est dans ton nom, maman. Je suis serein et innocent. Sois fière du motif de ma mort et dis que ton enfant n’a pas tremblé et qu’il est mort pour la liberté ; et maintenant je pardonne à tous ; ciao maman, papa, Stefano, Alberto, ciao à tout le monde, tout est prêt, je suis serein. Adieu maman, maman, maman, maman… »

(Lettres des condamnés à mort de la résistance, Domenico, 29 ans)

Souvent la foi renaît de fraternités solidaires, capables d’accompagner jusqu’au bout de ses ténèbres l’homme qui crie vers un ciel qui lui semble vide et hostile. Mais autour des désespérés assis sur les tas de fumier du monde, ils sont tout aussi fréquents les bavardages et les persécutions des ‘amis’ non solidaires, fermés à la vérité qui souvent se cache derrière les silences de la foi et les ‘litiges’ avec Dieu, et qui veulent remplir de leurs paroles creuses le vide du ciel des autres. C’est ainsi que la lamentation de Job continue de s’entendre sur notre terre : "Jusqu’à quand allez-vous me tourmenter et m’écraser par vos discours ?" (Job 19,2). [fulltext] =>

Dans sa seconde accusation, Bilbad de Shuah répète, avec plus d’agressivité, ses thèses aussi parfaites que les théorèmes sans chair ni sang. Toi, Job, tu ne peux pas changer l’ordre du monde. Le juste vit récompensé ; le méchant meurt dans la souffrance : "Faut-il qu’à cause de toi la terre devienne déserte et que le roc émigre de son lieu ?". Il décrit en détail le sort de l’impie et du pécheur, qui coïncide exactement avec la situation dans laquelle se trouve Job. Il n’y a qu’une seule différence, fondamentale : Job est un homme juste.

Elle revient alors, toujours plus forte et convaincue, la grande, folle et admirable hypothèse de Job : "Sachez donc que c’est Dieu qui a violé mon droit et m’a enveloppé dans son filet" (19, 6). Job aussi, comme Bildad, croit dans l’ordre divin des choses, et pour éviter l’athéisme, il prend tellement Dieu au sérieux qu’il lui impute son malheur. Et il crie, appelle à l’aide : "Même si je crie à la violence, pas de réponse, si je fais appel, pas de justice !" (19, 7).

"Violence" (hamas) était un cri, un hurlement, de spéciale valeur juridique. Quand une personne en extrême difficulté criait ‘justice !’, elle mettait les autres dans l’obligation de la secourir – comme le SOS d’un bateau en détresse oblige qui l’intercepte à le secourir. Mais Dieu continue de se taire face au SOS désespéré de Job, parce qu’il est lui-même l’auteur de la violence. Dieu – pour Job – a entendu le cri mais ne fait rien.

Contrairement à de nombreuses lamentations dans et hors de la Bible, le Dieu de Job n’est pas sourd, il est plutôt son ennemi : "Enflammé de colère contre moi, il me considère comme son adversaire" (19, 11). Alors, vers qui crier ? Il espère encore en ses amis : "Pitié, pitié pour moi, ô vous mes amis ! Car c’est la main de Dieu qui m’a frappé" (19, 21). Resté seul au monde, Job avait prié la terre (16, 18), et maintenant il supplie ses amis. Sa prière est toute terrestre, et sous un ciel fermé et hostile, elle devient un ultime appel à la solidarité des hommes. Une supplication semblable à celle que le condamné adresse à ses geôliers, en leur rappelant leur commune condition humaine. Le dernier recours, c’est l’appel à la fraternité.

Beaucoup de solidarités humaines sont nées et renaissent de prières horizontales, d’appels à l’aide désespérés à des compagnons, alors que le ciel semble fermé, et que les ‘avocats’ de Dieu sont parvenus à nous convaincre que leurs réponses lâches et conformistes viennent réellement d’Elohim. Mais même s’il semble qu’il n’y en ait pas d’autre, le cri du pauvre vers un semblable reste toujours second, après que son premier cri, poussé vers le ciel, soit resté sans réponse.

Cet accueil fraternel des cris de douleur ne peut pas être ennemi de Dieu, même quand ils sont incapables de prononcer son nom et de reconnaître sa voix. L’ennemi de la prière n’est pas le semblable qui est solidaire, mais le narcisse qui parle avec lui-même, avec les idoles, les marchandises. Implorer l’aide d’un ami peut être une belle prière, et la solidarité qui naît du silence de Dieu peut être plus vraie et spirituelle que les prières au dieu banal des souteneurs de Dieu, et donc des ennemis de Job.

Mais le cri d’appel de Job à la pitié humaine reste sans réponse. Même ses amis se taisent. Pourtant son extrême recherche de justice continue, et nous ouvre un autre ciel : "Ah ! Si seulement on écrivait ma protestation, si on la gravait en une inscription !" (19, 23). Job veut que ses paroles soit gravées "avec un burin de fer et du plomb" (19, 24), qu’elles soient incisées dans le roc, qu’elles lui survivent. Il veut laisser son testament comme ultime message – il y a dans tout son drame un immense amour pour l’humanité. La Bible a été ce roc. Tel est le mystère de la parole : pendant que Job prononçait son cri – "Ah ! Si on écrivait mes paroles !" – ses paroles s’écrivaient réellement pour que nous puissions les recevoir.

Voici donc une clé de lecture profonde de tout le livre de Job : nous sommes, nous les lecteurs de son chant, ces amis capables de piété que Job appelle à la solidarité, nous qui pouvons aujourd’hui recevoir son SOS et y répondre. Dans la Bible tout cri qui n’est pas écouté – y compris le grand cri du Golgotha – nous est adressé. La Bible n’est pas seulement un grand recueil de psaumes, de vérités divines, de prières ;  elle n’est pas non plus seulement des paroles de Dieu aux hommes. Elle est, avant tout cela, de grandes choses que l’homme dit à l’homme sous un ciel habité.

La Bible est un humanisme qui nous invite, quand YHWH ne répond pas, à répondre nous-mêmes aux femmes et aux hommes. Toute l’écriture est un SOS lancé à notre humanité, un appel à devenir vraiment humain, à accueillir le cri pour la justice de l’homme nommé Job et de tous ses frères et sœurs qui continuent de crier dans l’histoire, en riche écho de son premier chant, pour invoquer notre pitié. L’humanisme biblique ne se contente pas des réponses de Dieu, qui souvent se tait pour faire place à notre responsabilité. Si Elohim ne s’était pas tu, presque tout au long de ce livre, nous n’aurions pas eu les grandes questions de Job, et son cri pour la justice n’aurait pas rejoint et embrassé tout le désespoir de la terre, en la sauvant. Dieu doit savoir se taire s’il veut que l’homme soit responsable et sache sortir de la banalité. 

Mais la Bible n’est pas le seul écrin des derniers messages de l’homme vrai. Beaucoup d’œuvres littéraires sont nées et continuent de naître en tant que testament – c’est peut-être ainsi que naît toute la grande littérature. Paroles ultimes et cris vers le ciel et vers les hommes : beaucoup a été écrit en quête de fraternité, du sein des fratricides. Un grand nombre de ces paroles ont été perdues, mais nous avons recueilli et gardé beaucoup. Les camps de concentration, les prisons, les morts en solitude, ont été des tas de fumier où ont poussé de merveilleuses fleurs. Des milliers de poésies, de journaux intimes, de lettres du front, de la musique, des chansons, de l’art, et même des pierres tombales… ont prolongé le chant mendiant de Job. Quand un condamné à mort livre son dernier message sur un feuillet pour rejoindre quelqu’un, son espérance vit. Une lettre, une poésie, peuvent ainsi fixer pour toujours un dernier espoir. Cela rend l’espérance éternelle : elle survit – notre parole aussi peut vaincre la mort.

Au sommet de ces prières et cris de Job, on voit fleurir, inattendu et superbe, un authentique chant d’espoir : "Je sais bien, moi, que mon rédempteur (‘goel’) est vivant, que le dernier, il surgira sur la poussière !" (19, 25). Une espérance comme un arc-en-ciel au plus fort de la tempête. Le véritable espoir survient toujours ainsi : non comme fruit de nos vertus et de notre mérite, mais tout et seulement comme grâce, charis, don. Cet espoir-là nous surprend toujours, nous coupe le souffle – il serait vain, sans importance, s’il ne nous surprenait pas.

Qui est le rédempteur, le ‘goel’, que Job désire ardemment et appelle du fond de son espoir désespéré ? Nous ne le savons pas. Mais c’est peut-être un autre Dieu, un Dieu plus vrai que celui qu’il ressent comme ennemi. C’est l’espérance au fond du désespoir qui faire renaître la foi, parce qu’elle l’appelle à se transcender, à devenir ce qu’elle n’est pas encore. Le pauvre innocent qui espère en son goel, son sauveur, le voit déjà s’approcher à l’horizon. Dans les nuits de la foi, de toute foi, tout part toujours de l’espérance, en réapprenant de nombreuses fois à espérer (l’espérance est donnée, splendide comme l’arc-en-ciel, et comme lui s’évanouit).

Nous ne savons pas en quel goel Job espère. Mais nous savons que le salut au paradis ne lui suffit pas ; il ne le connaît d’ailleurs pas. Le Dieu de ces livres bibliques est le Dieu des vivants, pas des morts. Un humanisme biblique qui renvoie le salut des victimes innocentes à l’eschaton, ou à l’outre-tombe, n’est sûrement pas vrai. Le goel en qui Job espère doit venir se lever dans la poussière de la condition humaine des vivants que nous sommes. La terre promise est notre terre. Toute promesse de salut des victimes qui ne devient pas engagement concret à les libérer ici et maintenant, finit par être antihumanisme et faux espoir. Job veut voir son goel venir dans la poussière de son fumier, le voir de ses propres yeux : "C’est moi qui le contemplerai, oui, moi ! Mes yeux le verront, lui, et il ne sera pas étranger" (19, 27).

Le goel qui n’est pas une idole sait arriver jusqu’à la poussière des victimes, au seuil des maisons, apparaître dans les femmes et les hommes de chez nous capables d’écouter le hurlement de Job et d’y répondre. Trop de pauvres n’ont jamais vu le goel venir sur leur tas de fumier, et attendent. Et Job continue d’appeler la terre, les hommes, Elohim. Pour eux. Pour nous.

 

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Un homme nommé Job / 7 – Celui qui rachète le pauvre sert l’homme et le Dieu des vivants

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 26/04/2015

logo Giobbe« Mon dernier souffle sera pour toi, toute ma vie est dans ton nom, maman. Je suis serein et innocent. Sois fière du motif de ma mort et dis que ton enfant n’a pas tremblé et qu’il est mort pour la liberté ; et maintenant je pardonne à tous ; ciao maman, papa, Stefano, Alberto, ciao à tout le monde, tout est prêt, je suis serein. Adieu maman, maman, maman, maman… »

(Lettres des condamnés à mort de la résistance, Domenico, 29 ans)

Souvent la foi renaît de fraternités solidaires, capables d’accompagner jusqu’au bout de ses ténèbres l’homme qui crie vers un ciel qui lui semble vide et hostile. Mais autour des désespérés assis sur les tas de fumier du monde, ils sont tout aussi fréquents les bavardages et les persécutions des ‘amis’ non solidaires, fermés à la vérité qui souvent se cache derrière les silences de la foi et les ‘litiges’ avec Dieu, et qui veulent remplir de leurs paroles creuses le vide du ciel des autres. C’est ainsi que la lamentation de Job continue de s’entendre sur notre terre : "Jusqu’à quand allez-vous me tourmenter et m’écraser par vos discours ?" (Job 19,2). [jcfields] => Array ( ) [type] => intro [oddeven] => item-odd )

La parole victorieuse de la mort

Un homme nommé Job / 7 – Celui qui rachète le pauvre sert l’homme et le Dieu des vivants Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 26/04/2015 « Mon dernier souffle sera pour toi, toute ma vie est dans ton nom, maman. Je suis serein et innocent. Sois fière du motif de ma mort et dis que ton enfant n’a ...
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Un homme nommé Job / 6 – On fait justice quand on ne "recouvre" pas la souffrance des justes

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 19/04/2015

logo Giobbe"Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mère Terre... Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mort corporelle".

(Saint François, Le cantique des créatures)

La faute et la dette sont de grands thèmes de la vie de tous. En allemand c’est presque la même parole : schuld et schuldig. Nous naissons innocents, et nous pouvons le rester toute la vie. Comme Job. La mort d’un enfant est une mort innocente, mais la mort de beaucoup de personnes âgées l’est aussi. Et Dieu, contrairement aux idoles, doit être le premier à ‘lever la main’ pour nous défendre, à croire en notre innocence contre toutes les accusations de nos amis, des religions, des théologies. Les prisons continuent d’être pleines d’esclaves accusés de dettes inexistantes, et les geôliers de s’enrichir en trafiquant avec leurs victimes innocentes d’étouffantes libérations.

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Après le premier cycle de dialogues entre Job et ses trois ‘amis’, entrons maintenant dans un nouvel acte du livre, quand chaque ami lui répète à son tour, en l’exaspérant, ses critiques, accusations, théories et sermons. Job, au centre de la scène sur son tas de fumier, continue de demander plus, d’attendre d’autres réponses. Il n’exerce pas sa patience envers Dieu (envers qui il est carrément impatient), mais envers ses ‘amis’. Après les réponses de Job, Elifaz, qui le premier avait pris la parole (chap. 4), devient lui aussi agressif et attaque :  "Un sage se nourrit-il de vent, fait-il des réponses aussi peu consistantes ? Les arguments dont tu te sers sont vains ; dans tout ce que tu dis, il n'y a rien d'utile" (15, 1-3). Il explicite son accusation : "Tu sapes la piété, tu ruines la prière !" (15, 4). Et il ajoute : "Un humain, qu'est-il donc pour se prétendre pur et oser affirmer qu'il a le droit pour lui ?" (15, 14). Job répond : « J’en ai entendu beaucoup sur ce ton, en fait de consolateurs, vous êtes tous désolants. Me dire : "Sont-elles finies, ces paroles de vent ?" ! » (16, 1). Et il répète son chef d’accusation : "J’étais au calme. Il m’a bousculé. Il m’a saisi par la nuque et disloqué" (16, 12).

"Je suis innocent, c’est Dieu qui doit expliquer ce qu’il fait avec moi et toute la souffrance injuste de la terre" : dans la nouvelle variante de ce thème dominant du chant désespéré de Job, de très précieuses perles sont enchâssées.

Sur le silence de Dieu, Job, insatisfait et exaspéré par la banalité des réponses des amis, continue de demander un arbitre, juge neutre, qui puisse prouver son innocence et prononcer la sentence juste. "Dès maintenant, j’ai dans les cieux un témoin, je possède en haut lieu un garant…  Lui, qu’il défende l’homme contre Dieu, comme un humain intervient pour un autre !" (16, 19-21). Puis, après avoir recouru au langage des procédures juridiques, Job passe au registre commercial. Il invoque la figure du fidéjusseur (garant), et demande à Dieu de lui faire une fidéjussion (caution) : "O Dieu, apporte-moi ta propre garantie, car à part toi, qui voudrait s'engager pour moi ?" (17, 3). Le fidéjusseur était celui qui engageait sa propre réputation ou son patrimoine pour garantir un débiteur face à son créancier, partageant sa responsabilité en cas d’insolvabilité. Le fidéjusseur s’engageait matériellement envers le débiteur, et le manifestait en levant la main. Elle est donc très forte et terrible cette prière de Job – le livre de Job est plein de prières variées et splendides, surtout pour ceux qui ont épuisé les leurs et en cherchent d’autres, plus vraies. Exaspéré par les  souffrances, l’absence de réponses, les discours académiques d’amis, Job lance un nouveau cri vers Dieu : "Sois toi-même mon garant, lève la main pour moi !". Mais comment Dieu peut-il, lui le créancier, se porter garant du débiteur qu’est Job ?

Nous arrivons ici à un autre merveilleux passage. Les yeux brouillés, mais dotés d’une autre vue, Job s’efforce d’entrevoir, dans le Dieu de tous, un Dieu plus caché, plus profond et plus vrai que celui qu’il avait connu dans sa jeunesse. Il doit y avoir un visage d’Elohim tourné vers le pauvre injustement oppressé, prêt à lever la main pour lui. Job appelle Elohim à devenir ce qu’apparemment il n’est pas encore. Si le Dieu de la Bible est appelé juste, bon, lent à la colère, miséricordieux, c’est qu’il est possible de s’adresser à un visage de Dieu sans nier les autres, et de chercher un nouveau visage – "C’est ta face, Seigneur, que je cherche" (Ps 27).

Toute prière, en dehors de la magie et de la peur de Dieu et de vivre, consiste à appeler quelqu’un par son nom, à lui demander de devenir ce qu’il n’est pas encore – et nous de même avec lui. Job est accusé d’insolvabilité, mis sur la paille pour des dettes qu’on lui impute sans qu’il n’en ait aucune. Dans l’antiquité (et aujourd’hui encore), le non paiement des dettes conduisait à l’esclavage, et il n’était pas rare qu’on meure en prison. Du fond de sa prison, Job crie au ciel : Tu sais – tu dois bien savoir – que l’accusation qui me met dans cet état n’est pas vraie, que mes dettes ne sont que fausses accusations. Je le démontrerai, ou plutôt c’est toi qui diras à tous les vrais raisons de ma faillite ; alors, dans l’abandon où je suis, je t’en prie, sois mon garant. Lève la main pour moi. Toi au moins, l’autre face du Dieu unique, donne-moi raison !

Elle est forte cette demande extrême que beaucoup de justes élèvent chaque jour : qu’on les croit. Le monde, dans et hors des prisons, est plein d’innocents qui répètent la prière de Job : si je suis juste – moi, je sais que je le suis, et ne cesserai jamais de me croire innocent puisque je le suis – il doit y avoir, sur terre ou au ciel, quelqu’un qui me croira, qui me donnera raison ! Trop souvent ce garant des victimes justes est absent, ne se trouve pas, ne répond pas. Job crie, continue de crier, pour celui aussi qui n’a jamais trouvé de garant. Alors qu’il est à bout, au fond du trou de son extrême humiliation, Job s’entend dire ces antiques paroles : "Pourtant, il n’y avait pas de violence en mes mains, et ma prière était pure" (16, 17). Si Job avait cédé aux arguments de ses amis et admis sa culpabilité, il n’aurait pas permis à Dieu de devenir le dernier garant des pauvres et des victimes.

La foi de Job en un Dieu autre et plus humain a contraint Dieu, à travers tous les livres de la Bible et au long de l’histoire, à révéler son autre et nouveau visage. Job n’élargit donc pas seulement l’horizon de la bonté de l’homme ami de Dieu, mais aussi l’horizon de Dieu auprès des hommes. S’il est vrai que l’homme a appris du Dieu de la Bible à devenir plus homme, il est paradoxalement aussi vrai que le Dieu de la Bible a ‘appris’ des hommes à se montrer à la hauteur de ses plus grandes promesses. Le Dieu des philosophes n’a rien à apprendre de l’histoire, et il est presque toujours inutile à la vie des pauvres. Le Dieu biblique est différent. Demandons-le à Job, à Marie, qui a vu un enfant devenir homme, un crucifié ressusciter.

Mais il y a d’autres perles dans ces chapitres. Tandis qu’il invoque l’extrême garantie, Job sent venir la mort prochaine : "Mon visage est rougi par les pleurs et l’ombre couvre mes paupières" (16, 16). De son âme affleure une nouvelle prière, parmi les plus belles de toute l’Écriture. En une phrase, en un seul verset l’éblouissement d’un éclair: "Le Rabbin qui m’enseignait l’hébreu était si ému qu’il ne pouvait lire ce verset" (Guido Ceronetti, Le livre de Job). C’est quand la douleur nous empêche de les prononcer qu’on comprend certains versets de la Bible : "O Terre, ne couvre point mon sang, et que mon cri ne trouve pas de refuge" (16, 18).

Au moment où Job est sûr de la défaite et de la mort, il baisse les yeux, regarde la terre et l’appelle par son nom. Écrasé, fracassé, il apprend à prier la terre. Cette prière, à l’opposé des cultes hors-saison de la déesse mère – est le chant du terrestre, de l’Adam qui, le nez dans la poussière, réussit à parler à la terre (Adamah), à la voir et à la sentir différente, comme une amie loyale. Il appelle frères les vers qui se nourriront de son corps, habitants comme lui de la même terre. Il faut les stigmates pour appeler vraiment sœurs la terre et la mort.

La terre a entendu les paroles de Job. Elle n’a pas recouvert le sang de nombreux justes, et continue de conserver la mémoire du cri de Job et de ses frères. Chaque personne, chaque communauté, chaque culture a ses lieux-mémoire du cri de Job et des innocents. Les stèles, les monuments, la chambre du fils, la poésie, l’art, conservent les cris de l’âme ; mais trop de sang spirituel est répandu, recouvert et absorbé par la terre, faute de poètes et d’artistes, ou parce qu’il est trop secret et trop grand pour qu’on le voit. Ces lieux, nous les connaissons et les reconnaissons, et nous remercions la terre et ses habitants de ne pas les avoir recouverts, de ne pas avoir permis au chant-cri de Job de s’étouffer dans la gorge du monde. Demandons à la terre, supplions-la, de ne pas recouvrir le sang des justes, que la vie voudrait et devrait couvrir. L’amour humain demande à la terre d’oublier et d’ensevelir la grande souffrance ; Job l’exhume pour un amour plus vrai.

La terre n’absorba pas le sang d’Abel quand un frère ‘leva la main’, non pour le protéger mais pour le tuer, et l’odeur de ce juste parvint jusqu’à Dieu (Genèse, chap. 4). Job, un autre juste, demande à la terre de ne pas absorber son sang, parce qu’il veut que son odeur parvienne jusqu’à nous. Son cri nous demande de nous porter garants, responsables et solidaires de tant de victimes innocentes. Saurons-nous lever la main pour les sauver ?

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Un homme nommé Job / 6 – On fait justice quand on ne "recouvre" pas la souffrance des justes

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 19/04/2015

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(Saint François, Le cantique des créatures)

La faute et la dette sont de grands thèmes de la vie de tous. En allemand c’est presque la même parole : schuld et schuldig. Nous naissons innocents, et nous pouvons le rester toute la vie. Comme Job. La mort d’un enfant est une mort innocente, mais la mort de beaucoup de personnes âgées l’est aussi. Et Dieu, contrairement aux idoles, doit être le premier à ‘lever la main’ pour nous défendre, à croire en notre innocence contre toutes les accusations de nos amis, des religions, des théologies. Les prisons continuent d’être pleines d’esclaves accusés de dettes inexistantes, et les geôliers de s’enrichir en trafiquant avec leurs victimes innocentes d’étouffantes libérations.

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La mémoire vive de la terre

Un homme nommé Job / 6 – On fait justice quand on ne "recouvre" pas la souffrance des justes Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 19/04/2015 "Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mère Terre... Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mort corporelle". (Saint François, Le cantique des créa...
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Un homme nommé Job / 5 – L’amour trompeur de qui défend le Seigneur pour se louer lui-même

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 12/04/2015

logo Giobbe"Sortons. On va mal,  demandons que ça passe. À qui le demander ? À la vigne toute parée de ses nouvelles feuilles, aux ronces de l’acacia, au lierre et à l’herbe, ces sœurs impératrices, vaste manteau et puissant trône"

(Mariangela Gualtieri, dans  À mes immenses maîtres)

Nombreux sont les économistes, les philosophes, les penseurs, qui bâtissent des théories pour justifier la misère du monde, qu’ils disent due à la paresse des pauvres, et même congénitale. On marginalise, on ignore et on ridiculise Job et sa grande quête d’explications ; et "mille amis de Job" s’empressent autour de qui cherche à défendre la vérité des pauvres et leurs raisons, pour le railler et le condamner. Les faux amis de Job sont toujours là, et leurs idéologies continuent d’humilier, de mépriser et de condamner les pauvres.

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L’accusation de Sofar, le troisième ‘ami’, est claire et impitoyable : Job est un faux innocent, un vantard qui cache ses péchés sous un écran de paroles. « Sofar de Naama prit alors la parole et dit à Job : "Ne faut-il pas répondre à ce flot de paroles ? Savoir parler ne prouve pas qu'on ait raison !" » (11, 1-2). Job répondit : "Bien sûr, vous détenez tout le savoir humain ! La sagesse mourra en même temps que vous. Mais moi aussi, je sais réfléchir tout autant, et je ne me crois pas inférieur sur ce point" (12, 1-3). Job attend des réponses différentes et nouvelles de Dieu ; celles des théologiens mangeurs de sagesse ne lui servent à rien.  "Tout ce que vous savez, je le sais, moi aussi, et je ne me crois pas plus stupide que vous ! Mais c'est au Dieu très-grand que moi, je veux parler" (13, 2-3). Il veut entendre en direct de Dieu la version des faits. Il veut écouter, non pas les défenseurs professionnels, mais la voix de l’inculpé.

Sofar, pour louer l’infinie et insondable sagesse de Dieu, agresse, condamne et humilie l’homme qu’est Job. Job, au contraire, reste de cette terre, pleinement solidaire de l’humanité (avec Adam, le terrestre). Il ne loue pas Dieu au détriment de l’homme, il n’est pas un souteneur. Ils sont au contraire légion, aujourd’hui, les souteneurs de Dieu, comme Safar et les autres amis, qui prennent la défense de Dieu pour se louer eux-mêmes, sans aimer vraiment, ni Dieu, ni les hommes.

Pour défendre Dieu, les trois amis offensent l’homme et nient l’évidence (ils connaissaient Job et savaient qu’il était juste). Leur théologie a la froideur des théorèmes ; elle ne loue Dieu que pour s’auto-louer. Elle est idéologie, et donc idolâtrie. Une théologie non idéologique est avant tout humanisme ; elle dit du bien de l’homme à Dieu, avant de bien parler de Dieu à l’homme. Ne défendons pas la vérité, la beauté et la bonté divines au détriment de la vérité, beauté et bonté de l’homme. Qui le fait nie tout : l’homme, la terre, Dieu.

L’expérience concrète et personnalisée de Job, le juste injustement malheureux, est la première réalité d’où devait partir Sofar. Au contraire, comme tous les faux prophètes et faux sages, de peur de se perdre et de perdre sa propre ‘vérité’ théologique, il défend Dieu, qui n’en a que faire. Les dialogues entre Job et ses amis sont donc une critique des religiosités, idéologies, philosophies ennemies de l’homme (et de Dieu), et de la religion réduite à l’éthique.

Job dénonce tous les moralistes qui ne regardent pas le monde à partir du tas de fumier, et qui deviennent agressifs, comme Sofar. Elle est impressionnante, au vu de l’histoire passée et présente, la multitude des théologiens, philosophes, moralistes qui ont toujours utilisé Dieu (leur idée de Dieu) pour construire une pyramide, à seule fin de s’installer au somment, à côté voire au-dessus de Dieu (comme s’ils étaient ses architectes et constructeurs). Mais c’est Job le vrai théologien, qui demande à Dieu de se ‘réveiller’ et de se mettre à la hauteur de la souffrance du monde.

La méditation de ces chapitres, au cœur du livre de Job, nous montre un homme symbole de beaucoup de choses, toutes décisives. Elle nous révèle d’abord des dimensions essentielles du mystère de la vérité. La victime, le pauvre, ont un accès privilégié à la sagesse, à une plus grande vérité. Aux tréfonds de la condition humaine, quand tous les ponts se sont écroulés derrière soi, et qu’aucune terre promise n’est en vue, on ne cherche la vérité que pour elle-même – et souvent on la trouve ; on se trouve même immergé en elle. C’est cette vérité, elle seule sans doute, qui permet à qui la ‘possède’ (mieux : en est habité), de ne pas l’user à son avantage, de ne pas la consommer, come on évite en montagne, où elle est à tous, de couper une fleur rare et de l’emporter pour embellir et parfumer la maison. C’est cette gratuité qui rend la vérité humble, chaste, pure, précieuse. Amour.

Job est une très haute icône de la foi biblique. Toute continuelle et incessante quête de vérité, pour être vraiment amour, doit être criée avec Job, sur les tas de fumier de la terre, sans qu’on ne cesse jamais de se sentir frères et sœurs de tous et de tout.

Job est aussi paradigme de qui a reçu une vraie vocation – religieuse, laïque, artistique. Quand on marche à l’appel d’une ‘bonne’ voix (du dedans comme du dehors) arrive inévitablement l’étape de Job : on se retrouve assis sur nos propres saletés et celles de la ville, et l’on éprouve un absolu besoin de vérité, sur notre propre histoire, sur Dieu, sur la vie, insatisfait des petites vérités et des réponses trop simples. Après avoir tout donné, on peut et doit tout demander. On comprend avec Job que les réponses à nos quêtes de vérité ne sont pas pour nous, mais pour tous ; et naît ainsi, sans qu’elle soit fruit des vertus mais rien que don, une amitié avec les hommes, les femmes, la nature.

Enfin, il est splendide le chant cosmique de job. En pauvre amant désintéressé de la vérité, Job expérimente dans sa chair meurtrie l’unité et la communion de toute la création. Il inclut dans son chant les animaux, la terre, les plantes, la paille ; il les comprend, les aime, se les fait frères : "Questionne les bestiaux, et ils sauront t'instruire ; les oiseaux dans le ciel, ils te renseigneront. Parle donc à la terre, elle saura t'instruire ; les poissons dans la mer ont beaucoup à t'apprendre" (12, 7-9).

Vu du tas de fumier, tout semble vivant, tout nous parle, tout prie. Mais pour voir cette vie et la profondeur de cette prière de l’univers, il faut aimer la vérité pour elle-même. C’est ainsi seulement  qu’on découvre une fraternité cosmique, et que, dans la souffrance du monde, on communie avec l’herbe, le pinson, la roche, l’étoile, l’onagre, le vieillard qui s’éteint sur un lit d’hôpital. On apprend à voir et à contempler l’innocence et la vérité des animaux et de toute la vie non-humaine – seuls les hommes, pas les plantes ni les animaux, savent être faux, adulateurs et idolâtres. Le monde vrai de Job dit du cosmos ce qu’il a de plus vrai : roches, eaux, arbres, racines, feuilles… tout compose une symphonie de la terre, qui parle par la voix de Job, sans souffle mais si vive.

La fragilité de l’éphémère condition humaine fait que Job se sent plus encore créature. La mort de l’homme est plus désespérée que celle de l’arbre (qui peut, une fois coupé, espérer bourgeonner et repousser : 14, 7) ; elle est pauvre sœur de la mort du fleuve et du lac taris (14, 11). Toute la création est vulnérable et caduque (la montagne s’écroule, l’eau use les roches : 14, 19-20) ;  comme tout, comme nous.

Mais cette vulnérabilité cosmique, ce fait de souffrir de toutes les souffrances inexpliquées des animaux, des plantes, de la terre, donne à Job une base plus solide dans son débat avec Dieu : il devient l’extrême vrai porte-voix de la terre, et demande à Dieu des explications sur ce monde qu’il a créé et qui souffre trop sans raison.

Admirable est la réciprocité entre Job et la nature : la terre lui offre d’autres évidences et plus de force dans son procès face à Dieu, et Job fait parler la nature, demandant des explications à l’Éternel de la part aussi des roches, des animaux, des arbres. Forte est la demande de justice et de vérité – sachons l’entendre – qui s’élève chaque jour des plantes, des animaux, des hommes !

Personne, aucune communauté, aucune société, aucun peuple, ne peut se passer de Job ou d’un bon acteur du drame de la vie, s’il veut éviter de tomber dans les idéologies et dans des régimes qui raisonnent comme les ‘amis’ de Job, usant des grands idéaux et de Dieu lui-même pour opprimer les pauvres et justifier ces oppressions.

Sont au contraire de vrais frères de Job ces (rares) poètes et artistes qui, par vocation et charisme, ne craignent pas de pousser à fond leurs questions sur la vérité de la vie, sans céder à la presque invincible tentation de créer et trouver d’autres consolations que celle de la vérité. Dans la vie, sans rencontrer Job ou un poète amant comme lui de la nue vérité (Leopardi par exemple), on ne peut se libérer des idéologies, et on prête allégeance à quelque idole aux réponses simplistes à nos questions pourtant très simples.

Nous souffrons d’une profonde indigence de grandes questions. On s’habitue vite aux dialogues des talk show, oubliant que c’est en demandant mille ‘pourquoi’ à nos parents que nous avons grandi, et que c’est en revenant aux grands ‘pourquoi’ des enfants que nous devenons de bons adultes et vieux. Dieu reviendra nous parler quand, avec et comme Job, nous saurons lui poser de nouvelles questions capables de le ‘réveiller’.

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Un homme nommé Job / 5 – L’amour trompeur de qui défend le Seigneur pour se louer lui-même

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 12/04/2015

logo Giobbe"Sortons. On va mal,  demandons que ça passe. À qui le demander ? À la vigne toute parée de ses nouvelles feuilles, aux ronces de l’acacia, au lierre et à l’herbe, ces sœurs impératrices, vaste manteau et puissant trône"

(Mariangela Gualtieri, dans  À mes immenses maîtres)

Nombreux sont les économistes, les philosophes, les penseurs, qui bâtissent des théories pour justifier la misère du monde, qu’ils disent due à la paresse des pauvres, et même congénitale. On marginalise, on ignore et on ridiculise Job et sa grande quête d’explications ; et "mille amis de Job" s’empressent autour de qui cherche à défendre la vérité des pauvres et leurs raisons, pour le railler et le condamner. Les faux amis de Job sont toujours là, et leurs idéologies continuent d’humilier, de mépriser et de condamner les pauvres.

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Prenons garde aux souteneurs de Dieu

Un homme nommé Job / 5 – L’amour trompeur de qui défend le Seigneur pour se louer lui-même Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 12/04/2015 "Sortons. On va mal,  demandons que ça passe. À qui le demander ? À la vigne toute parée de ses nouvelles feuilles, aux ronces de l’acacia, au lierre et à l’h...
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Un homme nommé Job / 4 – Le juste peut le dire : aucun fils ne mérite de mourir

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 05/04/2015

logo Giobbe« Tu n’es pas descendu de la croix quand, pour se moquer et rire de toi, ils t’ont crié : "Descends maintenant de la croix pour que nous croyions en toi". Tu n’es pas descendu parce que, une fois encore, tu n’as pas voulu rendre l’homme esclave d’un miracle et tu as ardemment désiré la foi libre… Je te le jure, l’homme a été créé plus faible et plus vil que tu ne le penses… Si tu l’avais moins estimé, tu aurais aussi moins prétendu de lui, car son fardeau aurait été plus léger ».

(Fedor Dostoïevski, "Le grand inquisiteur", Les frères Karamazov)

L’humanisme biblique n’assure pas le bonheur aux justes. Moïse, le plus grand des prophètes, meurt seul, en dehors de la terre promise. Il y a pour les justes quelque chose de plus vrai et plus profond que la recherche du propre bonheur. On demande beaucoup plus à la vie : surtout le sens de nos malheurs et de ceux des autres. Le livre de Job assiste celui qui cherche obstinément le vrai sens des grandes promesses déçues, du malheur des innocents, de la mort des filles et des fils, de la souffrance des enfants.

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Après le dialogue initial avec Elifaz, c’est maintenant le second ami qui prend la parole : « Bildad de Chouha prit alors la parole : "Combien de temps nous tiendras-tu de tels discours ? Et quand s'arrêtera cet ouragan de mots ? Crois-tu vraiment que Dieu modifie la justice, ou que le Dieu très-grand fasse une entorse au droit ? Tes fils ont dû commettre une faute envers lui, et il leur en a fait payer les conséquences" » (8, 1-4). Pour ne pas mettre en discussion la justice de Dieu, Bildad est contraint de nier la droiture de Job et de ses fils. Son éthique est abstraite et froide : si les fils (et Job) ont été punis, c’est qu’ils avaient péché. Son idée de la justice divine et de l’ordre le pousse ainsi à condamner et à trahir l’homme. Ils sont au contraire nombreux les fils qui meurent sans aucune faute, aujourd’hui comme hier et toujours. Sur les Alpes françaises, au Kenya, sur le Golgotha. Partout. Aucun péché à expier n’exige la mort d’un fils, à moins de vouloir nier toute différence entre Elohim et Baal, entre YHWH et les idoles avides.  

Le poème de Job est un test sur la justice de Dieu, pas sur celle de Job (qui nous est révélée dès le début du prologue).  C’est à Elohim de prouver sa justice en dépit de la douleur des innocents. Deux possibilités s’offrent à Job pour répondre à son ‘ami’ : la première, toujours plus simple, est d’admettre qu’il n’y a aucune justice en ce monde : Dieu n’existe pas ou il est trop loin pour être le juste juge des hommes. La seconde est de tenter l’impensable pour un croyant en ce temps-là (comme en tout temps) : mettre en cause la justice de Dieu, lui demander de rendre compte de ses actes. Dans sa réponse à Bildad, Job traverse ces deux possibilités extrêmes : « Suis-je innocent ? Je ne me connais pas moi-même. Je suis dégoûté de la vie. Tout est pareil, et j’ose dire : Dieu fait périr aussi bien l’innocent que le coupable. Quand une catastrophe arrive tout à coup et tue des innocents, Dieu n'a que moqueries pour toutes leurs détresses ! Dans un pays livré au pouvoir d’un méchant… » (9, 21-24). Ce n’est pas sa vie qui intéresse Job (pure gratuité), mais la justice dans le monde ; aussi ose-t-il ce qu’on ne peut oser : nier que puisse exister une quelconque justice de Dieu.

Job continue ainsi d’élargir l’horizon de l’humain dans l’humanisme biblique, prenant dans son arche tous ceux qui, nombreux, ne cessent de se demander s’il existe un Dieu bon et juste dans un monde où la souffrance et le mal sont inexplicables. Job nous dit qu’une question sans réponse peut être plus ‘religieuse’ que des réponses trop simples, et qu’un ‘pourquoi’ peut aussi être prière. Après Job, il n’y a pas sur terre de chapelet plus vrai que celui de tous les ‘pourquoi’, désespérément sans réponse, qui s’élèvent vers un ciel qu’ils continuent de vouloir habité et ami.

Job continue de demander pour la terre un fondement plus profond que le chaos et le néant. Mais dans sa quête d’un Dieu vrai au-delà de l’apparente ‘banalité du bien’, Job, à la fois fort et fragile, demande à Dieu de répondre de ses actions, le veut responsable.

Il y aurait eu une voie plus simple, le raccourci que lui conseillent ses amis : admettre sa culpabilité. Mais Job est mystérieusement fidèle à lui-même et à la vie, et ne suit pas cette troisième option. Il aurait pu se reconnaître pécheur (quel homme juste n’a pas conscience de l’être ?), implorer le pardon et la miséricorde divine, sauver ainsi la justice de Dieu, et même espérer son propre rachat. Il ne le fit pas, continua de demander des explications, de dialoguer, d’attendre que Dieu se montre à lui différent ; de croire en sa propre droiture.

Il est difficile pour une personne juste, dans les longues et exténuantes épreuves de la vie, de ne pas perdre foi en sa propre vérité et justice, finissant par dire : "Il n’est pas vrai que je l’ai fait pour le bien…", "J’ai été orgueilleux…", "Au fond j’ai tout bluffé…". Mais quand nos fautes (nous en avons toujours) nous entraînent ainsi dans une lecture déformée de notre vie, la vérité nous échappe et nous nous perdons. C’est un autre désespoir, moins vrai, qui nous pousse alors à implorer le pardon et la miséricorde de Dieu et des autres.

Ce fléchissement n’est pas humilité : il n’est que la dernière grande tentation. Nous ne serons sauvés d’épreuves semblables à celles de Job que si l’histoire de notre innocence et de notre droiture nous convainc davantage que celle de nos péchés et de notre méchanceté. C’est la foi et la fidélité à cette chose - ‘cela était très bon’ (Gn 1, 31) - que malgré tout nous sommes et restons, qui peut nous sauver dans les rudes et longues épreuves. C’est à sa (et notre) dignité que s’accroche Job : "Souviens-toi : tu m’as fait comme on pétrit l’argile" (10, 9). Une foi qui englobe aussi les fils, les personnes qu’on aime, capable un jour d’inclure tout être humain. Job a continué de croire en son innocence afin que nous, moins justes que lui, puissions aujourd’hui continuer de croire en la nôtre.

Et puis Job ne peut pas croire que ses fils aient mérité la mort. Aucun fils ne mérite de mourir. Il y a sur terre grande vérité et beauté grâce aux mères et aux pères qui ne cessent de croire, parfois contre toute évidence, à l’innocence des fils et des filles. Il a souvent suffi, pour que nous soyons sauvés, qu’une seule personne croie davantage en notre beauté et notre bonté qu’en nos erreurs. Combien plus triste serait la terre sans ces regards ressuscités des mères et des pères !

L’extrême fidélité de Job à lui-même le pousse ensuite à l’acte le plus subversif. Il ne veut pas nier la justice de Dieu, mais ne peut pas non plus nier sa propre vérité. Alors, de l’étau dans lequel il semble pris, voici surgir une surprenante troisième possibilité. Job appelle en justice Dieu lui-même. Son tas de fumier se transforme en tribunal. L’accusé est Elohim, ses avocats sont les amis de Job, et Job est l’interrogateur. « Puisque la vie m’est en dégoût, je veux donner libre cours à ma plainte, je veux parler dans l’amertume de mon âme. Je dirai à Dieu : "Ne me condamne pas, indique-moi pourquoi tu me prends à partie. Est-ce bien, pour toi, de me faire violence, de rejeter l’œuvre de tes mains et de favoriser les desseins des méchants ?" » (10, 1-4).

Mais comment peut-on appeler Dieu en justice, le dénoncer, si l’accusé est aussi le juge ? « Car lui n’est pas, comme moi, un homme : impossible de lui répondre, de comparaître ensemble en justice. Pas d’arbitre entre nous pour poser la main sur nous deux » (9, 32-33).

En réalité, il y a bien un juge-arbitre dans tout le livre de Job : le lecteur, qui, durant le développement du drame, est appelé à prendre parti, à se dire pour l’un ou pour l’autre des adversaires. Un lecteur-arbitre contemporain de Job l’aurait condamné, prenant sa harangue pour de l’orgueil, de la nonchalance. Mais la défense de Job s’est développée avec l’histoire, avec les prophètes, les évangiles, Paul, les martyrs, et puis la modernité, les camps de concentration, le terrorisme, l’euthanasie des enfants. Job nous est plus contemporain qu’à l’homme de son temps, et il le sera plus encore dans les siècles à venir.

Ce ‘procès à Dieu’ nous introduit dans une authentique révolution religieuse : Dieu aussi doit rendre compte de ses actions s’il veut être le fondement de notre justice. Il doit se faire comprendre, ajouter d’autres paroles aux si nombreuses qu’il a déjà dites, pour être à la hauteur du Dieu biblique de l’Alliance et de la Promesse, et nous affranchir des cultes idolâtres, aussi stupides que leurs fétiches. Ainsi donc, le Dieu de Job, enchâssé au cœur de la Bible, nous porte sur une haute cime et nous invite, de là, à regarder toute la Torah, les prophètes, et puis le Nouveau Testament, les femmes et les hommes de tout temps. Il nous donne la preuve de la véracité des livres qui le précèdent et de ceux qui le suivent.

Un autre procès eut cours, avec Dieu comme accusé. Mais les parties furent renversées. L’homme était le fort, quasi tout-puissant, qui interrogeait et jugeait. Dieu était fragile ; il fut condamné, crucifié. Entre ces deux procès extrêmes se situent toute la justice, l’injustice, les espoirs du monde. Cela, Job ne le savait pas, ne pouvait pas le savoir. Mais il aura été le premier à fêter le sépulcre vide. Seuls les crucifiés peuvent comprendre et désirer les résurrections. Bonne fête de Pâques !

 

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Un homme nommé Job / 4 – Le juste peut le dire : aucun fils ne mérite de mourir

Par Luigino Bruni

Paru dans Avvenire le 05/04/2015

logo Giobbe« Tu n’es pas descendu de la croix quand, pour se moquer et rire de toi, ils t’ont crié : "Descends maintenant de la croix pour que nous croyions en toi". Tu n’es pas descendu parce que, une fois encore, tu n’as pas voulu rendre l’homme esclave d’un miracle et tu as ardemment désiré la foi libre… Je te le jure, l’homme a été créé plus faible et plus vil que tu ne le penses… Si tu l’avais moins estimé, tu aurais aussi moins prétendu de lui, car son fardeau aurait été plus léger ».

(Fedor Dostoïevski, "Le grand inquisiteur", Les frères Karamazov)

L’humanisme biblique n’assure pas le bonheur aux justes. Moïse, le plus grand des prophètes, meurt seul, en dehors de la terre promise. Il y a pour les justes quelque chose de plus vrai et plus profond que la recherche du propre bonheur. On demande beaucoup plus à la vie : surtout le sens de nos malheurs et de ceux des autres. Le livre de Job assiste celui qui cherche obstinément le vrai sens des grandes promesses déçues, du malheur des innocents, de la mort des filles et des fils, de la souffrance des enfants.

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La responsabilité de Dieu

Un homme nommé Job / 4 – Le juste peut le dire : aucun fils ne mérite de mourir Par Luigino Bruni Paru dans Avvenire le 05/04/2015 « Tu n’es pas descendu de la croix quand, pour se moquer et rire de toi, ils t’ont crié : "Descends maintenant de la croix pour que nous croyions en toi". Tu n’es pas de...